“Je n’étais pas amoureux de lui […] Je l’aimais. Je l’aimais. Je l’aimais.” Dès les premières secondes de Saltburn, par le biais d’un de ses personnages, Emerald Fennell énonce sa profession de foi, imperturbable, qui vaudra pour l’entièreté du film. La réalisatrice n’est pas amoureuse de ses sujets, mais elle les aime (comment faire autrement ?), elle les aime follement, elle les aime entièrement. Il ne sera jamais question d’amour dans ce film, seulement d’impostures.
Cette phrase, c’est Oliver (Barry Keoghan) qui la dit à propos de Felix (Jacob Elordi). Un peu trop fleur bleue ? Le début du film en a tout l’air : le premier est un modeste étudiant introverti parvenu à Oxford et rapidement classé du côté des nerds, mais qui tombera sous le charme du second, aristocrate anglais à l’aise en toutes circonstances et pour qui tout semble naturel. Sa générosité le conduira à inviter son pauvre camarade dans sa fastueuse demeure à Saltburn, manoir de villégiature qui ne tardera pas à se révéler scène d’un théâtre où se trame un immense et lamentable jeu de dupes.
Corps désirables
Cette relecture somme toute classique de la lutte des classes prend tout de même une certaine ampleur dans sa première partie : Oliver n’est pas le seul pauvre de la maison et doit cohabiter avec Farleigh, cousin ruiné de la famille. Pauvre… mais de la famille quand même. Et comme c’est dans la concurrence que les produits sont le mieux développés pour le marché, c’est par ce besoin constant de séduire cet ami-mais-peut-être-un-peu-plus et légitimer sa place à la table de sa famille qu’Oliver se retrouve magnifié et sexualisé par la caméra.
Ainsi, ce même procédé d’objectivation des corps (l’histoire se déroule durant l’été 2007, c’était encore bien vu et à la mode) produit un effet tout autre chez Felix : constamment pieds nus, en chemise de lin transparente et avec quelque chose à la bouche (une bouteille, une clope), la fluidité de son personnage et de ses désirs semblent, chez lui, sincères et encouragés.
Une lutte bourgeoise des classes
Mais à partir du milieu du film, derrière cette façade luxueuse à laquelle on s’est habitué et lorsqu’on commence à se demander vers où Saltburn se dirige, le scénario laisse voir les ficelles peu reluisantes qui le constituent. La naïveté des premières scènes qui pouvaient laisser présager une rom-com gay consciente des structures de classe se mute en un geste cynique où tout devient permis pour faire frémir le spectateur. Cela se remarque d’ailleurs à l’absurdité et à l’incohérence croissante de l’intrigue, tel le cousin qui se mettrait subitement à voler du mobilier ou encore Felix qui conduit son ami à la rencontre de sa famille qu’il a toujours dit vouloir éviter…
Pire que tout cela : le film ment délibérément sur les intentions de ses personnages pour construire un final déguelasse et interdit, qui ne prouve rien d’autre que l’inconséquence politique de la cinéaste (déjà en germe dans Promising Young Woman). Avec un tel scénario bourgeois, Saltburn se trouve être un film sans lutte, ni classe. Un paradoxe de cinéma qui révèle en permanence l’immense potentiel cinégénique de ses deux acteurs malgré le mauvais goût permanent de sa mise en scène. “Get lost to Salburn”, annonçait la bande annonce. Ne faites pas la même erreur que la réalisatrice.
Saltburn, de Emerald Fennell avec Jacob Elordi et Barry Keoghan, disponible sur Amazon Prime.
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Author : Nicolas Moreno
Publish date : 2023-12-22 11:13:33
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