Un sondage réalisé par l’Ifop et publié le 7 décembre aborde la religiosité et le rapport à la norme religieuse, le rapport à la science, le sens accordé à la laïcité et le degré d’adhésion aux principes de laïcité. Son intérêt réside notamment dans la comparaison entre les musulmans et les adeptes d’autres religions.En examinant les résultats, on observe une religiosité prononcée, en particulier parmi les jeunes et les individus diplômés. Le rapport à la vérité et à la science ne dépend pas du niveau d’éducation. Enfin, il existe une préférence pour une laïcité “inclusive”, qui reconnaîtrait la visibilité et l’influence de la religion dans la société, et diverge fondamentalement de la conception historique de la loi de séparation de 1905, adoptée par la très grande majorité des Français. Ce sondage met en lumière la prédominance du courant frériste dans la conception de la religiosité adoptée par un nombre croissant de Français musulmans.La quasi-totalité de la population musulmane, qu’elle soit de tradition ou de religion, se déclare croyante, avec seulement 3 % se déclarant athées, tandis que l’athéisme concerne 32 % de l’ensemble des Français. Parmi les 66 % de Français musulmans, les deux tiers affirment être à la fois croyants et religieux, comparés à une moyenne de 12 % parmi l’ensemble des Français.Plus on est jeune ou plus on est éduqué, et plus on se déclare religieux. Les trois quarts des musulmans de moins de 35 ans sont davantage religieux que les plus âgés (58 % des plus de 50 ans). 77 % des cadres et professions intellectuelles supérieures se disent “religieux” contre 53 % des diplômés de niveau inférieur au bac. Ceux qui pensent que la religion est importante dans toutes les sphères de leur vie sont plus souvent originaires des quartiers sensibles (35 % dans les quartiers de la politique de la ville) qu’ailleurs (20 %), ce qui s’explique sans doute par la pression communautaire.CréationnismeL’attachement à la religion, et le sentiment qu’elle est plus vraie que les autres, est un résultat marquant de ce sondage. 75 % des Français musulmans estiment qu’”il y a une seule vraie religion”, contre 17 % chez l’ensemble des Français. C’est l’opinion de 86 % des pratiquants musulmans réguliers mais aussi de 59 % des non-pratiquants.Le créationnisme des musulmans est un des résultats importants de ce sondage : 76 % des musulmans pensent que c’est plutôt la religion qui a raison lorsque la religion et la science s’opposent sur la question de la création du monde, contre 22 % en moyenne chez les adeptes des autres religions. Ces chiffres ne varient pas en fonction du niveau d’étude et du statut social. On observe une différence entre les pratiquants (84 % appuient la thèse créationniste) et ceux qui ne pratiquent ni prière ni port du voile. Mais il est remarquable que 53 % des croyants non pratiquants sont créationnistes.Une laïcité inclusiveIl existe un fossé entre les musulmans et les non-musulmans concernant la conception de la laïcité.Les premiers sont très majoritairement partisans d’une conception dite “inclusive” de la laïcité qui fasse droit à la visibilité et l’influence de la religion dans la société, en rupture avec la conception historique et républicaine de la loi de 1905.Deux tiers des musulmans expriment leur opposition à la loi de 2004 en soutenant le port de couvre-chefs religieux dans les collèges et lycées publics. Ils sont seulement 28 % à approuver l’interdiction de l’abaya ou du qamis, contre 81 % de l’ensemble des Français. Les cadres et les professions supérieures, les moins de 35 ans, ainsi que les musulmans qui votent pour Jean-Luc Mélenchon sont les plus critiques envers la décision du ministre de l’Education, Gabriel Attal. Plus encore, pour deux tiers des musulmans, cette mesure perçue comme stigmatisante relève de mesures de “police du vêtement” et de “contrôles au faciès”.78 % des musulmans jugent même que la laïcité telle qu’elle est appliquée aujourd’hui par les pouvoirs publics est discriminatoire envers les musulmans et, curieusement, les deux tiers la jugent contraire aux principes fondateurs de la laïcité. En conséquence, ils demandent des accommodements religieux.Les musulmans sont 57 % à soutenir la possibilité pour les jeunes filles “de ne pas assister aux cours de natation pour des raisons religieuses” ou même, pour 50 %, le droit de “ne pas assister aux cours dont le contenu heurterait leurs convictions religieuses”.Ils souhaiteraient autoriser les athlètes françaises à porter le hidjab lors des Jeux olympiques (75 %, contre 20 % des adeptes des autres religions), autoriser le financement public des lieux de culte (75 %, contre 33 %), autoriser le port de vêtements dissimulant le visage en public (47 %, contre 13 %).La halalisation des comportementsLes réponses montrent que l’injonction vestimentaire de s’habiller large, conformément à la norme islamique, est d’autant plus respectée qu’on est jeune, pratiquant, ou qu’on est en âge de se marier.Ainsi 64 % des jeunes femmes de moins de 25 ans disent porter ou avoir porté une abaya, contre 27 % chez les plus de 50 ans. Les raisons religieuses ne sont pas exclusives des motifs liés aux pressions sociales. Parmi elles, 57 % (et 80 % des musulmanes de moins de 25 ans) portent des abayas “pour éviter d’être agressées, abordées ou de sentir le regard des hommes sur leur corps” ou “à cause de la pression exercée par certains proches” ou encore “pour éviter d’être perçues comme impudiques et indécentes”.Seules 9 % des musulmanes ayant déjà porté une abaya affirment l’avoir fait uniquement pour des raisons de mode ou de praticité. Cela signifie clairement que l’abaya n’est pas une mode mais un vêtement à usage religieux destiné à faire respecter la norme de pudeur.La majorité des musulmans estiment que leur religion a de l’importance dans leurs choix de vie : ils mangent totalement halal pour 85 % (contre 19 % pour les autres religions qui conforment leur alimentation à leur religion), ils se marient en conformité aux règles religieuses (lesquelles en islam interdisent le mariage des femmes avec un non-musulman, et le mariage des hommes avec une femme qui ne soit ni musulmane, ni chrétienne, ni juive) pour 79 % (contre 31 % pour les autres religions) et ils s’habillent en conformité avec l’islam pour 63 % (contre 18 %). Les activités culturelles sont choisies en conformité aux valeurs religieuses pour 59 % (contre 31 %). Les choix politiques sont influencés par la religion pour 51 % (contre 25 %) et enfin la religion intervient dans le choix des amis pour près de la moitié des musulmans (47 %) (contre 22 %).Les ambitions du mouvement fréristeDepuis cinquante ans, le mouvement frériste se caractérise par son rejet de la laïcité et par la tendance des musulmans de France à se confiner dans un espace séparé qui s’étend de plus en plus. Inspiré par la confrérie des Frères musulmans, ce mouvement missionnaire fondamentaliste vise l’établissement d’une société islamique mondiale, le califat. Il exige des musulmans pratiquants qu’ils se questionnent quotidiennement sur la licéité de leurs actions et qu’ils propagent l’islam. Le frérisme, qui existe depuis moins d’un siècle, est présent dans nos sociétés démocratiques libérales sécularisées depuis plus de cinquante ans. Il ne prône pas le retour dans les pays musulmans, mais plutôt l’expansion de l’islam en travaillant les contextes pour adapter les démocraties au texte religieux (à l’inverse d’une réforme nécessaire qui adapterait le texte au contexte).* Florence Bergeaud-Blackler est docteure en anthropologie et chargée de recherche au CNRS. Elle a publié cette année Le Frérisme et ses réseaux (Odile Jacob).
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Publish date : 2023-12-15 05:09:43
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