La plupart des enseignants sont confrontés au problème de la différence de niveau des élèves de leur classe. Pour une part d’entre eux et de beaucoup de parents d’élèves, les solutions semblent évidentes : faire redoubler ceux qui n’ont pas le niveau pour suivre dans la classe supérieure, instaurer des classes ou groupes de niveau pour restaurer une certaine homogénéité et rendre l’enseignement plus cohérent. Pourtant, ces deux mesures font partie des “légendes pédagogiques” que les travaux de recherche ont remis en cause depuis longtemps. Des recherches qui ont, en partie, contribué à faire grandement baisser le taux de redoublement en France ces 50 dernières années.Évolution du retard à l’entrée en sixième, en pourcentage, hors Segpa et hors Ulis en France métropolitaine, DROM, dans le Public et le Privé sous contrat.Aujourd’hui, le redoublement est-il encore trop élevé, au bon niveau ou trop bas ? Personne n’en sait rien. En effet, les études sur l’efficacité du redoublement donnent des résultats hétérogènes : parfois positifs, souvent négatifs ou nuls. La méta-analyse la plus récente indique d’ailleurs que l’effet moyen, à travers les 84 études analysées, est nul. Plus exactement, ces travaux nous disent que le redoublant moyen ne progressait pas plus en restant dans la même classe qu’en passant dans la suivante. Mais il ne s’agit que du redoublant moyen. Autour de lui, une petite moitié des redoublants progressaient moins que s’ils étaient passés dans la classe supérieure, et une autre petite moitié progressait plus. Autrement dit, selon les données examinées par les études de recherche, trop d’élèves redoublaient.Mais ce qui était vrai dans un contexte à haut taux de redoublement (en 2005 en France, 17 % des élèves entrant en sixième avaient redoublé au moins une fois) ne l’est pas nécessairement dans un contexte à faible taux de redoublement (4 % en 2021), parce que la population de redoublants n’est plus la même. Plus on limite le redoublement aux élèves de très faible niveau scolaire, plus il y a de chances que leur niveau soit trop éloigné de la classe supérieure pour qu’ils puissent en bénéficier. La bonne question à se poser est donc : à partir de quel décalage entre le niveau scolaire de l’élève et le niveau attendu, ou à partir de quel pourcentage de redoublants, l’effet négatif du redoublement s’annule-t-il et devient positif ? Réexaminer les données de recherche sous cet angle serait une manière rationnelle de déterminer un taux de redoublement optimal, à chaque niveau.Un redoublement coûte 9360 euros en moyenneCette question aurait un intérêt académique certain. Mais elle devient quelque peu futile lorsque l’on se préoccupe du rapport bénéfice/coût. En effet, un redoublement est équivalent à une année entière de scolarité, soit 9360 euros en moyenne en 2021. Pour un coût inférieur, de multiples autres solutions plus efficaces existent, comme par exemple le tutorat individuel pour aider les élèves en difficulté scolaire, en prévention ou en remédiation d’un décrochage. Encore faudrait-il que l’on réinvestisse au moins une fraction des économies réalisées grâce à la baisse des redoublements dans de telles interventions.En conclusion, du point de vue de la pure efficacité, on ne sait pas ce qui, de baisser encore le taux de redoublement ou de l’augmenter à nouveau, aurait le meilleur effet sur les apprentissages des élèves. En revanche, du point de vue de l’efficience, il fait peu de doute qu’augmenter les redoublements aurait un coût démesuré par rapport au bénéfice éventuel et qu’un tel investissement financier serait bien mieux employé dans d’autres traitements de la difficulté scolaire.”On peine à comprendre que le consensus scientifique n’ait pas été suivi par le ministre”Les résultats scientifiques ne prescrivent pas la politique éducative, néanmoins les meilleures décisions politiques, en éducation comme en santé, sont celles qui sont dûment et complètement informées par les connaissances scientifiques consultées en amont des décisions. Sur un sujet sur lequel le consensus scientifique est tellement clair et sur lequel plusieurs membres du conseil scientifique de l’éducation nationale ont alerté, on peine à comprendre qu’il n’ait pas été suivi par le ministre. On peut craindre que les élèves en situation de handicap ne soient les premières victimes d’une augmentation des redoublements, mesure tellement plus aisée (mais tellement moins efficace) que l’inclusion pleine et entière avec aménagements, adaptations et pédagogie différenciée.La prudence voudrait maintenant que cette nouvelle politique soit expérimentée localement et évaluée rigoureusement avant d’envisager une généralisation, ce qui devrait être la démarche par défaut avant toute réforme d’ampleur aux conséquences incertaines.Franck Ramus est Directeur de recherches au CNRS et directeur de l’équipe “Développement cognitif et pathologie” au sein du laboratoire de sciences cognitives et psycholinguistiques de l’Ecole normale supérieure à Paris.
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Author : Franck Ramus
Publish date : 2023-12-06 06:00:00
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