La COP 28 de Dubaï s’est ouverte la semaine dernière par des discours enflammés des présidents et chefs d’Etat sur la nécessité d’accélérer les efforts pour lutter contre le changement climatique. Emmanuel Macron, Lula, Narendra Modi… Le Premier ministre indien, signe de l’engagement de son pays, a même proposé d’accueillir la COP 33, en 2028. “Le monde entier nous regarde, mère Nature se tourne vers nous pour que nous protégions son futur. Nous devons réussir”, a-t-il plaidé. Quelques minutes plus tôt, il a défendu les efforts colossaux d’une Inde qui aurait trouvé “un modèle pour le monde” dans l’équilibre entre écologie et économie – en oubliant, au passage, les réguliers pics de pollution aux particules fines qui asphyxient la capitale New Delhi. Narendra Modi insiste : les 1,4 milliard d’Indiens, soit “17 % de la population mondiale”, ne représentent que “4 % des émissions”.Problème : il se base sur des chiffres dépassés. Selon la dernière publication de référence (et évaluée par des pairs) du Global Carbon Project, l’Inde compte plutôt pour 8 % des émissions planétaires. Et elles devraient augmenter de 8,2 % en 2023 par rapport à l’année précédente, d’après les projections de ce projet de recherche international. Soit la plus forte hausse d’un pays sur un an, devant une Chine (+ 4 %) qui reste la première émettrice mondiale. Les émissions des contributeurs historiques devraient, elles, baisser : de 3 % pour les Etats-Unis et 7,4 % pour l’Union européenne.Cette dernière a d’ailleurs été dépassée par l’Inde devenue, depuis 2022, la troisième nation qui émet le plus de CO2. Certes, les autorités indiennes pointent souvent le ratio d’émissions par habitant, où elles font bonne figure. Mais “si le développement se poursuit de la sorte, sans changement vers des énergies décarbonées, on va assister à une très forte augmentation des émissions”, prévient Philippe Ciais. Le chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) trace d’ailleurs un parallèle, en termes de trajectoire, “avec le développement de la Chine lors de la dernière décennie”. De quoi inquiéter.”L’Inde ne peut pas survivre sans charbon”L’Inde est souvent saluée, à raison, pour son dynamisme en matière d’installation d’énergies renouvelables. Mais ce bon point dissimule à peine sa très forte dépendance au charbon, qui représente 73 % de son mix électrique. L’augmentation des capacités du solaire et de l’éolien n’a pu répondre l’an dernier “qu’à un quart de la croissance de sa demande d’électricité”, analyse le think tank Ember. Rien d’étonnant, donc, à ce que le Global Carbon Project anticipe pour 2023 une hausse des émissions liées au charbon de 9,5 % (+5,3 % pour le pétrole, +5,6 % pour le gaz naturel). L’Inde n’est pas prête à se passer de la houille et n’hésite pas à le faire savoir. A la COP 28, le pays s’est dit favorable à un triplement des énergies renouvelables d’ici 2030. Mais il a refusé de signer l’engagement global, ratifié par 116 nations, en raison d’une formulation synonyme de ligne rouge sur… le charbon. Le document appelle en effet à “l’arrêt progressif de la production d’électricité à partir du charbon”. C’est une priorité de nombreux pays à la COP, dont la France, Emmanuel Macron ayant déclaré “vouloir engager un virage absolu, majeur et complet sur ce sujet”.”L’Inde ne peut pas survivre sans charbon, elle n’a pas d’autres options”, tranche dans une note Rashika Gupta, analyste Climat et développement durable à S & P Global. L’Etat le plus peuplé du monde a encore dans les cartons des projets de nouvelles centrales électriques au charbon et fait partie des trois plus grands producteurs de houille, avec la Chine et l’Indonésie, qui ont tous généré des quantités records en 2022, selon l’Agence internationale de l’Energie (AIE). Face à une telle dépendance, Narendra Modi a fixé la neutralité carbone à 2070, 20 ans après la plupart des pays riches. Or pour limiter l’augmentation de la température mondiale au fameux seuil des 1,5 °C, l’AIE estime que l’Inde devrait décarboniser totalement son électricité pour 2040 et tendre au “net zero” dix ans plus tard.Déjà malmené, cet objectif de l’Accord de Paris paraît s’éloigner toujours plus. “Il n’y a aucun signe de la diminution rapide des émissions mondiales qui est nécessaire pour lutter contre le changement climatique”, constate, lucide, le Global Carbon Project. Pire : les émissions de CO2 provenant de la combustion d’énergies fossiles vont atteindre un nouveau record en 2023 (+1,1 %). Si les niveaux actuels persistent, il y a une chance sur deux que le réchauffement de 1,5 °C soit dépassé de manière constante dans 7 ans. Et la barre des 1,7 °C dans 15 ans.
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Author : Baptiste Langlois
Publish date : 2023-12-05 00:01:00
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