De mémoire récente, on n’avait jamais connu autant de résurrections successives en une seule année musicale. D’Everything but the Girl après un hiatus de vingt-quatre ans (le superbe Fuse par Tracey Thorn et Ben Watt, les deux Hibernatus de la pop britannique) à Isabelle Adjani, qui a patienté quarante (!) années pour publier un second album riche de duos prestigieux (du regretté Christophe à Daho, de Benjamin Biolay à David Sylvian).
D’un Mike Skinner alias The Streets, silencieux depuis douze ans, à Blonde Redhead, mutique depuis presque une décennie ; de Blur, se réinventant encore une fois dans sa formation originelle avec The Ballad of Darren, au comeback attendu de l’iconique PJ Harvey (notre reine d’Angleterre depuis sa première couverture des Inrockuptibles en 1992) ; des mésestimés shoegazers de Drop Nineteens, perdus de vue depuis une trentaine d’années, au chanteur bouleversant de Midlake, Tim Smith, disparu depuis deux septennats : les exemples pleuvent comme à Gravelotte – et encore, on ne les énumère pas tous ici par souci d’un trop-plein de name dropping.
Gorillaz, Blur, les Libertines et même les Stones
Auteur d’un étonnant doublé avec Gorillaz et surtout Blur (muet depuis huit ans), Damon Albarn évoquait ce comeback comme une cure de jouvence : “D’une certaine façon, ce disque me rappelle pourquoi la tournée se passe si bien ; j’ai l’impression qu’on est revenus en 1993, à l’époque où nous sortions Modern Life Is Rubbish. Un temps béni pour nous.” Pour ne rien gâcher, ces artistes ont livré quelques disques parmi les plus enthousiasmants de 2023, comme l’atteste notre top albums de la rédaction.
Même les Libertines, après leur reformation triomphale en 2014 (suivie en 2015 d’Anthems for Doomed Youth), sont revenus au creux de l’automne avec le stimulant nouveau single Run Run Run (titre homonyme d’un tube de Phoenix), promettant un quatrième chapitre discographique pour le printemps 2024.
Le doublé météorique de Bar Italia, fascinant trio londonien qui conjugue Sonic Youth, Slint et le Velvet au présent
Sans oublier les papys du rock, The Rolling Stones, de retour avec un vingt-quatrième album, Hackney Diamonds, leur premier disque original depuis 2005 et leur premier aussi sans feu Charlie Watts (sauf sur deux titres) – d’aucuns trouvant que les diamants sont éternels pendant que d’autres n’en ont pas cru leurs Sonotone. Heureusement, le rock UK continue de briller, comme en atteste le doublé météorique de Bar Italia, fascinant trio londonien qui conjugue Sonic Youth, Slint et le Velvet au présent.
Dans une année 2023 où l’on aura vu émerger en France Zaho de Sagazan, jeune et prometteuse chanteuse de Saint-Nazaire consacrée de manière foudroyante avec l’unanimement acclamé La Symphonie des éclairs, Étienne Daho est revenu nous promettre de Tirer la nuit sur les étoiles. Son velouté de voix reconnaissable entre mille nous a bercé·es comme rarement sur le renversant single Boyfriend et l’irrésistible Comme deux aimants. Plus souterrains, les chanteurs d’ici (Stéphane Milochevitch, Forever Pavot, Gaétan Nonchalant) et d’ailleurs (Charif Megarbane) auront tenu leur rang.
On n’aura jamais vu autant d’affiches alléchantes à l’Accor Arena
Mais au mois de mai, on est passé de l’amour aux larmes en apprenant la mort soudaine de Jean-Louis Murat, un jeudi sombre où la nouvelle de la disparition du génie auvergnat nous a bouleversé·es au-delà de tout, six mois seulement après l’avoir revu une dernière fois dans les loges d’un concert à Montreuil et à la veille de la parution du tout premier best of de sa carrière qu’il s’était longtemps refusé à envisager, lui qui abhorrait regarder dans le rétroviseur de sa discographie.
En 2023, la Grande Faucheuse nous aura aussi retiré David Crosby, Tom Verlaine, Burt Bacharach, Ryūichi Sakamoto, Astrud Gilberto, Jane Birkin ou encore Sixto Rodriguez – autant de voix familières nous accompagnant depuis des années, des décennies…
“D’une certaine manière, l’Accor Arena est devenu le nouvel Olympia, comme un passage obligé” Étienne Daho
Au-delà du gigantisme des concerts, de la démesure des tournées, de l’inflation des cachets, symptomatiques d’une époque où les groupes et artistes gagnent leur argent sur scène plutôt que chez les disquaires, on n’aura jamais vu autant d’affiches alléchantes à l’Accor Arena (de Juliette Armanet à Björk, de l’habituée Madonna à Benjamin Biolay, de Queens of the Stone Age à Étienne Daho), alors que le palais omnisports de Paris-Bercy était autrefois seulement réservé aux seuls poids lourds internationaux et hexagonaux.
“D’une certaine manière, l’Accor Arena est devenu le nouvel Olympia, comme un passage obligé”, reconnaissait dans nos colonnes le pape de la pop française avant d’y chanter pour la première fois de sa carrière pour son Daho Show.
Sa majesté Polachek
Un autre fait notable de l’année écoulée est de tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, autrement dit de commencer par les plus grandes salles de concert pour finir dans les plus petites, comme un adieu intimiste nécessaire pour son public (de Juliette Armanet passant de l’Accor Arena à La Cigale à Flavien Berger passant de l’Olympia au Point Éphémère).
En cette année où l’on aura doublement célébré le dixième anniversaire de l’immense et inusable Random Access Memories de Daft Punk (en version expansive, découvrant ainsi l’addictif Infinity Repeating avec Julian Casablancas, puis en version sans batterie), notre mémoire neuve aura infusé le très grand album pop moderne de 2023, Desire, I Want to Turn Into You de Caroline Polachek.
En point d’orgue de son année stratosphérique un single inédit
Un album qui, au passage, est paru le jour de la Saint-Valentin et devenu enfin disponible chez les disquaires neuf mois après sa sortie officielle – autre symptôme de l’époque déjà constaté depuis 2021 et lié aux retards répétés des usines de pressage de vinyles, qui font face à une pénurie des matières premières et à une demande exponentielle des labels. Mais revenons à la musique et donc à Desire, I Want to Turn Into You, où l’ex-chanteuse de Chairlift rayonne de bout en bout, se joue de tous les styles et déjoue tous les codes.
Entre tubes évidents (la révolution solaire de Sunset toujours active depuis l’automne 2022), ballades syncrétiques et morceaux hybrides, Caroline Polachek chante la pop du futur avec une maestria renversante et une énergie communicative. Et comme la trentenaire new-yorkaise a de la suite dans les idées, elle a livré en point d’orgue de son année stratosphérique le single inédit Dang pour boucler la boucle de Pang, son premier album d’avant la pandémie. Dès janvier, on avait pris les paris à raison : 2023, année Polachek et mat.
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Author : Franck Vergeade
Publish date : 2023-12-06 08:00:00
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