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Delphine Ernotte, une obstinée à France TV : liens avec l’Elysée, programmation, réformes

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Quand, en juillet 2020, Delphine Ernotte Cunci brigue un deuxième mandat à la tête de France Télévisions, elle annonce à son comité de direction cesser de se teindre les cheveux – place au gris quinquagénaire, queue-de-cheval dégageant son visage décidé. Emoi de son entourage. Sa directrice de la communication, dont le sac à main contient déjà des stylos colorants pour retoucher les mèches, tâche de lui faire entendre raison, mais elle tient bon et mène ses entretiens devant le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) affichant sa chevelure naturellement argentée.La présidente de France Télévisions – 9 000 salariés, 2,4 milliards d’euros de dotation –, détestera lire cette anecdote, jamais, s’agacera-t-elle, on n’écrirait un truc pareil si elle n’était une femme, elle songera que tout, décidément tout, est toujours et partout combat politique. La résolue a ainsi abandonné le chic bureau dévolu au big boss, bibliothèque encastrée et vue circulaire sur la Seine, pour fabriquer un open space directorial, soit quatre tables collées, où elle reçoit, frissonnant dans sa veste pistache, la température demeurant frisquette au huitième étage de l’immeuble vitré. Première femme à diriger le groupe de télévision public, et première reconduite à ce poste, elle décrit un quotidien “heureux, passionnant” au cœur duquel toutefois on lui ferait payer de “ne pas être du sérail”, comprendre : être femme et ingénieure dirigeant une cohorte de saltimbanques. En guise d’exemple, elle mime cette conversation avec une personnalité de haut vol – dont elle refuse de confier le nom – qui s’adressa obstinément à son directeur des programmes, Stéphane Sitbon-Gomez, 36 ans, et non à elle. Non sans drôlerie, elle reproduit le regard du coupable glissant devant le sien au profit de celui de son mâle bras droit. Ce dernier abonde, pointant “ces messieurs qui veulent la voir se planter et qui ne supportent pas qu’elle soit une patronne et non une suiveuse”.Plus mesurée que son fougueux et, aux dires de tous, doué adjoint, elle explique être habituée à cette singularité, la rançon de ses talents contraires. Scolarisée à Ville-d’Avray (Hauts-de-Seine), préparationnaire à Versailles, la cadette d’une fratrie de trois, (sœur normalienne adjointe d’Anne Hidalgo et frère chirurgien), dessine, aime les maths, savoure la physique et joue du théâtre. Quand elle choisit Centrale et non les Mines, son père, médecin et fils de cheminot, ayant grandi dans l’admiration des centraliens de la SNCF, fond en larmes. Elle dit avoir préféré l’école dont le théâtre occupe une chapelle désaffectée, là où les Mines ne proposent qu’une salle de cours. Mariée à 23 ans, la diplômée juxtapose aussitôt son nom de naissance Cunci à celui de son époux, comédien. La voici Ernotte Cunci, sans trait d’union, “il est à moi ce nom”, et à elle seule, ses deux enfants – elle est jeune grand-mère – ne portant que l’Ernotte paternel. Ensuite, sa carrière déroule, vingt-cinq ans chez Orange, (ex-France Télécom), où l’unique centralienne parmi une flopée de polytechniciens caracole et fait la connaissance de Thierry Breton, toujours l’un de ses meilleurs amis.Des réformes à marche viveLa présidente de France Télévisions Delphine Ernotte lors d’une conférence de presse, le 4 juin 2018 à ParisDécidée à briguer en juillet 2025 un troisième mandat, elle s’apprête à affronter ses rivaux, dont la liste bruisse : Sibyle Veil, patronne de Radio France, Bruno Patino, le patron d’Arte, ou même Justine Planchon, n° 2 de Mediawan, dont les époux Macron ont en 2017 apprécié le documentaire consacré à la première campagne électorale. “Cette perspective est très lointaine pour mon quotidien”, balaie Delphine Ernotte Cunci. Ce qui n’est pas un démenti. A-t-elle ses chances ? En 2020, elle ne dut sa prolongation qu’à l’intervention du désormais commissaire européen Thierry Breton, qui, quinze jours avant le vote de l’Arcom, convainquit Emmanuel Macron de, malgré tout, lui faire confiance, et tant pis pour son rival, Christopher Baldelli, alors n° 1 de RTL, aujourd’hui à la tête de Public Sénat. Breton n’eut pas de mal à plaider que reconduire une femme était judicieux quand à la tête d’Arte, un homme (Bruno Patino) venait d’être nommé successeur d’une femme (Véronique Cayla). Ainsi fut fait, après un vote très serré, où l’ingénieure obtint la majorité à une voix.La bosseuse sachant reprendre son souffle devant son tour de poterie – elle possède dans sa maison de la Nièvre un four à céramique – peut afficher un honorable bilan. D’abord, elle tient ses budgets, préservant l’équilibre d’exploitation alors que la dotation de l’Etat a baissé de 160 millions d’euros entre 2018 et 2002, effectifs réduits de 10 % en cinq ans, 1 300 départs, et la ferme réforme du réseau France 3. Finis les JT nationaux sur cette chaîne remplacés par des éditions 100 % régionales et des matinales communes avec France Bleue, un tour de force. “Chez elle, il y a toujours ce plaisir de décider et l’envie d’aller vite”, analyse Christian Vion, directeur général adjoint, grelottant lui aussi sous sa doudoune. Autres chantiers, réalisés à marche vive : la suppression des directeurs de chaîne, la réorganisation de la direction antenne et programmes, et surtout la fusion des rédactions France 2 et France 3. A son arrivée en 2015, ces deux équipes ne s’adressent pas la parole, fumant leurs cigarettes dans deux espaces distincts. “Une réforme tectonique faite en dix-huit mois là où tout le monde en parlait sans rien faire depuis quarante ans”, salue Alexandre Kara, le directeur de l’information, cinquième à ce poste en huit ans.Et puis, le lancement de Franceinfo, la chaîne d’info continue, montée là encore en un an. Audiences calamiteuses cependant, alors même que jamais les chaînes d’info ne se sont aussi bien portées. “On a choisi un ton apaisé, on n’a pas mis du rouge qui pète et de l’info creuse tournant en boucle, ceci dit la chaîne manque de points de repères, nous nous en occupons”, rétorque-t-elle. Prochaine manœuvre à son calendrier : rassembler tout France Télévisions en un seul site, la fin des 100 000 mètres carrés éparpillés en 16 adresses. En 2025, tout le monde à Balard où, en plus du siège historique, seront loués deux immeubles voisins, l’un propriété d’HSBC, et l’autre d’Altice.”J’ai beaucoup transformé cette maison””J’ai beaucoup transformé cette maison, mais je ne pense jamais à ce que j’ai fait hier, ce qui compte pour moi c’est le mouvement”, conclut-elle crâne. Des mouvements dont elle n’a d’ailleurs pas toujours le choix. Comme lorsqu’elle programme une émission en prime time sur “la langue française dans tous ses états”, soirée censée accompagner le 19 octobre l’inauguration par le président du château de Villers-Cotterêts. Emmanuel Macron reportant cette cérémonie afin de participer à l’enterrement du professeur d’Arras assassiné, voici France Télévisions, qui avait réservé les moyens techniques, contrainte de débourser un conséquent dédit. La soirée reprogrammée ne séduira que 5,6 % des parts de marché, soit un million de téléspectateurs.Ou, plus capricieux, le baptême de ce siège de Balard justement. Une drôle d’histoire. Donner au bâtiment le nom du journaliste Jean-Pierre Elkabbach décédé relèverait officiellement de sa gouverne, en vérité, l’enchaînement fut plus compliqué. La veille de sa mort, le 2 octobre donc, Jean-Pierre Elkabbach murmure au grand rabbin Haïm Korsia qu’il aimerait la visite du couple Macron. Celui-ci passe trente minutes au chevet du mourant, qui exprime son regret d’avoir choisi le siège de France Télévisions sans que celui-ci ne soit jamais inauguré ni ne porte de plaque à son nom. Le président de la République appelle la présidente, la priant d’organiser illico une cérémonie. Ainsi fut fait le 9 octobre, date faisant fi d’un éprouvant calendrier, l’avant-veille le Hamas exécutait son carnage en Israël.Dans le hall de France Télévisions, buffet, tapis rouge, 150 invités et pas de plaque. Dans les coursives, loin des agapes, les salariés grondent, outrés que leur ancien président (1993-1996) contraint à la démission suite au scandale des animateurs producteurs soit ainsi glorifié. Visage impassible, Delphine Ernotte Cunci se tient là, comme à son habitude, droite, elle ne cille pas lorsque l’invité Nicolas Sarkozy prend le temps de saluer chaque agent de sécurité, pour, enfin, se tourner goguenard vers elle : “Vous voyez qu’il y en a qui m’aime ici.” Elle sourit – malheureusement pas le moment d’attraper dans sa poche une gomme de nicotine 4 milligrammes dont elle ne peut se passer.”Fière du progressisme assumé”Si Emmanuel Macron a pu en l’espèce apprécier sa diligence, pas sûr que cette obéissance embellisse