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Emmanuel Macron et la loi immigration : les coulisses d’une capitulation

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A quoi tient un quinquennat ? A pas grand-chose, parfois. Un accord empoisonné avec Les Républicains (LR) et un coup de communication de l’extrême droite ont plongé ce mardi soir l’ultime mandat d’Emmanuel Macron dans l’affolement absolu. L’adoption par l’Assemblée nationale d’un texte très marqué à droite sur l’immigration avec l’ensemble des voix du Rassemblement national (RN) plonge l’exécutif dans une crise inédite depuis 2022. Et puisque 59 députés de la majorité ont fait défaut ce mardi soir, ce succès à tout d’une victoire à la Pyrrhus, tant la journée a vu se déchirer le camp présidentiel et ravivé des questions existentielles sur le macronisme, objet politique jamais identifié.Signe que tout cela n’a rien d’anodin, le discret soutien historique du président, Philippe Grangeon, s’inquiétait tout haut avant le vote : “Je ne suis pas dans une démarche de rupture mais je tire un signal d’alarme très fort : nous sommes tombés dans un piège, ce n’est pas le chemin pour éviter le pire, bien au contraire. Nous tournons le dos au logiciel politique et aux valeurs de 2017.””En 48 heures, la majorité a accepté un texte très à droite”Au bout du fil, le sourire est teinté de sidération. En ce début de matinée, un conseiller de l’exécutif ne boude pas son plaisir. La commission mixte paritaire – instance chargée de trouver un compromis entre Les Républicains et la majorité – est sur le point d’aboutir. Un texte va être soumis aux députés, une semaine après le vote d’une motion de rejet qui avait mis un terme à son examen. “Ces dernières semaines, le moindre petit bougé sur le texte était soumis à des négociations de plusieurs heures. En 48 heures, la majorité a accepté un texte très à droite.” Un cadre LR livre au même instant la même analyse, les yeux brillants : “On ne mesure pas encore ce qui s’est passé, c’est absolument énorme.”Nos deux hommes n’ont encore rien vu. En début d’après-midi, Marine Le Pen annonce à la presse que ses troupes voteront le texte et salue “une loi de durcissement des conditions de l’immigration”. La manœuvre est aussi grossière qu’efficace. La députée du Pas-de-Calais tente de s’extraire de son isolement idéologique et d’embarrasser la majorité, mal à l’aise avec ce texte droitier. Etre le diable de la République procure quelques avantages.Bingo ! La majorité s’affole, Renaissance organise une réunion de groupe en catastrophe. Les communiqués de presse des parlementaires décidés à voter contre le texte se multiplient, on anticipe alors les désertions lors du vote final. Ici, on calcule une quinzaine de défaillances. Là, entre 30 et 40. Dans un autre couloir de la majorité, le président du groupe MoDem Jean-Paul Mattei annonce que ses troupes ne donneront pas leur voix : “À ce moment-là, c’est ce qui a généré le plus de fébrilité chez nous, estime un député Renaissance. Quelques personnes chez nous qui ne votent pas, ça va, mais un tiers de la majo, là on se dit qu’on est dans la mouise.” Le groupe Liot, lui, va jusqu’à demander un retrait du projet de loi.”Nous ne pouvons pas être la béquille des LR et du RN”Le vent de contestation qui file dans la majorité atteint Emmanuel Macron en pleine face. En fin d’après-midi, le chef de l’État qui voit les bruissements d’une fronde convoque au Château les chefs de partis de la majorité et les présidents de groupes parlementaires. La Première ministre est bien sûr de la partie. La situation paraît de plus en plus verrouillée et Elisabeth Borne, Richard Ferrand, Stéphane Séjourné et Sylvain Maillard plaident pour le retrait pur et simple du texte. Il y a le risque d’éclatement de la majorité, certes, mais l’idée d’avoir un texte sauvé des eaux par les voix du Rassemblement national donne la migraine à plus d’un.