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À Dijon, l’exposition collective “THEY” revendique le subjectif

À Dijon, l’exposition collective “THEY” revendique le subjectif



Jeunesse : le mot serait en quelque sorte magique, puisque la chose disparaît dès que le qualificatif est énoncé. Il faudrait, par une opération de l’ordre de la théologie négative, se borner à énoncer ce qu’elle n’est pas. Pas seulement un âge de la vie donc, pas tout à fait un état d’esprit. Plutôt : une zone grise comme une heure entre chien et loup, une profession d’indistinction et une profanation des définitions.

Le mot est lancé car il aura tout d’abord servi de boussole exploratoire au projet de recherche “The Raving Age. Histoires et figures de la jeunesse” mené deux années durant à l’ECAL/école cantonale d’art de Lausanne, dont les contributions sont rassemblées en ligne sur la plateforme du même nom.

Pour l’instant, tout reste encore dans l’ordre du langage, celui qui patine, peine à dire, cherche encore et sans cesse modifie sa focale – un exercice apophatique, en quelque sorte. Comment, dès lors, rendre matériel, ou du moins sensible, ce qui précisément élude et échappe ? Exposer sans figer la multiple, spatialiser sans figurer la multitude, et pour faire court, faire mentir l’adage qui voudrait que rentrent au musée des “choses mortes” ?

Communauté subjective en expansion

Au Consortium Musem à Dijon et en coproduction avec l’ECAL/école cantonale d’art de Lausanne, THEY rassemble une dizaine d’artistes sous le commissariat de Stéphanie Moisdon, une scénographie de l’artiste David Douard et la communication et le design teenager-core des anciens étudiants de l’école Lorenzo Benzoni et Lucas Frati.

Il faudrait rajouter que, parmi les propositions, certaines pièces ont été produites spécifiquement pour l’exposition, notamment une fresque murale de Julien Ceccaldi, un ensemble de sculptures – et vraie découverte – de Gabriele Garavaglia ou encore une installation, presque une exposition dans l’exposition, de Mélanie Matranga.

D’autres, encore, viennent s’agréger par résonnance non pas de contexte mais d’esprit, à l’instar d’une installation cyber-archéologique de Morag Keil, trop rare en France, ou de figures d’identification récentes d’une certaine frange du monde de l’art hexagonal s’étant imposées par-dessous pour mieux remonter à la surface : Caroline Poggi & Jonathan Vinel ou David Wojnarowicz.

Faire exposition : exercices d’anti-normalisation

La liste d’artistes, en soi, considérée froidement comme autant de noms alignés sur un livret d’exposition, pourrait paraître surprenante. Voilà un ensemble d’artistes, qui ne sont pas forcément jeunes, qui ne l’ont pas non plus été au même moment car certains sont même mort·es, c’est-à-dire revenant·es, et qui enfin ne traduisent pas toujours les qualificatifs abrasifs qu’on pourrait y associer – que faire par exemple des ready-made électrisés de Gabriele Garavaglia, ces poubelles ménageant un socle à une étoile, à un cœur ?

Or THEY, considérée comme exposition en acte, se tient. Cela a tout à voir avec le parti pris qu’on y lit : oser le particulier, revendiquer le subjectif. Parier sur la communauté sans le communautarisme, celle qu’il faut fabriquer car rien en soi ne permet a priori de reconnaître le même, ou un pareil-que-soi. Il faudrait, en un mot, faire exposition comme on fait meute. Et le constat d’impuissance, celui de représenter la jeunesse qui précisément ne peut l’être, se transforme en une manière de faire exposition autrement : en échappant aux ambitions totalisantes.

D’ailleurs, le titre est bien la nomination d’une désinclusion, du regard porté depuis une position d’observateur·ice extérieur·e. L’honnêteté serait peut-être de ne pas prétendre en “être”, au moment précisément où l’on découvre les vertus perverties de l’inclusion à tout prix se transformant vite en impératif d’intégration – le premier, le sociologue Niklas Luhmann théorisait les rapports entre individus et société.

Les usager·ères contre les auteur·ices : faire art autrement

Il faut peut-être revenir à la répartition de l’espace et à l’organisation de la circulation pour préciser le traitement incarné de ces rapports. Les espaces serpentins de David Douard réalisés en atelier avec ses étudiant·es, qui ménagent des ensembles d’œuvres électifs, sont composés de stores dont la surface a été imprimée et ornée de divers bribes et bibelots.

Ces stores déjà amènent un positionnement contemporain : on pense à l’enfer climatisé des open spaces, du travail post-capitaliste et de l’horizon de la nouvelle classe créative comme celui du précariat. Est-ce à dire que l’horizon depuis lequel œuvrent ces artistes serait forcément celui du réemploi et de la reconfiguration, c’est-à-dire de l’usage de certaines catégories figées et de l’emprunt plutôt que de la relation propriétaire aux mots, aux choses, aux mouvements ?

Une posture possible d’ensemble s’avance, comme une position partagée d’usager·ères. L’histoire, les traditions, les signes, l’esthétique ne font plus mouvement mais réservoir de formes et de sujets, à utiliser plutôt qu’à contempler. Jouer avec des choses mortes donc, comme l’avançait le titre d’une exposition à la Villa Arson en 2008, et surtout, rester en mouvement, entre le dedans et le dehors, les “they/eux” avec les “us/nous”, pour ne jamais se laisser enfermer.

THEY, jusqu’au 31 mars 2024 au Consortium Museum, à Dijon



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Author : Ingrid Luquet-Gad

Publish date : 2023-12-22 16:40:03

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