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Edouard Durand, écarté de la Ciivise : “On ne m’a donné aucune raison de cette mise à l’écart”

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La Ciivise change de tête, et de feuille de route. Le gouvernement a annoncé lundi 11 décembre que la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) allait poursuivre son travail tout en élargissant ses missions. La “Ciivise 2″ va désormais être codirigée par Sébastien Boueilh, ancien rugbyman et fondateur de l’association Colosse aux pieds d’argile, qui lutte contre les violences sexuelles, le harcèlement et le bizutage en milieux sportif et éducatif. Il coprésidera la commission avec Nathalie Mathieu, autre responsable associative à la tête de la commission depuis sa création, en mars 2021. L’instance devra notamment se pencher sur les questions des mineurs victimes de prostitution, de la pédocriminalité en ligne et des enfants victimes de leurs pairs.”Après trois ans de travail […], il est essentiel de maintenir l’élan créé contre les violences sexuelles subies par les enfants”, a expliqué dans une déclaration, transmise ce 11 décembre à l’AFP, la secrétaire d’Etat à l’Enfance, Charlotte Caubel. Le prédécesseur de Sébastien Boueilh, le magistrat Edouard Durand, écarté de la Ciivise, estime que l’instance n’est pas réellement maintenue. “Ce n’est pas qu’une question de feuille de route. C’est d’abord une question de doctrine, une politique publique du soutien social : ‘Je te crois-je te protège’, a-t-il écrit sur le réseau social X. La nouvelle organisation ne donne aucune garantie sur cette doctrine.” Il exprime auprès de L’Express son inquiétude.L’Express : Avez-vous eu une explication quant à la raison de votre mise à l’écart ?Edouard Durand : Je n’ai aucune information depuis avant-hier. Avec Nathalie Mathieu, dans un rapport du 12 juin 2023, un avis intitulé “Le coût du déni”, nous avions présenté le chiffrage du coût annuel des violences sexuelles contre nos enfants, estimé à près de 10 milliards d’euros par an. Plus précisément, nous avions modélisé un parcours de soins spécialisés pour les victimes – pour les enfants victimes aujourd’hui et pour les adultes qui ont été victimes dans leur enfance –, quelles que soient les violences subies. Nous avions aussi préconisé de lutter contre le déni, témoignage après témoignage, depuis l’ouverture de la Ciivise. Progressivement, j’ai senti que ce qui me paraissait être une évidence n’était pas partagé. Au contraire, il y avait une hostilité au maintien de la Ciivise. Je ne saurais en interpréter la raison.Pourquoi considérez-vous que la Ciivise a pris fin mardi 12 décembre ?Ce que j’ai eu comme explications, c’est que la Ciivise avait fait un état des lieux, et qu’il fallait aujourd’hui faire un suivi de la mise en œuvre des préconisations. D’autre part, le fait qu’on cantonne la suite à un suivi de la mise en œuvre des préconisations, ça veut dire que le mouvement impulsé par la Ciivise est arrêté. Qu’était la Ciivise ? Un espace de reconnaissance, de rassemblement, de légitimité et de solidarité. Un espace où le témoignage des victimes sortait du registre exclusivement privé pour accéder à une autre dimension, qui est de l’ordre du registre publique collectif – car il s’agit d’un problème de santé publique.Ce comité de suivi n’est pas une instance permanente, de chaque jour, en lien avec les victimes, les professionnels, les experts, les institutions. C’est un comité qui évalue la mise en œuvre d’une politique publique, mais pas la Ciivise. Je considère qu’il a été estimé qu’il n’était plus nécessaire de maintenir cet espace inédit. Je pense que c’est une erreur, et que l’absence totale de considération à l’égard des personnes qui ont confié leur témoignage à la Ciivise – pas un mot de reconnaissance n’a été prononcé à l’égard des 30 000 victimes dans le communiqué de presse du gouvernement – en est l’illustration la plus explicite. Il ne faut jamais oublier que nous parlons d’une chose : les violences sexuelles faites aux enfants. C’est bien la preuve que l’interdit, ce n’est pas de les commettre. L’interdit, c’est d’en parler.Sur le réseau social X, vous avez évoqué le risque d’un “changement de doctrine” de la