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Otages musulmans israéliens : “Le Hamas nous considère comme pire que les Juifs”

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[Article mis à jour le vendredi 15 décembre à 20 heures après l’annonce de l’armée israélienne de la mort de trois otages, identifiés “par erreur” comme une “menace” par des soldats lors de combats dans le nord de Gaza. Samer, le fils de Fouad, est l’un d’eux.]Noaf sort de son manteau un passeport israélien si neuf que sa couverture craque. Mercredi soir, le sexagénaire, keffieh rouge et blanc, est sorti d’Israël pour la première fois, premier vol en avion également. Assis dans le canapé de cet appartement parisien, dans le deuxième arrondissement, il n’ose pas sortir. Trop de monde, trop de bruit, et puis il ne parle ni Français, ni Anglais, il a peur de se perdre, il reste là, immobile, frissonnant sous ses manteaux empilés. “Je ne savais pas où était la France sur un plan”, il dit plan, pas carte, ni atlas.Depuis le matin, il répond aux journalistes qui devant lui défilent, mêmes questions, mêmes réponses, même récit. “Ce n’est pas un grand plaisir de parler”, ajoute-t ’il. À ses côtés, Fouad s’agite, il veut montrer la vidéo trouvée sur les réseaux sociaux, où l’on aperçoit son fils Samer. Visage ensanglanté, l’otage est tenu par ses ravisseurs et leur couronne de fusils d’assaut encercle sa silhouette cassée. Le tout jeune homme, 22 ans, a les yeux fermés, la tête baissée. Lui a été capturé au kibboutz Nir Am, où il travaillait comme ouvrier agricole, en charge de l’élevage de poules en batterie. Fouad, père de dix enfants, se rassoit, dans son portable il regarde encore et encore cette vidéo, dernière image de son fils. Il le sait vivant, l’un des otages thaïlandais libérés le lui a confirmé, ils étaient détenus ensemble. Samer a été tué, avec deux autres otages, ce vendredi 15 décembre par l’armée israélienne, identifiés “par erreur” comme une “menace” par des soldats lors de combats dans le nord de Gaza.Noaf lui n’a pas de vidéo, il préfère la chronologie. Il raconte le début, “le jour noir”, comme il le nomme, soit ce 7 octobre où son frère Yosef, 53 ans, et ses trois enfants ont été enlevés par le Hamas dans le kibboutz Hulit.Ce matin-là, Yosef s’était fait accompagner de Hamzah, Bilal et Aisha, il a fini la traite des vaches, ils ont marché vers l’oliveraie. Puis, le carnage. Juifs, musulmans, kibboutzim, bédouins, tous tués, violés, tabassés, blessés, massacrés, capturés ensemble. Voici dix jours, deux des enfants de Yosef sont revenus de Gaza : Aisha, 16 ans, et son frère Bilal, 21 ans, échangés par leurs geôliers lors de la trêve. Ils vivent dorénavant avec leur oncle Noaf, ils lui ont raconté leur captivité dans “un endroit sans lumière”, ils prient pour leur père, manquant de son insuline quotidienne, et leur frère Hamzah.Méfiance envers les associations de soutiens israéliennesCes familles bédouines des sept otages musulmans ont dans un premier temps tenté de négocier de leurs côtés. Noaf explique avoir cherché des points de contacts à Gaza, d’abord méfiant envers les associations de soutiens israéliennes. Puis, il a réalisé que eux, les bédouins musulmans, étaient une fois de plus les apatrides, tribus sans étiquette, sans évidence, des anomalies.”Le Hamas nous considère comme pire que les Juifs car nous sommes israéliens et musulmans”, ajoute-t-il. Il veut convaincre qu’il n’y peut rien lui s’il est né dans ce désordre du monde, ce village sans nom, quelque part dans le désert du Negev, un hameau itinérant. Avec les mains, il décrit la cuisine sur un réchaud à gaz, pas d’électricité, sa maison dont seul le plafond “est solide”. Il multiplie les récits étayant tout à la fois son impuissance et son esprit de concorde, les galettes qu’il cuisine pour le jour de la fête nationale d’Israël, le café qu’il cuit tout doucement pour ses amis du kibboutz, il demande qu’on prenne en note les conseils de son grand-père, bédouin comme lui. L’aïeul lui disait de toujours “manger chez les Juifs et dormir chez les Chrétiens”. On s’étonne. Oui, manger chez les Juifs car leur casher conviendra aux préceptes alimentaires musulmans, et le lit chez les chrétiens car ceux-ci dormant le matin, ils pourront tranquillement y effectuer leur prière matinale. Il voudrait qu’on le croit, il insiste, il se fiche de la politique, de la haine, des religions des autres. Passées ces impossibles négociations solitaires, Noaf, fils du désert, s’est ravisé voici deux semaines. Via des intermédiaires, il a pris contact avec Emilie Moatti, l’ex-député travailliste, dirigeant la maison des otages. Les Bédouins musulmans israéliens souhaitaient désormais être soutenus comme les autres, comme les familles d’otages juifs israéliens. “Nous sentions que nous n’existions pas tout seuls. Les bédouins venaient nous voir chez nous, mais ça ne suffit pas, nous avons compris qu’on devait sortir pour qu’on n’oublie pas nos otages”, explique-t-il.Mahmoud est beaucoup plus jeune que Noaf. Le trentenaire porte un blouson de cuir et de grandes lunettes de soleil, son père a été capturé dans le kibboutz Magen. Mahmoud a fait faire son passeport à l’aéroport de Tel Aviv, jusqu’alors, il n’en avait jamais eu besoin. Il a pris un autre vol que les autres membres de la petite délégation bédouine venue à Paris. Emilie Moatti lui avait organisé un taxi, elle lui avait répété que quand son avion serait posé à Roissy, il fallait qu’il sorte, cherche des yeux le monsieur qui tiendrait entre les mains une pancarte avec son nom en arabe, monter dans la voiture de ce monsieur qui le conduirait jusqu’à elle, dans Paris.Seulement, ce jeudi 14 décembre, rien ne s’est passé comme organisé. Alors que l’ancienne députée rencontre avec Noaf et Fouad des députés, Mahmoud lui n’arrive pas. Deux heures de retard, trois, bientôt quatre. Elle l’appelle sur son portable. Mahmoud lui dit avoir respecté ses consignes. Il est sorti de l’avion. Il a pris une chaise, il s’est assis, comme elle a dit. Mais il ne voit aucun homme avec une pancarte et son nom. Peut-il lui décrire ce qu’il voit autour de lui ? a demandé Emilie, patience d’ange, visage épuisé. Oui, il y a des valises qui tournent, qui tournent, qui tournent. Et dans leurs têtes à tous, ce vertige d’être pris dans un drame sans fin, qui tourne, tourne, tourne.



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Author : Emilie Lanez

Publish date : 2023-12-15 19:09:56

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