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Decathlon : les secrets de fabrication de la marque préférée des Français

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Champion de l’innovation, entreprise modèle, marque préférée des Français… Le leader mondial de la distribution d’articles de sport Decathlon cartonne et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Dans son viseur, les mastodontes Nike et Adidas. L’Express explore cette réussite exemplaire sous toutes ses coutures dans une série d’articles.L’immense hangar, bardé de caméras et de capteurs, est grand ouvert sur le parking attenant. Un coureur capable de terminer un marathon en moins de trois heures – quand le temps moyen se situe autour de quatre heures et trente minutes – enchaîne les allers-retours, pendant qu’un ingénieur observe la séance en récoltant moult données. Au sol, une plaque en fer permet de mesurer l’impact du sportif lorsqu’il marche dessus. L’objectif du jour : tester des chaussures de running de différentes marques et noter, à l’aide d’un questionnaire précis, les sensations du participant. Dans la salle contiguë, une dizaine de petits scanners fixés sur des pieds de tailles variables sont disposés en cercle. En moins de deux minutes, ce concentré de technologie est capable de reproduire en 3D, sur un écran d’ordinateur, la morphologie d’un athlète se tenant au centre, pour déterminer quel sera le produit le plus adapté à son corps.Quelques mètres plus loin, on pénètre dans un laboratoire muni de quatre “chambres thermiques”, dans lesquelles des scientifiques évaluent la résistance des vêtements à des températures extrêmes, allant de – 40 à + 45 degrés. A l’intérieur de l’une d’elles, un mannequin en mouvement, qui peut produire de la transpiration et de la chaleur à travers 168 pores, est vêtu d’une doudoune, tandis qu’une machine simule des bourrasques et du froid. Ces expériences sont menées quasi quotidiennement par une équipe d’une cinquantaine d’ingénieurs au sein du Sportslab de Decathlon. Le laboratoire d’analyse du corps humain est niché depuis 2021 au B’Twin Village, un gigantesque complexe de 85 000 mètres carrés, situé en périphérie de Lille, où cohabitent, pêle-mêle, un magasin dédié spécifiquement à la mobilité, des salles de sport, un restaurant, une usine d’assemblage de vélos, une maison de santé, des terrains de padel et de badminton, des pistes pour tester les produits…Un coureur marche sur une plaque en fer qui mesure son impact lors d’un test au Sportslab de Decathlon.Le B’Twin Village est la vitrine de Decathlon. Les 800 000 clients annuels y côtoient plus de 1 500 collaborateurs. La plupart d’entre eux travaillent dans un vaste open space accessible via une porte discrète, à deux pas de l’entrée du magasin. Les employés se déplacent à vélo, en trottinette ou même en skate, estampillés Decathlon bien sûr. Au sol, un marquage délimite les allées pour éviter les télescopages. On s’y dit bonjour poing contre poing. “Avant le Covid, tout le monde se faisait la bise”, se rappelle Edyta Molmy, la directrice de la communication du Sportslab. A l’heure du déjeuner, certains “décathloniens” ou “coéquipiers”, comme ils se nomment entre eux, se retrouvent au cours de CrossFit ou de danse. La pratique est plus qu’encouragée. Dans les couloirs et les bureaux, les produits phares de l’enseigne trônent en évidence. Manière de rappeler à tout le monde que Decathlon est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de la distribution d’articles de sport.Le B’Twin village à Lille.Une créativité sans limiteEn 2022, l’entreprise française, détenue par la famille de Michel Leclercq, l’ex-président fondateur, la famille Mulliez – Auchan, Boulanger…- et les salariés, a dépassé la barre des 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires – dont 4,7 milliards d’euros rien qu’en France -, soit 2,5 fois plus qu’en 2005. Une progression fulgurante au sein d’un marché évalué à 535 milliards d’euros l’an dernier. Derrière, seul Intersport – 13,7 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2022 – semble en mesure de faire jeu égal avec le distributeur nordiste. “Les deux enseignes sont totalement complémentaires”, affirme Bernard Joannin, président du club de football d’Amiens et propriétaire de 45 magasins Intersport en France,qui n’hésite pas à tirer son chapeau à son concurrent.