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Le pape François, héraut du climat ?

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Réunions interminables et tendues, batailles de mots épuisantes, colères feutrées superposées aux discours alarmants des scientifiques… A la COP 28, la sérénité émanant du “Pavillon de la foi” tranche avec la frénésie générale. Lové dans un bâtiment en verre teinté, l’espace offre réflexion et tranquillité aux curieux venus échanger avec les différents responsables religieux. Les visiteurs auraient même pu y croiser le pape François, qui avait planifié de longue date son déplacement avant d’y renoncer en raison de son état de santé. Cette visite lors d’une COP aurait été une première pour un chef de l’Eglise catholique. La confirmation, surtout, que le souverain pontife a largement embrassé la cause écologique. Mais c’est à distance, par un message engagé lu par le secrétaire d’Etat du Saint-Siège, que le pape a finalement pris la parole. Exhortant à “sortir des contraintes, des particularismes et des nationalistes, des modèles du passé”, il a appelé à “adopt[er] une vision commune en nous engageant tous maintenant et sans délai pour une nécessaire conversion écologique mondiale”. François serait-il le premier pape vert ?La question, ainsi posée, agace le frère Thomas Michelet. “Tous, chrétiens compris, s’extasient comme s’il était le premier à parler d’écologie”, soupire le vice-doyen de la faculté de théologie de l’université pontificale Saint-Thomas d’Aquin, qui a consacré un ouvrage à la relation entre les souverains pontifes et l’écologie. La pensée papale sur le sujet perlait déjà dans les réflexions et écrits éparpillés de Jean-Paul II ou Benoît XVI, rappelle-t-il. Mais François a marqué un changement majeur dans la mise en lumière de la crise climatique et la manière d’en parler – “un génie de la communication”, reconnaît le dominicain. En mai 2015, une encyclique, lettre solennelle du pape adressée à toute l’Eglise catholique, fait l’effet d’une révolution. Baptisée Laudato si’ (Loué sois-tu), elle développe pour la première fois la notion d’écologie intégrale. “Si l’encyclique Rerum novarum a marqué le début de la doctrine sociale sur les questions ouvrières et de justice à la fin du XIXe siècle, Laudato si’ a ouvert un nouveau champ en déclarant que la justice sociale ne peut pas s’exonérer de justice écologique”, analyse Laura Morosini, directrice Europe de Laudato Si’, un mouvement environnementaliste et chrétien né de cet appel.Dieu, l’humain, et la natureLa première pierre écologique posée par un souverain pontife remonte pourtant à 1970. Devant l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à Rome, Paul VI évoquait déjà l’éventualité d’une “catastrophe écologique” future. Une prise de position avant la lettre qui étonne encore par sa résonance très contemporaine. “Quand on relit ce discours, on se demande s’il n’a pas été écrit pour évoquer la situation que l’on vit”, admet Xavier Gravend-Tirole, professeur adjoint de spiritualité et éthique religieuse à l’université de Montréal. Cette parole que seuls quelques théologiens gardaient en mémoire resurgit à l’aune de l’engagement actuel. Après cinquante ans à prêcher dans le désert, résume Thomas Michelet, l’Eglise a trouvé en François un porte-voix rêvé. En octobre, quelques semaines avant le début du sommet climat de Dubaï, le pape a réitéré avec un nouveau texte très “vert”, aux accents anticapitalistes, dans lequel il appelle, comme en 2015, à préserver la “maison commune”. “Nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effondre et s’approche peut-être d’un point de rupture”, écrit-il, reprenant ainsi des concepts défendus par les écologistes et les scientifiques.Loin d’une analyse éthérée de la crise climatique, dénonçant son “origine humaine”, le pape François a surpris par sa capacité à tirer un constat clair et pédagogue des bouleversements à l’œuvre. Une réussite qui s’explique par sa méthode, détaillée à Elena Lasida lors d’une rencontre au Vatican. “Pour rédiger Laudato si’, il a d’abord demandé un panorama des connaissances scientifiques, et seulement ensuite a réuni les théologiens”, retrace la professeure de l’Institut catholique de