À la table d’Emmanuel Macron, Séjourné observe que ce texte, issu de la CMP, “n’est pas notre texte mais ce n’est pas non plus le texte du RN” et martèle : “Notre raison d’être pour nos électeurs du second tour, c’est d’avoir fait barrage au RN à deux reprises. Dans le contexte, nous ne pouvons pas être la béquille des LR et du RN.” Le barrage craquelle, pensent les défenseurs d’un retrait. Emmanuel Macron, lui, croit encore en une voie de passage, si petite soit-elle. Il a “le sang froid”, dit un de ses porte-voix. Qui peut éviter qu’un bout de l’iceberg se détache ? “Si on disait qu’on ne vote pas le texte, on perdrait Horizons, croit savoir le même. Il faut apprendre à perdre, quitte à prendre le risque de mettre notre majorité en danger.” Un pari fou ?Manœuvres politiquesLes esprits s’apaisent grâce à François Bayrou. Le maire de Pau met sur la table une solution pour trancher la poire en deux : compter les voix du Rassemblement national et, si celles-ci se révèlent déterminantes pour l’adoption du projet de loi, ne pas promulguer le texte. Tant pis si la manœuvre est contradictoire avec l’idée d’aller au vote, voire avec l’idée même du parlementarisme, les macronistes pensent avoir trouvé le stratagème pour se protéger aux deux bouts de l’omelette : éviter la honte de la reddition et ne pas s’enfermer dans les mains du RN…A 23h23, le texte est adopté avec 349 voix contre 186. 59 voix de la majorité font défaut (27 votes “contre” et 32 abstentions). Le coup politique frontiste a libéré des voix réticentes, comme celle du président de la Commission des lois Sacha Houlié. Une loi peut-elle changer le cours d’un quinquennat ? Ou plutôt, bouleverser l’ADN politique d’un pouvoir qui s’est longtemps cru au-delà des clivages ?Il faut le croire. C’est l’histoire d’un texte bâti sur deux jambes, pure ode au “en même temps” macroniste. Subtil pour les uns, sans colonne vertébrale pour les autres. L’histoire d’une loi qui devait entretenir la fiction d’un pouvoir ni de droite ni de gauche, qualificatifs méprisés pour leur connotation partisane. L’histoire, enfin, d’un texte qui devait recueillir des suffrages de tous les bancs de l’Assemblée, tant chaque camp devait y puiser une satisfaction idéologique. De tout cela, il ne reste rien.Les circonstances plus que la réflexion doctrinaleEmmanuel Macron aime le rappeler à ses interlocuteurs : “Je ne veux pas des barreurs, je veux des rameurs.” Aux yeux de ce président comptent le geste, le mouvement, l’effort. “En Marche” : un éloge de l’action, pas une doctrine. Et tant pis pour la vaisselle brisée. Le 11 décembre, l’Assemblée adresse un camouflet au chef de l’Etat. Elle adopte une motion de rejet contre le texte immigration et met un terme prématuré aux débats. Le président pourrait jeter l’éponge face à cet affront. Ou recourir au 49.3 pour faire adopter son projet de compromis. Mais non. Qu’à cela ne tienne, il écarte les deux hypothèses pour trouver une voie de passage. Presque “une question d’orgueil”, selon un ministre.Le président passe commande à Elisabeth Borne et Gérald Darmanin de lever les “blocages”. “Les deux ont lié leur sort à l’adoption du texte, cela les a poussés à avoir un deal coûte que coûte avec LR”, s’agace un pilier de la majorité. Cet entêtement a un prix : celui de larges concessions à la droite, en position de force. Regroupement familial resserré, quotas migratoires, délit de séjour irrégulier puni d’une amende, encadrement strict du dispositif de régularisation de clandestins exerçant un métier en tension… La droite engrange les succès. Le gouvernement est sa victime consentante. Il voulait un texte, il l’a. Ce glissement idéologique n’est pas le fruit d’une réflexion doctrinale, mais de circonstances politiques. Qu’importe le degré d’ivresse, pourvu qu’on ait le flacon.Puisqu’il faut avancer, avançons. Ce mardi soir, les députés Renaissance ne s’assoient pas dans l’hémicycle avec le même enthousiasme. Certains revendiquent leur approbation. C’est cette fameuse aile droite, ravie de voir le macronisme s’installer définitivement à tribord. Des élus qui ont souvent rejoint le train en marche et souhaitent arrimer le macronisme à sa sociologie électorale de droite. La quête de fermeté de l’opinion en matière migratoire est leur boussole. Le député Sacha Houlié, marcheur historique, confiait récemment à leur sujet : “Vous êtes gentils les gars, mais on était là avant. Et on vous a invités dans notre maison, donc ne prenez pas trop vos aises…” Les voilà maintenant chez eux.”Le macronisme de 2016 versus ceux qui nous ont rejoints”D’autres font leur devoir comme on va à l’échafaud. Ces élus s’accrochent au mythe d’un macronisme au-dessus des frontières partisanes. Ce fameux dépassement, concept ombrageux qui devait nimber de flou l’offre macroniste. Et qu’importent les coups de canif au contrat de 2017. “Aujourd’hui, ce n’est pas une question d’aile gauche et d’aile droite, c’est le macronisme