Après Corpo celeste, Les Merveilles et Heureux comme Lazzaro, la cinéaste italienne Alice Rohrwacher revenait à Cannes en mai dernier pour la première fois en Compétition avec ce film d’aventures plein de pirates et de pilleur·ses de tombes, dans un style plus proche de Raúl Ruiz que de Raoul Walsh ou Jacques Tourneur.
L’action de La Chimère se déroule en Italie dans les années 1980. Son héros est le bel Arthur (comme Rimbaud), un Anglais hanté par la mort de sa bien-aimée qui possède un don incroyable et magique : il est capable de déceler la présence de cavités, donc de chambres funéraires… Cela lui vaut d’avoir, dans son village du bord de la mer Tyrrhénienne, beaucoup d’ami·es parmi celles et ceux que Fellini auraient appelé des “vitelloni” (des glandouilleur·ses). Voleur·ses de tombes au fond des criques, il·elles revendent leurs trésors à de riches collectionneur·ses, dont un mystérieux Spartaco dont on ne voit jamais le visage.
Une grande fête au village
On retrouve avec plaisir l’univers d’Alice Rohrwacher, son amour des personnages secondaires nombreux, farfelus (dont la toujours sémillante Isabella Rossellini), agités du bocal, poètes de la rue italienne. On dirait que, pour elle, un film se doit d’être une fête de village avec des fanfares de clowns, des personnages qui bougent tout le temps, des amours provisoires, des laissé·es pour compte de la société et des actions secondaires inutiles au récit, mais qui font tout le prix de son cinéma cocasse et foisonnant, vivant.
Et puis il y a toujours chez elle ce goût pour le passé très lointain de son pays, non pas celui des Latins, trop banals, mais pour les Étrusques, les premiers habitant·es d’une partie de l’Italie. Un peuple qui reste aujourd’hui en partie mystérieux, parce que les Latins ont tout fait pour le faire oublier et le déconsidérer, peut-être parce que les femmes y détenaient le pouvoir…
Ces trésors païens qui ravissaient Pasolini, enfermés dans leurs tombes, sont mis au jour pour de mauvaises raisons (l’argent qui dirige notre monde), mais ils font ressurgir des forces spirituelles que l’on croyait mortes et qui n’étaient qu’endormies. Inspiré, cultivé, magique… La Chimère est un très beau film, magique, habité de fantômes éternels.
La Chimère d’Alice Rohrwacher, avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini (It., Sui., Fr., 2023, 2 h 10). En salle le 6 décembre.
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Author : Jean-Baptiste Morain
Publish date : 2023-12-04 07:00:00
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