le ciel glacé de leurs relations. Certes son budget tient la route, certes les syndicats sont ramollis, mais “les tuyaux ça ne suffit pas”, résume un conseiller élyséen. Les journaux télévisés de France 2 ne rendraient “pas hommage à la politique du président”, la maison serait incapable de tenir secrets les deals (quand le président prépare une allocution, il est coutume que la technique soit attribuée en alternance à TF1 et à France 2, quand c’est le tour de TF1 rien ne fuite, quand c’est le tour du public, les indiscrétions ruissellent), et surtout elle n’aurait pas sacrifié les têtes promises, soit celle d’Elise Lucet, rédactrice en chef des magazines Cash Investigation et Envoyé spécial, et celle d’Anne-Sophie Lapix, présentatrice du 20 Heures, à propos de laquelle le chef de l’Etat aime à dire qu’il “préfère aller chez le dentiste que chez Lapix”. “Personne ne m’a jamais demandé la tête de personne”, s’écrie la présidente, tandis qu’en haut lieu on maintient qu’elle s’y était engagée lors de la reconduction de son mandat en 2020.Outre ces aspérités personnelles, l’autorité de tutelle critique une télévision publique à l’audience vieillissante (62 ans, contre 54 chez TF1), “qui ne produit que du communautarisme” et galvauderait le patrimoine – songez qu’elle a coproduit l’hiver dernier une série consacrée à Diane de Poitiers, la favorite d’Henri II, où JoeyStarr tenait le rôle du comte de Kervannes. JoeyStarr… Ces deux points échauffent la batailleuse, qui, en défense, égrène les adaptations littéraires (La Peste, Fortune de France, une fiction à venir sur Romain Gary), rappelle l’existence de la chaîne numérique Culturebox, et pour le reste, se dit “fière du progressisme assumé” des antennes. Un rapide coup d’œil sur la programmation de la chaîne France.tv Slash, destinée au jeune public, donne en effet à voir beaucoup de productions consacrées à la diversité des orientations sexuelles. Comme Split, série répondant à la question “va-t-elle avoir le courage de sortir de l’hétérosexualité ?” ou Les Garçons bleus, soit des feuilletons évoquant “la diversité des corps masculins”, et surtout le coruscant Drag Race, “la plus grande compétition de drag-queen au monde”. “Oui, je suis fière de ces choix, faire du commun ne signifie pas ne parler que des faits majoritaires, nous ouvrons des portes, des discussions dans les familles”, dit-elle, le ton un rien abrasif. Enfin, dernier clou planté depuis l’Elysée, elle ne vendrait rien à l’international. Faux, s’insurge-t-elle encore, les ventes à l’international progressent, ainsi Vortex, un thriller d’anticipation fut acheté par Netflix, et Chair tendre, une série consacrée au “corps intersexe de Sasha” par Disney +.”Elle peut toujours courir”Début octobre, le président de la République a réuni Alexis Kohler, la ministre de la Culture Rima Abdul Malak, et son conseiller culture Philippe Bélaval, pour évoquer une “refondation” de ce “vieux média”, remettant sur la table l’idée d’une holding à la BBC, qui chapeauterait radio et télé publiques. Une conversation au cours de laquelle le secrétaire général Alexis Kohler a, comme de coutume, fulminé contre “cette gabegie permanente”, s’agaçant que pour près de 3 milliards d’euros d’argent public, il serait “temps de remplir sa mission”. Depuis qu’il siégea au conseil d’administration de France Télévisions, représentant jusqu’en septembre 2012 l’agence des participations de l’Etat, il est convaincu que ces chaînes ne sont que marasme financier et gauchisme échevelé. Une conviction que le magazine Complément d’enquête, diffusé en mars dernier, le portraiturant en exposant sa mise en examen (la justice le soupçonne d’avoir favorisé MSC, premier armateur mondial, dirigée par la famille Aponte, apparentée à son épouse, quand il occupait le poste de directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie) n’a pas amoindri.C’est peu dire que l’émission a agacé, souverainement même. Elle valut d’ailleurs à Alexandre Kara une soufflante entre deux portes lors d’un tournage à la présidence de la République. Voici peu, en petit cénacle, il fut ainsi, non sans malice, demandé à Alexis Kohler, s’il croyait lui à un possible troisième mandat. “Elle peut toujours courir”, a-t-il répondu, guilleret. Elle court, volontiers. Et vite.



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Author : Emilie Lanez

Publish date : 2023-12-10 16:00:00

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