Quel livre offrirez-vous à Noël ? Le choix de Jean-Marie Durand

Les mécréants peuvent s’en moquer ou en rire, mais c’est un fait : à Noël, les anges nous entourent, jusqu’à s’agripper aux branches de sapin, se frottant aux boules dans lesquelles leurs ailes (du désir) se reflètent. Comme le démontre le philosophe Emanuèle Coccia dans son essai Hiérarchie, la société des anges, “il est difficile de ne pas reconnaître dans la vie de ces créatures étranges, mi-humaines, mi-divines, un schéma qui a largement imprégné la vie politique européenne”.

Présence mythique contemporaine

Après avoir travaillé sur une anthologie des “angéologies chrétiennes”, l’auteur de réflexions déplaçant toujours nos repères sur le monde (La Vie sensible, La Vie des plantes, Métamorphoses, Philosophie de la maison…), propose une lecture ébouriffante de la société angélique, qui éclaire la pensée politique occidentale. “Les anges sont des figures efficaces pour penser le pouvoir, car leur existence dépend d’une hiérarchie : ils sont en dessous de Dieu et au-dessus des Hommes”, souligne-t-il. L’ange, c’est ce messager qui exécute un commandement divin. Il n’est divin que par ordre, par hiérarchie. Nom technique de la société angélique, la hiérarchie désigne ainsi cette activité d’imitation de Dieu.

Fondamentalement, nos démocraties sont, dit-il, fondées sur l’idée que la supériorité des individus, qui n’a rien d’ontologique, est purement sociale. Et c’est l’ange qui nous l’a appris. Prenant donc le mythe des anges au sérieux, Coccia en fait la porte d’accès d’une pensée spéculative, sur le modèle lévi-straussien, mais inversé, d’une “pensée sauvage occidentale”. “L’ange n’est pas un objet, c’est juste une formule qui nous dit en quoi notre existence est le lieu où la société peut me rendre divin ; il éclaire en quoi la divinité est une fonction sociale”, précise-t-il, à la manière d’un philosophe animé par la puissance des images, par le pouvoir de l’imagination, qui reste la condition de possibilité d’une vie humaine.

Marqué par sa proximité intellectuelle avec le philosophe Giorgio Agamben, Emanuèle Coccia manifeste, avec ce texte singulier, sa volonté d’articuler le contemporain et la tradition passée, dans un geste de grande liberté et d’affection pour les mythes qui nous accompagnent sans qu’on sache forcément interpréter leur présence indicible parmi nous. “Voilà les anges” chantait le groupe Gamine en 1988 ; on comprend mieux pourquoi maintenant.

Hiérachie, La société des anges d’Emanuèle Coccia,(Bibliothèque Rivages) traduit de l’italien par Joël Gayraud, 264 p, 19 €.



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Author : Jean-Marie Durand

Publish date : 2023-12-18 08:00:00

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