Pour une fois, l’ambiance est détendue. Chaleureuse, même. Ce mardi 19 décembre, les députés Les Républicains (LR) se retrouvent à la questure pour un pot de fin d’année. L’occasion de prendre un dernier verre avant le retour en circonscription pour les fêtes. Les anciens députés ont été conviés. L’ex-patron de LR Christian Jacob est là. Laurent Wauquiez aussi.Sourire aux lèvres, le candidat putatif pour 2027 déambule au milieu des parlementaires. Il peut être heureux. Le groupe LR s’apprête à voter à l’unanimité un projet de loi très ferme sur l’immigration. Enfin les 62 autoentrepreneurs avancent soudés. Enfin, ce groupe pivot pose son empreinte sur un texte majeur du quinquennat. Il n’est pas qu’un simple apporteur de voix sous majorité relative, dépeint par le Rassemblement national (RN) en béquille du macronisme. La droite a fait plier l’exécutif, la majorité se fracture à ciel ouvert. “C’est la fin du en même temps”, salue Laurent Wauquiez auprès du Figaro. Un espoir s’est levé à droite.””Cela nous place au cœur du jeu institutionnel, nous relégitime, et offre un moment d’unité”, savoure l’eurodéputé LR Geoffroy Didier. Puisqu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud, la députée de Savoie Émilie Bonnivard propose à ses collègues de tenir un séminaire hivernal en Maurienne. LR a gagné. Mais quelle étrange victoire. “Manquer de chance est une faute professionnelle”, disait Nicolas Sarkozy. Dans ce cas, la droite a bien travaillé. Son succès tient davantage du concours de circonstances que d’une stratégie de long terme. Cette victoire est pétrie d’ambiguïtés : chaque frange de LR – pro-coalition ou indépendantiste – y puise une satisfaction. Le succès est ambivalent, son bénéficiaire final est inconnu.”Marleix a pris un gros risque””Il a eu du pif”, “il a bien joué le coup”… Olivier Marleix n’a pas l’habitude de recevoir tant de compliments. Au quotidien, le patron des députés LR est plutôt dénigré pour ses carences managériales. Trop solitaire, manque de pâte humaine ou d’autorité. Du genre à envoyer un bouquet de fleurs à une députée mécontente… et se le faire réexpédier avec un mot acerbe. Ce mercredi 6 décembre, le député d’Eure-et-Loir aggrave son cas. Sans avertir nombre de ses collègues, il dépose une motion de rejet contre le projet de loi immigration, attendu cinq jours plus tard à l’Assemblée. Le texte, musclé au Sénat, vient d’être détricoté par la Commission des lois.En interne, ça tangue. Le groupe est divisé sur l’opportunité de voter la motion écologiste, qui a remporté le tirage au sort. La méthode Marleix heurte. Ce dernier laisse courir l’idée que la vice-présidente du groupe Michèle Tabarot votera la motion, malgré ses réticences. Elle est adoptée le 11 décembre à cinq voix près. Un tiers du groupe LR est resté en retrait. L’histoire retient un coup de maître, mais la balle n’est pas passée loin. Olivier Marleix, soulagé, envoie un SMS de remerciement à quelques députés macron-compatibles qui se sont abstenus au nom de l’unité de leur camp. “Il a pris un gros risque, note le député Ian Boucard. Si elle ne passait pas, il aurait ramassé.” “Le cul bordé de nouilles”, sourit un élu. A défaut, “le groupe aurait été profondément fracturé”, conclut un cadre.”Ce n’est pas Austerlitz”L’exécutif pourrait jeter l’éponge après cette déroute. Il veut en réalité un texte à tout prix et convoque une Commission mixte paritaire (CMP) – où la droite règne en maître – pour trouver un compromis. LR est en position de force, la négociation ayant pour seule base le texte du Sénat. “On a couru comme des conn… derrière les LR. On a lâché sur tout pour avoir absolument un accord avec eux”, se désole une cadre Renaissance. Le gouvernement, victime consentante, multiplie les concessions. De cette CMP, on retient le bras de fer entre LR et l’exécutif autour du versement des aides personnalisées au logement (APL) aux étrangers. Mais le ton est aussi monté entre le président de LR Éric Ciotti et le patron des sénateurs LR Bruno Retailleau. Le premier se montrant plus souple – ou moins intransigeant – que le second dans la négociation. “Cela fut assez chaud”, note une source