Une femme en état de transe, pétrifiée sur sa chaise, vomit quelque chose qui a l’allure d’un ectoplasme, dont la texture difficile à identifier tient à la fois de la concentration de mercure et de glaire mais tire quand même vers l’état de fluide propre aux fantômes, dilatant leur figure jusqu’à devenir cette forme indéfinie, pure apparition.
Ces images-là ont plus de cent ans et ont passionné la France de la fin du XIXe, quand les sociétés spirites sont apparues alors que s’établissait le commerce de la photographie. Elles ont ensuite donné corps, si l’on peut dire, à d’autres regroupements, plus ou moins clandestins, en Suisse et en Espagne ; une internationale médium a ainsi existé jusqu’aux lendemains de la Première Guerre mondiale. Perchée, celle-ci voulait forcer la porte de la science, laquelle s’intéressait à elle, mais plutôt en privé – en public, elle demandait, comme toujours, des preuves, de l’irréfutable.
Un Prix Nobel de médecine, Charles Richet (aussi figure du mouvement eugéniste), se prêtait à des expériences ; un neurologue – peut-être le plus grand –, Charcot, cherchait aussi un dialogue possible avec ce qui ne s’appelait pas encore l’inconscient. Les écrivains, naturalistes comme symbolistes, organisaient des séances pour dialoguer avec la mort : Hugo à Jersey, Huysmans auprès de l’occultiste Berthe de Courrière, le Sâr Peladan au sein de la Rose-Croix. Les images de ces manifestations invisibles ont commencé à circuler. La photographie n’est-elle pas l’art de la révélation autant que de la preuve ?
Images rares pour phénomènes étranges
Ce qui est beau, sous les efforts conjugués de Philippe Baudouin, philosophe, amateur d’étrangeté et collectionneur, et de Maryline Desaintjean, historienne de l’art, c’est de voir circuler aujourd’hui ces images, sous la forme d’une exposition au musée d’Histoire de la médecine et d’un beau livre dont le titre, Phénomènes inexpliqués, porte l’indice d’une croyance malgré tout. Quelque chose a eu lieu qui n’est pas juste de l’ordre de la supercherie, et contre lequel la photo a buté. Elle n’a pas su apporter de preuves, alors elle a préféré les fabriquer. C’est dans cette fabrication de l’image par-delà la vérité, toujours plus près du fantasme, que se situe notre dialogue avec cette époque occultiste, nous tous·tes désormais empêtré·es dans l’infinité des possibles et le leurre des images générées par l’intelligence artificielle.
Dans ces clichés d’un autre siècle, et que le procès en vérité ne suffit pas à épuiser, on voit que la photographie résiste au-delà du soupçon. Ce n’est pas elle qui porte la preuve mais le regard qui la contemple. On ne croit que ce que l’on voit, mais on ne voit que ce que l’on croit. Dans ce livre traversé de textes scientifiques, qui jamais ne se rient de leur sujet, on voit simplement la photographie là où elle a fait défaut. Elle n’a pas révélé l’invisible ; elle qui conserve les morts n’a pas su faire croire en leur permanence sous la forme de fantômes parmi nous. Mais à la place, elle a produit des artefacts. La photo était déjà la porte du royaume des morts. Pour ne pas nous décevoir, elle a concocté des mirages, de petites apparitions, de superbes pièges.
Phénomènes inexpliqués de Philippe Baudouin et Maryline Desaintjean (Delpire & co), 208 p., 39 €. En librairie. Phénomènes. Les savants et les mystères de l’esprit au musée d’Histoire de la médecine, Paris, jusqu’au 17 février.
Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/phenomenes-inexpliques-quand-la-photographie-met-en-scene-le-paranormal-601004-17-12-2023/
Author : Philippe Azoury
Publish date : 2023-12-17 11:00:00
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