“En tant que citoyen Français, je suis fier qu’une entreprise comme Decathlon figure, avec Intersport, parmi les champions internationaux du secteur. Ce sont de très grands professionnels, qui m’ont inspiré.”Decathlon s’appuie sur un maillage de magasins en propre très développé – 1 751 dans le monde, dont 325 en France. “C’est l’enseigne qui donne accès au sport à toutes les bourses et qui permet aux sportifs occasionnels de trouver des produits d’une qualité suffisante pour pratiquer leur activité à des prix très compétitifs”, résume Guy-Noël Chatelin, associé chez EY-Parthenon. Le conseil avisé en plus. Sur la veste de chaque vendeur, on peut lire son prénom, mais aussi ses deux sports favoris et son niveau dans chaque discipline. “Cela renforce le degré de confiance que les clients peuvent avoir dans l’enseigne”, note le consultant.3779 Decathlon CAOutre des prix ultraconcurrentiels, Decathlon parvient également à se démarquer grâce à sa créativité. Depuis sa naissance en 1976, l’enseigne a petit à petit installé ses propres produits au sein de ses magasins, réduisant la présence de la concurrence au strict minimum. “Le groupe a su créer des marques très fortes qui ne sont pas considérées comme des sous-marques. Il n’y a pas beaucoup de distributeurs qui ont réussi à faire la même chose”, salue Frank Rosenthal, expert de la distribution.Tente Quechua 2 Seconds, masque de plongée intégral Easybreath, vélo B’Twin, cage de football nomade The Kage… On ne compte plus les produits originaux développés par Decathlon qui sont entrés dans le quotidien des Français. Et au-delà. A l’international, les nouveautés cartonnent aussi. Pour les mettre au point, l’entreprise dispose de 15 centres de conception, dont 10 en France, implantés au plus près des disciplines. A Hendaye, le Water Sports Center et ses 275 salariés imaginent les produits d’eau du futur, avec, chaque année, une dizaine de brevets déposés et 10 000 prototypes développés. Au pied du mont Blanc, un autre centre, inauguré en 2014, est spécialisé, lui, dans la randonnée, le trekking ou encore l’alpinisme. A l’étranger, des sites sont dédiés au cricket en Inde, au padel en Espagne ou au ping-pong et au badminton en Chine.Le virage électrique de DecathlonDans le vélo, Decathlon a changé de braquet grâce aux modèles à assistance électrique. Sa marque historique B’Twin a su pivoter et s’adapter à ce marché il y a quelques années. “Nous avons revu notre vision de la mobilité. Notre objectif est de donner le pouvoir de vivre sans voiture. Et le vélo électrique permet cette transition”, affirme Herman Van Beveren, directeur international de B’Twin. Un virage que l’entreprise a toutefois mis du temps à négocier. “C’est un très bon acteur dans le vélo, mais il a fait une erreur dans le passé : ne pas avoir sauté immédiatement dans le train en marche de l’électrique. On peut les comprendre, il y avait une ambivalence. Il y a dix ans, ce mode de déplacement était connoté : on le croyait réservé aux personnes âgées ou en situation de handicap. Certains estimaient que l’assistance ne permettait pas de faire du sport. Les mentalités ont évolué depuis”, raconte Arthur Deleval, cofondateur de E2 Drives. Depuis 2020, cette start-up belge équipe le nouveau vélo électrique LD 920 E de la gamme B’Twin avec son moteur unique, capable d’adapter automatiquement la vitesse. Plus besoin de dérailleur. Ce modèle est depuis quelques mois assemblé au sein de l’usine du B’Twin Village, où sont produits 100 000 vélos haut de gamme par an. Une vingtaine de mécaniciens travaillent sur la ligne spécifique d’assemblage dédiée à cette innovation. “Cela demande deux fois plus de temps qu’un vélo classique”, indique Nicolas Lepoutre, le directeur de l’usine, fort d’une expérience de quinze ans dans l’automobile.L’an dernier, la marque préférée des Français – et cela depuis de nombreuses années – s’est classée deuxième du palmarès Great Place To Work des sociétés où il fait bon travailler. A l’intérieur comme à l’extérieur, Decathlon a la cote. Mais pas encore assez pour assurer tranquillement le renouvellement