Ciivise. Qu’entendez-vous par là ?La Ciivise, c’est ce mot d’ordre : il faut croire l’enfant qui révèle des violences et le mettre immédiatement en sécurité. Aujourd’hui, quelle garantie est donnée à cette ligne et à cette doctrine ? On ne m’a pas donné de raison explicite à ma mise à l’écart, mais ça ne peut qu’être en lien avec la doctrine telle qu’elle est formulée dans l’introduction et la synthèse du rapport.Vous évoquiez le cas des “30 000 victimes renvoyées dans le silence”. Pourquoi avoir eu cette formule ?Ce n’en est pas une. Je suis stupéfait que, dans un communiqué relatif aux violences sexuelles faites par le gouvernement, concernant une commission instituée après le discours adressé par le président de la République lui-même, à tous les adultes ayant été victimes de violences sexuelles dans leur enfance et qui leur promettait “vous ne serez plus jamais seul”… Trois ans plus tard, leur présence n’affleure même pas sous la plume du gouvernement. Il n’y a pas un mot de reconnaissance. C’était la même chose quand il n’y a eu aucune représentation officielle lors de la restitution des trois années de travail de la Ciivise le 20 novembre dernier à la Maison de la Radio. Rien. Encore une fois, l’interdit, c’est d’en parler.Ne pensez-vous tout de même pas qu’un tabou a été levé ces dernières années sur le sujet ? On pense notamment à des prises de paroles publiques, comme celle d’Emmanuelle Béart, ou à la publication de romans comme Triste tigre.Bien sûr, il y a eu une prise de conscience de la société. Beaucoup de grandes voix ont contribué avec beaucoup de puissance à la levée du tabou, notamment à travers la littérature. Des institutions l’ont fait aussi, comme la Commission Sauvé. Les victimes elles-mêmes, par les réseaux sociaux. Oui il y a une prise de conscience. Qu’est-ce que le déni ? Le déni c’est : ça n’est pas vrai, ça n’existe pas, ça n’est pas grave. Ça ne me regarde pas. On ne peut rien faire. Heureusement, les choses changent aujourd’hui dans la société. La Ciivise devait être cet espace de conscience collective, de transformation en politique publique. Et d’ailleurs, nul ne conteste son travail. Il est d’ailleurs assez spectaculaire de lui dire ainsi “Bravo, au revoir”. J’y vois à la fois un progrès, mais aussi un coup d’arrêt. L’histoire contemporaine est une succession d’ouverture face au déni, puis à nouveau de fermeture. Ma crainte, aujourd’hui, c’est que de nouveau, la société se referme sur la parole des victimes, et provoque à nouveau du déni.Vous auriez souhaité une pérennisation de la Ciivise dans sa forme actuelle.Je ne serais évidemment pas resté 25 ans à la tête de Ciivise. Il faut pouvoir créer de la stabilité, de la durée. Sinon, quel sens tout cela a-t-il ? Notre travail n’a eu aucun accusé de réception de l’avis du 12 juin 2023, qui répondait pourtant à une demande du gouvernement.Comment voyez-vous l’avenir de la Ciivise aujourd’hui ?Je suis le plus mal placé pour y répondre. Je ne veux pas tomber dans le piège de la personnalisation. Tout ce que je sais, c’est que nous nous sommes efforcés, pendant trois ans, d’être fidèles à la confiance des personnes qui nous ont confié leur témoignage. D’être à la hauteur de leur dignité, de leurs attentes, de leur exigence. Nous avons mis en évidence le fait que, dans 92 % des cas, un enfant qui révèle les violences ne reçoit pas une réponse de l’ordre du soutien social. Pas une réponse individuelle, mais bien une politique publique.Seuls 8 % des enfants reçoivent une réponse que l’on peut assimiler à “je te crois et je te protège”. Cette multitude, qui a rejoint la Ciivise, l’a fait indissociablement pour trouver la reconnaissance que la société ne leur avait jamais donnée, et pour que leur parole contribue à la protection des enfants. Pour cette personne, comme pour tout être humain, le besoin de reconnaissance est un besoin vital.



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/edouard-durand-ecarte-de-la-ciivise-on-ne-ma-donne-aucune-raison-de-cette-mise-a-lecart-B5RJJ2IGG5EFPGJSSUU3HFFKFY/

Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2023-12-13 10:30:00

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Tags :L’Express

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