Après les grandes annonces des premiers jours, les négociations à la COP 28 de Dubaï, aux Emirats Arabes Unis, entrent dans le dur. Dès les premières heures, la conférence de l’ONU sur le climat avait surpris par sa capacité à obtenir des consensus rapides sur des dossiers brûlants. Financement opérationnel des pertes et dommages (les dégâts irréversibles du changement climatique), mais aussi réduction des émissions de méthane, ou triplement des énergies renouvelables… Les annonces s’étaient succédé à un rythme effréné, au point de susciter un espoir quasi inexistant avant le début du sommet.Jeudi 7 décembre les négociations ont marqué une pause avant d’entamer, dès ce vendredi, la seconde partie de la COP, qui doit prendre fin le 12 décembre. Négociateurs, ministres, chefs d’Etat et ONG… Tous peuvent souffler, du moins en apparence, car c’est désormais un dossier bien plus brûlant qui est en discussion : l’avenir des combustibles fossiles. Un sujet extrêmement sensible où les intérêts des pays producteurs et des consommateurs se mêlent, et où chaque déclaration est scrutée de près. “Les consensus sont toujours difficiles à obtenir dans les COP, mais ce qui est nouveau ici, c’est le caractère particulièrement clivant et central de la sortie des énergies fossiles”, souligne Sébastien Treyer, le directeur des programmes à l’Institut du développement durable et des relations internationales.En cause : les multiples facettes des problématiques locales concernant la transition énergétique, la protection de l’environnement, et les contextes politiques. Longtemps, la ligne de fracture dans les discussions est restée relativement simple entre les pays industrialisés et les pays émergents. Mais sur la place accordée au gaz, l’avenir du pétrole, ou la fin du charbon, les points de vue divergent. “La ligne de fracture n’est pas uniquement Nord-Sud, mais plutôt entre Etats qui possèdent des ressources (pétrole, charbon, gaz), et ceux qui n’en ont aucune”, souligne François Gemenne, politologue et membre du Giec.Les complexes discours des pays producteursC’est dans le texte sur le “bilan mondial” (Global Stocktake en anglais), que devrait se concentrer le message de cette COP 28 sur les énergies fossiles. Un bilan réalisé près de 10 ans après l’accord de Paris, et qui doit déterminer le chemin parcouru et les efforts à réaliser pour relever le défi de contraindre le dérèglement climatique. C’est donc aussi sur ce texte que s’illustrent les points de blocage, et en particulier le paragraphe relatif à l’énergie, qui évoquait lors d’une première version l’élimination progressive des combustibles fossiles.En témoignent les mots du représentant de l’Arabie saoudite, qui s’oppose à toute mention de l’élimination progressive, expliquant le “traumatisme” que représenterait le fait d’expliquer sa position sur l’énergie. Le pays est aujourd’hui le premier exportateur de pétrole brut au monde, et compte bien assurer un avenir à son économie. La présence de pays du Nord, producteur de pétrole et de gaz, peut également complexifier les déclarations. Parmi eux, les Etats-Unis, l’Australie, ou encore le Canada, qui communiquent largement sur leurs actions pour lutter contre le changement climatique, mais se montrent plus frileux à aborder la question de la fin des énergies fossiles. En septembre, la production américaine de pétrole brut a atteint un nouveau record historique avec un pic à 13,2 millions de barils par jour, confirmant leur place de premier producteur mondial, et ajoutant des incertitudes quant à leur communication pourtant bien huilée autour des énergies renouvelables.”Les Etats-Unis restent le premier pays producteur de pétrole et gaz, mais en plus ils accélèrent : toutefois, s’ils défendent une sortie des énergies fossiles, cela peut s’expliquer par leur volonté de développer d’autres secteurs de leur économie, identifiés comme étant beaucoup plus porteurs pour l’économie de demain. Mais c’est probablement insuffisant”, nuance Sébastien Treyer.Le charbon en ligne de mireLe très lucratif pétrole n’est pas le seul à diviser. Le “roi charbon”, fait lui aussi largement parler. Et malgré les velléités françaises à engager un mouvement pour la sortie de cette source d’énergie – la plus polluante – certains pays continuent d’entraver ces ambitions. Ainsi, l’Inde, qui compte pour environ 8 % des émissions planétaires, selon l’ONG Global Carbon Project, y reste encore largement accro et s’oppose à toute déclaration sur une sortie. Cette ressource fossile représente 73 % de son mix électrique, et elle ne devrait pas disparaître de sitôt. “L’Inde et la Chine ont tous deux des secteurs importants liés au charbon qui fournissent de l’électricité au pays et à leur économie, et des emplois”, souligne Sébastien Treyer. Toutefois, les deux pays ont aussi un secteur présent dans les énergies renouvelables très actif, ce qui plaide leur cause sur la scène internationale. “L’Inde est plus inquiète que la Chine concernant la sortie du charbon, parce qu’elle a une bien moindre puissance de feu financière pour développer ses énergies vertes. C’est donc l’Inde qui porte le message à l’international selon lequel le charbon est l’énergie des pays en situation de rattrapage économique, ce que la Chine ne peut plus faire avec la même crédibilité que dans le passé”, ajoute le spécialiste.Un seul groupe de pays demande activement l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles. Dénommée “Coalition pour une ambition élevée”, on y retrouve des représentants des petites îles menacées par le changement climatique, comme Tuvalu, les Samoa, ou encore de la Barbades ; mais aussi des pays du Nord, comme l’Autriche, la Belgique ou la France, ou encore des pays qui ont engagé une transition énergétique laissant percevoir un sevrage crédible des énergies polluantes.Ces dissensions entre les intérêts de chacun laissent planer le doute sur l’adoption d’un texte robuste sur la sortie des énergies fossiles. Mais plus qu’une déclaration contraignante, la finalisation d’un accord évoquant ces combustibles serait une première dans l’histoire des COP. “Ce serait surtout un signal envoyé aux marchés et aux entreprises, sur la direction que doivent prendre les pays. Cela peut influencer la perception de l’avenir par l’industrie fossile et commencer à engager son déclin”, souligne Lola Vallejo, la directrice du programme climat de l’Iddri.
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Author : Valentin Ehkirch
Publish date : 2023-12-08 04:30:00
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