En 2023, tout convergeait vers cette interrogation latente : qu’attend-on au juste de l’art ? Un divertissement inoffensif ou une société alternative ? S’échapper ou s’engager ? Abdiquer ou lutter ?
En janvier, au Centre Pompidou, au format éphémère de festival et au niveau -1, gratuit et à vocation de forum public, se tenait la 18e édition du festival Hors Pistes, consacrée aux images du présent, et qui abordait de front celles de la guerre. La guerre en Ukraine donc, ses captations d’amateur·rices et ses témoignages au smartphone qui, depuis le tournant visuel participatif des Printemps arabes de 2010, aura donné lieu à ce que l’un des artistes de l’édition, Émeric Lhuisset, qualifie de “post-documentaire”. Un autre monde de l’art, celui des images : pas forcément des œuvres, car méfiantes des critères et des institutions, sur internet et via les réseaux, par tous·tes et pour tous·tes ceux et celles qui se pensent artistes au présent, amateur·rices aussi, tentant d’en vivre et de s’assembler autrement.
C’étaient ces images précaires, floues et pixellisées, mais c’était aussi, dès février, la grande rétrospective de Thomas Demand au Jeu de Paume. Lui, l’artiste allemand aux trois décennies de carrière, n’avait rien d’un digital native. Il s’était fait connaître par la reconstitution en papier à échelle 1 de photographies de presse, qu’il photographiait ensuite pour ne garder comme œuvre que cette dernière étape. Manière de pointer la fabrique de l’histoire (son “bégaiement”, indiquait le titre) et de la mémoire par les médias, de voir apparaître cet autre monde de l’art également : une éducation aux images, une conscience aiguë que l’art, finalement, trouve sa place en permettant de se mettre à l’écoute de leur langage touffu, de leurs murmures ambigus, hors des enjeux coups de poing de l’actualité qui va vite et frappe fort.
Mythologies du contemporain
Entre-temps, au printemps, l’intelligence artificielle déboulait dans les débats. C’était encore une question de nouvelles images à déchiffrer, précisément ce qui serait le domaine des jeunes artistes, si ce n’est qu’au même moment la précarisation des écoles d’art explosait, épisode 1000. La grève et le blocage des écoles d’art (Beaux-Arts de Paris, École nationale supérieure des arts décoratifs, Villa Arson, pour ne citer qu’elles) ont accompagné la grève des retraites par leurs propres revendications : certaines écoles allaient fermer (l’Ésad Valenciennes, l’Éesi Angoulême-Poitiers), toutes demeuraient précarisées. “Il n’est plus suffisant de faire des œuvres engagées, il faut rallier le combat là où il se trouve”, énonçait le texte lu le 6 avril par une soixantaine d’artistes, enseignant·es et travailleur·ses de l’art venu·es pirater le discours de réouverture du musée d’Art contemporain de Marseille.
À la rentrée, au musée d’Art moderne, face à l’exposition des peintures inégales et assez décoratives de Nicolas de Staël, s’ouvrait surtout la première rétrospective en France de la peintre Dana Schutz. Le Monde visible, son titre, était encore une histoire d’images. D’un monde violent, écocide, grignoté par le capitalisme et les génocides. Mais chez l’Américaine, la représentation n’abdiquait pas la grande peinture d’histoire, la citation de l’histoire de l’art, mêlée cependant aux images des médias, aux tourments des individus d’aujourd’hui.
Certes, pour remixer la peinture avec les médias, accorder l’histoire de l’art à la culture visuelle et tenter de faire émerger les mythologies du contemporain, encore faut-il sauver les écoles d’art, assurer aux artistes de demain un moyen de subsistance – l’horizon est aussi celui, qui n’adviendra pas de lui-même, certainement pas sans luttes sociales, d’une possible conciliation des mondes.
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Author : Ingrid Luquet-Gad
Publish date : 2023-12-09 18:00:00
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