de 2016 versus tous les gens qui nous ont rejoints depuis. Ce sont ces premiers qui se posent des questions en ce moment”, avertit un membre du gouvernement.Certains d’entre eux font bonne figure. Comme ce député de l’aile gauche, qui observe que plusieurs dispositions fermes sont soumises à des conditions strictes, omettant leur charge symbolique lourde. Un autre insiste sur le maintien des dispositions du texte initial, reléguant au second plan les ajouts de LR. Ce lundi, le président de la Commission des affaires économiques Guillaume Kasbarian les consolait presque : “Cela ne me coûte pas de voter ce texte, mais à certains oui. J’admire leur capacité à le faire au nom de l’intérêt général.” Et puis, il y a les autres qui refusent de joindre leur voix à celles de LR et du RN.Crainte de Marine Le PenUn texte ou la mort. En Macronie, on a fini par se convaincre de la nécessité absolue d’atterrir. “Si on ne prend pas nos responsabilités, Marine Le Pen va être élue.” Ce 17 décembre, Gérald Darmanin lance sur BFMTV cette sentence aux airs de menace. Schématique, la prophétie est partagée par de nombreux députés de la majorité. L’extrême droite fonce vers 2027, le vent dans le dos. L’inaction politique est son carburant, les échecs législatifs d’aujourd’hui sont ses voix de demain. Élisabeth Borne juge elle-même en privé que Marine Le Pen a été la seule bénéficiaire du vote le 11 décembre de la motion de rejet, tant elle a enfermé droite et majorité dans la spirale de l’impuissance. “Les Français nous feraient payer l’absence de texte, lâche un député proche d’Emmanuel Macron. C’est une impérieuse nécessité.” En septembre, en pleine crise de Lampedusa, un ministre de droite confiait déjà sa crainte qu’une carence ouvre un “boulevard” à Marine Le Pen.2027 est encore loin. Avant d’y songer, il faut donner corps à un quinquennat menacé d’anémie. Le dossier immigration s’est mué en test pour la majorité relative. Celui de sa capacité à élaborer des compromis et bâtir des majorités texte par texte. Tant de discussions entre l’exécutif et la droite pour rien ? Neuf mois après le désastre des retraites, le gouvernement avait besoin qu’une “grosse” réforme reçoive l’onction démocratique. “Si ce texte n’est pas adopté après tous les efforts que nous faisons et alors qu’il est dans le cœur de cible des propositions faites par LR depuis 15 ans, la question se posera de savoir si on peut continuer avec cette Assemblée, confiait-on récemment à Beauvau. La droite est le seul partenaire potentiel du gouvernement, il ne peut pas être que l’allié de petits textes.”Le passage, plus que le contenu”Le gouvernement a pris conscience qu’un échec sur ce texte serait très certainement la fin du quinquennat, jugeait lundi le patron du groupe Horizons Laurent Marcangeli. Si cette loi ne passe pas, nous n’aurons plus de capacité à faire passer les autres textes. On engagerait un cycle très négatif.” En pleine séance de réflexion avec l’un de ses stratèges quelques semaines plus tôt, le président s’est montré tout à fait absent quand l’importun a osé questionner : “Comment comptes-tu t’y prendre ? Il reste 3 ans et demi et plus aucun texte ne passe en commission…” Sans doute a-t-il donné la réponse avec ce projet de loi dont à ses yeux le contenu importe moins que le passage.Emmanuel Macron avait une solution alternative. Le recours au 49.3 aurait permis à l’exécutif de défendre son texte initial, assis sur deux jambes. Le gouvernement ne vante-t-il depuis des mois la popularité de ce projet, sondage à l’appui ? Le chef de l’Etat a refusé ce chemin. L’utilisation du 49.3 aurait été raillée et risquée. Comment interpréter cette décision autrement que comme un recul ? Comme la preuve en tout cas d’une croyance et d’un attachement relatifs du chef de l’Etat aux fondements du texte initial. De la séquence, sa volonté politique sort affaiblie. Son autorité aussi. Un ministre la semaine dernière rêvait tout haut : “Le bilan sera réussi si, à la fin du second quinquennat, les Français font le compte et retiennent des objets du quotidien.” Les probabilités de voir la loi immigration y figurer semblent faibles. On ne gagne jamais à capituler.



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Author : Laureline Dupont, Paul Chaulet

Publish date : 2023-12-19 23:15:55

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Tags :L’Express

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