LR. Laurent Wauquiez appelle au téléphone les deux hommes pour faire baisser la température.Députés contre sénateurs. Cette concurrence illustre combien la droite a navigué à vue. Cet automne, Éric Ciotti et Olivier Marleix demandent à Bruno Retailleau de faire voter au Sénat une question préalable – équivalent de la motion de rejet – contre la loi immigration, afin d’en arrêter l’examen. L’opposition totale est à ce prix. Refus du Vendéen. La mouture droitière adoptée par la chambre haute en novembre, proche du texte final voté par l’Assemblée, suscite alors des remarques acerbes de certains députés LR. “Des petites jalousies, c’est vieux comme le monde”, notait à l’époque Bruno Retailleau. En retour, ce dernier est accusé de condescendance et de tirer la couverture à lui. Il faudra, déjà, une intervention de Laurent Wauquiez en réunion de groupe des députés LR pour calmer le jeu. Parfois décrié, aujourd’hui adoubé : drôle de parcours pour la loi immigration. Un cadre LR résume : “On n’a rien géré tactiquement. C’est un concours de circonstances successives qui fait qu’on atterrit bien. Ce n’est pas Austerlitz.”Coup de fil Ciotti-BorneAinsi s’est dessinée la plus grande victoire LR depuis 2017 à l’Assemblée. Mais pour quel effet à terme ? Le gouvernement implore déjà le Conseil constitutionnel de censurer les mesures les plus clivantes du texte. Oh surprise, ce sont celles imposées par la droite. Il y a de la trahison dans l’air. “Vous allez vous faire taper au Conseil”, a confié le président de la Commission des Lois Sacha Houlié à un député LR, qui le taquinait après le vote. Éric Ciotti, lui, n’a pas envie de rire. Ce mercredi 20 décembre, il envoie un SMS à Élisabeth Borne après l’avoir entendu sur France Inter exprimer ses doutes sur plusieurs mesures du texte. Il y menace l’exécutif d’une riposte dans les médias et au Parlement si l’accord noué avec la droite n’était pas respecté. Aussitôt, la Première ministre le rappelle. Pas convaincu par ses réponses, il s’est fendu ce vendredi d’un courrier officiel à Matignon pour lui rappeler ses engagements.La victoire a cent pères, mais la défaite est orpheline. Le succès des Républicains obéit à cette maxime. La droite a voté une motion de rejet contre le gouvernement, avant de nouer un compromis avec lui. Elle a tenu la plume, mais l’exécutif a accepté de la tremper dans l’encre. Sa victoire culturelle ancre le macronisme à tribord, malgré les fractures observées dans la majorité. Soucieuse de se distinguer d’Emmanuel Macron après la réforme des retraites, la droite a-t-elle scellé une rupture forte avec le pouvoir ou s’est-elle rapprochée de lui ? Son état-major plaide pour la première hypothèse, et vante une loi 100 % LR. Le vote du RN ne permet-il pas d’écarter la thèse d’une alliance LR/Renaissance ?Retour du clivage droite-gauche ?Les députés LR macron-compatibles – signataires en novembre d’une tribune appelant à un compromis sur le texte, revendiquent aussi une part du magot. Tous avaient le sourire, mardi, en réunion de groupe. “On a obtenu ce qu’on voulait”, sourit l’un d’eux. Un pilier LR résume : “On s’est acheté une petite dose d’anticorps contre le macronisme avec la motion de rejet. Mais, avec le gouvernement, l’ambiance générale est de dire : ‘Avec LR, on ne s’aime pas, c’est dur, on se tord le bras, mais à la fin des fins on y arrive.’ Cela crée une ambiance de précoalition.”Lui semble déjà passé à autre chose. Laurent Wauquiez a observé de près cette séquence. Dans Le Figaro, il salue certes l’opposition “utile” de LR, loin des “ambiguïtés” du macronisme. Mais prévient aussitôt : “La véritable opposition dans le pays n’est pas face au macronisme ou au Rassemblement national. Elle est face à une gauche […] déterminée à mener une politique multiculturelle de destruction”. Lui veut être le héraut de la droite, et compte bien sur les voix macronistes et frontistes pour y parvenir.
Source link : https://www.lexpress.fr/politique/lr-et-la-loi-immigration-lhistoire-dune-drole-de-victoire-PFMTRHZIFRF4TNRCLWSH73EFPU/
Author : Paul Chaulet
Publish date : 2023-12-22 16:00:39
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.