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[Bilan 2023] L’année du virage pour le monde des séries

[Bilan 2023] L’année du virage pour le monde des séries



Peut-on encore aimer les séries ? La question semble incongrue dans un monde où beaucoup affichent leur rapport décomplexé au genre et où des générations passent (presque) indistinctement du petit au grand écran. Elle a pourtant du sens à nos yeux. Combien d’ami·es nous demandent “quelle série voir” quasiment par automatisme, avec l’assurance qu’ils et elles pourraient découvrir une pépite ? Une lassitude se dessine, pas seulement due au nombre de séries disponibles. Pour quelques excellentes trouvailles (La Diplomate, Acharnés), cette année sans notre chouchou The White Lotus a peut-être accentué un virage de l’époque : de nombreuses créations ne sont plus conçues pour accompagner les spectateur·rices sur le long cours avec des récits étirés, marqués par la répétition vertueuse des mêmes motifs. Elles surgissent brusquement puis repartent dans les limbes. Ce n’est pas forcément tragique, c’est différent.

Des séries-doudous

Il fallait guetter les expériences enthousiasmantes sans se poser trop de questions sur l’avenir. Même si les scénaristes hollywoodien·nes ont arrêté leur grève, à l’heure où nous écrivons ces lignes, celle des comédien·nes continue, ce qui augure de longs mois difficiles, voire d’une pénurie. 2023 a subi cet attentisme et n’était pas une année pour tracer des lignes de force claires. Loin de toute radicalité esthétique et politique – mis à part Split, la série aux héroïnes lesbiennes d’Iris Brey sous influence de Germaine Dulac et de Chantal Akerman, ou le génial épisode 3 de The Last of Us, déclinant une histoire d’amour gay à travers le temps –, l’heure était au néoclassicisme comme valeur refuge. Le plaisir pris devant la délicieuse comédie politique La Diplomate doit autant à son aisance à manier les codes de la comédie de remariage, une invention des années… 1930, qu’à la présence de Keri Russell, pur corps sériel dont la seule apparition à l’écran convoque de doux fantômes venus de la splendide The Americans. Les plus motivé·es se souviendront aussi de Felicity, qui la révéla au début des années 2000. Signe des temps, les acteur·rices incarnent aujourd’hui les séries, davantage que les showrunners, dont peu sont des stars.

Soap de luxe sur le quotidien d’une chaîne de télé (quoi de plus old au temps des plateformes ?), The Morning Show l’a bien compris. Dans sa troisième saison, ce feuilleton agité brille avant tout par le choix scrupuleux de celles et ceux qui se déchirent face à nous, particulièrement trois icônes des séries des dernières décennies que sont Jennifer Aniston (Friends), Julianna Margulies (Urgences) et Jon Hamm (Mad Men). La bonne surprise de l’automne, Lessons in Chemistry, repose quant à elle sur la vista d’une actrice qui a le temps et l’espace pour s’exprimer, alors que le récit situé dans l’Amérique des années 1950 montre son personnage engoncé dans les rets du patriarcat. En scientifique qui s’affirme au prix d’efforts intenses, Brie Larson attire toute la lumière. La fiction ressemble à son écrin. Et cela nous suffit.

Histoires de familles

Dans ce contexte, la seule grande série d’auteur·rice des années 2020 a tiré sa révérence de façon souvent brillante mais aussi un peu amère. On parle bien sûr des frères et sœurs de Succession, incapables de s’entendre après quatre saisons, qui manqueront aux sériephiles en quête de sensations fortes. The Idol, de son côté, a prouvé à quel point la mythique chaîne HBO pouvait accoucher d’une série malade, comme François Truffaut parlait de grand film malade en évoquant Pas de printemps pour Marnie d’Alfred Hitchcock. La séduction de cette série brutale sur la célébrité et le règne de l’image, avec une Lily-Rose Depp surprenante, avait quelque chose de mortifère, comme si elle reprenait les codes des créations “adultes” dans lesquelles le genre s’est distingué depuis un quart de siècle pour en proposer une version terminale.

Au moment où les signatures auteuristes s’assoupissent, La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, incursion de Xavier Dolan dans l’art de la mini-série, a fait office d’exception. S’il s’agit réellement de la dernière réalisation du cinéaste québécois comme il nous l’a annoncé – l’avenir le dira –, on peut parler d’une sortie en beauté avec cet hybride entre cinéma et série absolument contemporain, au diapason d’autres récits collectifs venus du monde entier. Car la plupart des séries marquantes privilégient l’effet de groupe, comme s’il fallait compenser les solitudes et les égoïsmes ambiants, ou chercher à les expliquer. On pense à The Bear qui, au-delà de son décor (un restaurant de Chicago), s’affirme avec sa superbe deuxième saison comme une saga familiale au sens large, une réflexion à vif sur les folies et les beautés du lien dans un monde fragile et dangereux.

La plus belle série française de 2023 a travaillé les mêmes motifs. Créée par Camille de Castelnau, Tout va bien raconte une histoire impossible : la maladie grave d’une enfant et son impact sur une famille. Virginie Efira et Sara Giraudeau y jouent deux sœurs aux réactions dissymétriques, tandis qu’autour d’elles tout s’emballe, des grands-parents à l’oncle déphasé. Le murmure du monde reste longtemps indifférent, jusqu’à finalement donner un peu de sens à leur douleur. Ici, une voix s’exprime, celle de la créatrice. Mais on pense parfois à Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin comme à Six Feet Under, sans que jamais il ne soit question de les singer. La modernité, en série comme ailleurs, consiste peut-être à admettre que tout a été fait, et qu’il est temps de tout recommencer. Comme on réapprendrait à marcher.



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Author : Olivier Joyard

Publish date : 2023-12-15 07:00:00

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