Paris. Alors que science et religion ont souvent été opposées, l’ordre à son importance. Le pape valide ainsi l’apport de la première comme point d’appui pour l’évolution de la seconde. Car plus que sur la forme et l’emploi d’expressions bien senties, François a entamé plusieurs inflexions sur le fond. Peut-être la plus importante : sa réflexion sur l’interdépendance entre l’humain et son environnement. Un concept dont l’expression “tout est lié” est la traduction. “Il compose un triptyque entre Dieu, le monde humain et le monde de ce qu’on appelle la nature, qu’il pense de manière pointue”, insiste Xavier Gravend-Tirole.Spiritualité de la sobriétéEst-ce cette notion d’interdépendance qu’il venait distiller au royaume des autoroutes géantes, des îles artificielles et des 4×4 roulant la clim’ à fond ? Dans cette grande chambre de négociations où se percutent les intérêts des pays et des industriels, François était attendu pour délivrer un discours plus universel. “Sa présence aurait été un vrai signal envoyé au monde. Il porte un message puissant qui pose des balises morales essentielles”, évoque le politologue François Gemenne, membre du Giec. De même que les responsables d’ONG et des scientifiques, les représentants des cultes peuvent obtenir le statut d’observateur à la COP. Une position qui leur permet de participer aux tables rondes, de suivre les discussions et de rencontrer les délégations. Avec un réel poids sur les décisions ? “Difficile de dire comment se traduit concrètement cette influence. Le pape n’a pas un pouvoir politique direct, mais il peut avoir des effets sur certains responsables politiques”, tempère le professeur de l’université de Montréal.Respect de l’autre, solidarité, et justice… Le pape François fait résonner les valeurs fondamentales de l’Eglise. Et dans un monde en transition, empreint d’aspirations à la sobriété, cette parole rencontre un nouvel écho. De Greta Thunberg à Emmanuel Macron, en passant par Sultan al-Jaber, le président émirien de la COP 28, il rencontre et échange avec des personnalités de premier plan pour faire infuser son message. “Il pose la question de comment se transformer intérieurement, comment cultiver une spiritualité de la sobriété, de la tempérance… Et donc de la sortie de la société de consommation”, décrit Xavier Gravend-Tirole.L’Eglise à l’avant-gardeLoin des enceintes feutrées des conférences climatiques, c’est davantage dans la vie quotidienne de l’Eglise et de ses ouailles que l’empreinte verte du pape trouve des implications concrètes. Les initiatives se multiplient depuis l’encyclique. En France, le mouvement Eglise verte, lancé en 2017 pour accompagner les infrastructures catholiques (églises, monastères, maisons diocésaines) dans leur transition écologique, compte aujourd’hui 850 communautés labellisées. Et cette conversion ne se limite pas à des écogestes locaux : les institutions religieuses suivent la marche. En 2021, plus de 70 d’entre elles, représentant 4,2 milliards de dollars d’actifs, ont annoncé se désinvestir des énergies fossiles. “Les déclarations du pape ont eu un effet très clair, défend Laura Morosini, du mouvement Laudato Si’. Cela envoie un signal fort aux industriels en déclarant qu’investir chez eux n’est pas neutre et que cela nous pose un problème moral, au même titre que la prostitution ou le commerce des armes.”Malgré les efforts, le chemin est encore long. Le discours peine encore à embarquer les fidèles en masse, confirme un sondage Ifop paru en septembre : 52 % des catholiques pratiquants français estiment qu’il est du rôle de l’Eglise de parler environnement et changement climatique. “On a parfois dit que l’Eglise était en retard sur la société. Mais au sujet de l’environnement, elle est avant-gardiste par rapport à ce que font des chrétiens, encore trop timorés”, estime Xavier Gravend-Tirole. De quoi largement justifier sa place à la grand-messe du climat.



Source link : https://www.lexpress.fr/environnement/le-pape-francois-heros-du-climat-7IRF7YS3RFD7VKIXUPLIID4ISI/

Author : Valentin Ehkirch, Baptiste Langlois

Publish date : 2023-12-10 07:45:00

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Tags :L’Express

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