de son effectif. “Nous avons des difficultés pour embaucher des vendeurs et des techniciens dans les ateliers de réparation”, reconnaît Jean-Cyril Fin, directeur du B’Twin Village. Face à cette pénurie de recrues, qui frappe l’ensemble du secteur, Decathlon – 103 000 collaborateurs dans le monde – mise sur la mobilité interne et met en avant son éventail de plus de 400 métiers. S’il n’est pas rare de tomber sur un salarié ayant vingt-cinq ou trente ans de bouteille, l’ancienneté moyenne dans l’entreprise tourne autour de sept ans. Tous ou presque ont débuté comme stagiaire, alternant ou vendeur dans un magasin.Il existe d’ailleurs une légende décathlonienne, relayée jusque dans les plus hautes sphères du gouvernement : un vendeur peut devenir directeur en l’espace de quelques années, ou même de quelques mois. Kamel Medjabra, responsable de la marque employeur, relativise : “Certes, l’un de nos alternants est passé directement responsable de magasin. Mais le temps pour gravir les échelons est propre à chaque personne.” Les syndicats, eux, s’inquiètent davantage de la rotation importante des troupes au niveau supérieur. “Je ne connais pas d’entreprise modèle avec un taux de renouvellement de 25 % chez les cadres. La communication est bien rodée, et l’image positive parce que nous avons de bons produits et de super vendeurs. Mais il y a un problème plus profond de management”, pointe Sébastien Chauvin, de la CFDT. Le drame du 11 octobre dernier a ravivé ce ressentiment : un intérimaire a perdu la vie en déchargeant une livraison au magasin de la Madeleine à Paris, malgré les alertes des employés sur des dysfonctionnements. L’enquête interne est toujours en cours.Moins de marques, plus de sportL’époque des carrières rectilignes chez Decathlon semble en tout cas révolue, si l’on en juge par le tournant majeur opéré à la direction générale. En 2022, Barbara Martin Coppola, lauréate du prix des personnalités de L’Express dans la catégorie Transformation, a pris la tête de la maison. Michel Aballea, son prédécesseur, était entré comme chef de rayon. De même qu’Yves Claude avant lui. Pour la première fois de son histoire, l’entreprise n’est dirigée ni par un homme ni par un collaborateur issu du sérail Decathlon. Dès son arrivée, cette Franco-Espagnole, passée par Ikea, Samsung et Google, a affiché la couleur : le groupe doit rivaliser demain avec des mastodontes comme Nike – 44 milliards d’euros de chiffre d’affaires – ou Adidas – 21 milliards. A l’en croire, les leviers d’action sont nombreux. “Peu d’entreprises ont une chaîne de valeur aussi intégrée que celle de Decathlon. Il y a des opportunités multiples pour pouvoir, justement, la moderniser. La transformation numérique s’avérera essentielle. Par exemple, les algorithmes que l’on peut produire vont permettre de décupler nos capacités logistiques et ainsi améliorer grandement l’expérience client”, explique la dirigeante.Pour plus de lisibilité, Decathlon s’apprête aussi à réduire son portefeuille de marques, qui devrait passer de plus de 70 à une dizaine. “Nous avons un vrai savoir-faire, notamment sur les sports de montagne, poursuit Barbara Martin Coppola. En réunissant sous une seule bannière tous nos produits dans ce domaine, notre expertise sera beaucoup mieux identifiée par les clients.” Mais le grand virage que cette bourlingueuse de 47 ans – déjà neuf pays et trois continents à son actif professionnel – veut faire prendre à l’enseigne est d’un autre ordre, presque existentiel : “Nous ne voulons plus être perçus comme une marque de retail, mais comme une marque de sport…”Objectif sportswearLe défi n’est pas mince. Pour espérer rattraper Adidas, puis Nike, le groupe français doit d’abord s’affirmer comme une griffe de sportswear à part entière, de celles qu’on porte indifféremment au stade ou en ville. A Marcq-en-Barœul, c’est au centre mondial du textile de sa marque Domyos que l’offensive s’organise. Les vêtements de demain y sont pensés, prototypés, éprouvés. Comme au B’Twin Village, les clients côtoient les employés, tandis qu’un club de sport accueille plusieurs milliers de licenciés. Dans le cœur du réacteur, des ingénieurs, designers, couturiers et chefs de produit défilent devant un long tableau où sont accrochés les échantillons des 1 250 composants disponibles, première étape dans le développement d’une veste ou d’un pantalon.Au centre de conception Domyos, les chefs de produit disposent de plusieurs centaines de composants pour imaginer leurs futurs vêtements.Chacun a ses vertus : protection contre la pluie, le froid, le vent… Au sous-sol, 13 ingénieurs ont à leur disposition 3 000 mètres carrés de laboratoire pour expérimenter les différents matériaux. Cette équipe dirige aussi les huit autres laboratoires basés à l’étranger et la trentaine de sites partenaires. On y mesure l’imperméabilité, la résistance ou encore la capacité de séchage d’un vêtement grâce à des machines spécifiques. Une “enceinte climatique”, semblable à un four professionnel, est par exemple capable de vieillir du tissu et de simuler en quelques heures plusieurs années d’usage. Dans une autre pièce, une douche géante de 5 mètres de haut reproduit le rendu d’une pluie tropicale. Plus de 2 000 tests sont pratiqués ici chaque année. A l’échelle mondiale, toutes entités confondues, ils se comptent en centaines de milliers.Le sport de haut niveau en ligne de mireLe sport de haut niveau est l’autre terrain sur lequel Decathlon veut affronter ses puissants rivaux. Sa marque Kiprun a ainsi développé, en collaboration avec le géant de l’industrie chimique Arkema, la KD900X, une chaussure de running dotée d’une plaque en carbone d’un prix largement inférieur à ceux de la concurrence. “Nous sommes convaincus que la stratégie de Decathlon est la bonne, à savoir offrir des équipements à tous les sportifs, ceux du dimanche comme les athlètes. Construire des partenariats avec des leaders en matériaux tel Arkema va leur permettre de franchir ce saut de performance qui leur permettra d’atteindre leurs objectifs de croissance”, avance Karen Loyen, directrice de la recherche au niveau mondial pour les polyamides chez le chimiste. Là encore, les intentions sont ambitieuses. “Nous voulons intégrer le top 5 des marques de running dans le monde, et équiper, au départ de chaque course, 10 % des pieds”, détaille Anthony Dulieu, responsable de Kiprun.En vue des Jeux olympiques, Decathlon a aussi créé une équipe de 33 sportifs émérites, dirigée par le recordman du monde du 50 kilomètres marche Yohann Diniz et composée, entre autres vedettes, du judoka Teddy Riner et du champion olympique d’escrime Romain Cannone. Chaque athlète sera bien sûr habillé aux couleurs de Decathlon. Mais certains d’entre eux travaillent étroitement avec le Sportslab de Lille et les équipes de développement pour cocréer leurs futurs équipements. “Tout le monde se surpasse afin de mettre au point le produit le plus performant possible, aussi bien pour le haut niveau que pour un usage intermédiaire ou débutant”, explique Yohann Diniz. A l’avenir, si elle veut briller au firmament du sport, l’enseigne devra y mettre les moyens. “Se battre contre Intersport et contre Nike, ce n’est pas la même gageure. Decathlon a un potentiel de développement incontestable, mais il va falloir que les investissements suivent”, juge l’expert Frank Rosenthal.Le sponsoring pourrait être l’une des clefs. Le français a signé un partenariat avec la NBA, la ligue de basket américaine, en 2021. L’an dernier, il a donné son nom au stade Pierre-Mauroy de Lille, devenu la Decathlon Arena, contre un chèque de 1,2 million d’euros par an. Le distributeur a aussi secoué le monde du tennis en nouant une collaboration entre sa marque Artengo, toute en sobriété, et le tennisman Gaël Monfils, un showman des courts. Le dernier coup d’éclat date de fin novembre : Decathlon est devenu, pour cinq ans, le sponsor principal de la plus grosse équipe française de cyclisme, AG2R la Mondiale. La suite ? Pourquoi ne pas habiller des équipes professionnelles de football avec un maillot Kipsta, à la manière de Puma, Nike ou Adidas ? Après tout, elles jouent déjà avec un ballon de la marque sur les pelouses de Ligue 1 et de Ligue 2. Avec les nouvelles ambitions du nordiste, le match pour la couronne mondiale est relancé.



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Author : Thibault Marotte

Publish date : 2023-12-03 17:00:00

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