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Tombeau de Jésus, voyage nocturne de Mahomet… La véritable histoire des mythes de Jérusalem

JERUSALEM - DECEMBER 8: A general view of Al-Aqsa Mosque and Dome of the Rock as the surroundings of the mosque stays empty due to Israeli forces continue to impose restrictions on Palestinians to perform Friday prayers at Al-Aqsa Mosque in Jerusalem on December 8, 2023. Mostafa Alkharouf / Anadolu (Photo by Mostafa Alkharouf / ANADOLU / Anadolu via AFP)




Cité montagneuse dotée d’un climat rugueux et à l’écart des grandes routes commerciales, Jérusalem n’a jamais eu une grande importance stratégique. Sa principale ressource naturelle ? Ses mythes. “A Jérusalem, ne me demandez pas l’histoire des faits. Otez la fiction, et il ne reste rien”, explique ainsi l’historien palestinien Nazmi al-Jubeh. Dans cette ville triplement sainte, fiction et réalité, théologie et Histoire se confondent jusqu’au vertige. Alors qu’elles ont successivement contrôlé Jérusalem, les trois grandes religions monothéistes ont investi, récupéré et détourné différents lieux. Décryptage de ces principaux mythes.Judaïsme : Abraham sur le mont du TempleDans la Genèse, Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils Isaac sur une montagne du “pays de Moriah”. Cette mise à l’épreuve est un épisode fondateur du judaïsme (et plus tard du christianisme et de l’islam). Selon la tradition juive, le mont Moriah biblique n’est autre que le mont du Temple réel de Jérusalem, sur lequel le roi Salomon aurait bâti le Premier Temple au Xe siècle avant Jésus-Christ. Or, historiquement, on ne retrouve la première trace écrite de ce lien que dans le deuxième livre des Chroniques, datant du Ve siècle avant Jésus-Christ : “Salomon commença alors la construction de la maison de Yahvé. C’était à Jérusalem, sur le mont Moriah, là où son père, David, avait eu une vision.” Autrement dit, c’est à l’époque du Second Temple, cinq siècles après Salomon, qu’on a cherché à sacraliser encore plus ce lieu en l’associant au quasi-sacrifice d’Abraham. “Cette rétroaction du mythe sur le lieu réel est une constante dans l’histoire de Jérusalem”, souligne l’historien Vincent Lemire, ancien directeur du Centre de recherche français à Jérusalem et coauteur de la BD à succès Histoire de Jérusalem. Les Samaritains (une des plus anciennes branches du judaïsme), eux, associent le mont Moriah au mont Garizim, leur lieu saint, près de Naplouse.Selon la tradition talmudique, le mont du Temple aurait même fourni l’argile servant à la création du premier homme, Adam. De quoi vraiment faire de Jérusalem le “nombril du monde”.Christianisme : Hélène à tombeau ouvert”Jésus n’aimait pas Jérusalem”, constate Vincent Lemire. L’essentiel de l’action des Evangiles se situe en dehors de la ville. “Jésus ne vient à Jérusalem que pour être présenté au Temple, puis il y retourne pour mourir. Quand vous cherchez ensuite à christianiser Jérusalem pour y fabriquer des lieux saints, vous n’avez donc pas grand-chose à vous mettre sous la dent !” Durant les premiers siècles après Jésus-Christ, Jérusalem n’a d’ailleurs rien d’une place forte du christianisme.Les patriarcats se situent alors à Rome, à Constantinople, à Alexandrie et à Antioche, comme si cette nouvelle religion née du judaïsme devait prendre ses distances avec son modèle. La Jérusalem céleste, où les croyants connaîtront l’éternité, semble alors plus importante aux chrétiens que la Jérusalem terrestre.Mais tout change au début du IVe siècle avec Constantin, premier empereur romain converti au christianisme. Vers 325, soit trois siècles après la crucifixion, la septuagénaire Hélène, mère de Constantin, arrive à Jérusalem. Sa mission : identifier les lieux de la Passion. Si l’on se fie à sa légende et aux nombreuses reliques qu’elle aurait découvertes (croix, clous, écriteau, épines de couronne…), l’impératrice est la plus grande archéologue de l’Histoire.Selon Eusèbe de Césarée, hagiographe de Constantin, une communauté chrétienne aurait transmis de génération en génération la mémoire du lieu de la crucifixion et de la résurrection. Or Jérusalem a été rasée par Titus en 70 et n’a eu pour seuls habitants que les troupes de la Xe légion romaine durant plusieurs décennies, avant d’être rebâtie et romanisée par Hadrien après 130. Comment dès lors retrouver le lieu le plus sacré pour le christianisme ? “Le tour de passe-passe a consisté à supposer que les Romains avaient forcément connaissance du lieu de sépulture de Jésus, et qu’ils avaient tout fait pour le cacher en construisant par-dessus un temple de Vénus. Cette hypothèse est des plus fragiles, car il y avait de nombreux temples romains dans la Jérusalem de l’époque”, note Vincent Lemire.Hélène fait ainsi détruire le temple romain dédié à Vénus pour y découvrir un tombeau, “comme il y en a des milliers en sous-sol à Jérusalem”, précise l’historien. Selon les récits édifiants d’auteurs chrétiens des IVe et Ve siècles, c’est un rabbin qui identifie le lieu et retrouve miraculeusement trois croix, avant de se convertir. Selon L’Histoire ecclésiastique de Sozomène, écrite au Ve siècle, une mourante se serait même levée en touchant la Vraie Croix, permettant ainsi de la distinguer de celles des “larrons” crucifiés en même temps que Jésus. Très rapidement, Constantin fait construire un sanctuaire sur la grotte, le premier Saint-Sépulcre. Cette église aura une importance majeure dans le déclenchement de la première Croisade. Après la destruction partielle du Saint-Sépulcre par le calife fatimide Al-Hakim en 1009, puis la conquête de la ville par les Turcs seldjoukides, le pape Urbain II invite en 1095 la chrétienté à libérer les lieux saints. C’est réellement le Saint-Sépulcre qui va mobiliser les croisés européens.Si la question de l’authenticité du tombeau du Christ ne peut être historiquement tranchée, on sait en revanche que le pèlerinage de la Via Dolorosa, itinéraire supposé du chemin de croix de Jésus et qui débute près de la porte des Lions, à l’est, ne date que du XIVe siècle. Auparavant, le chemin de croix était associé au mont Sion, au sud. “Mais, au fond, cela ne change pas grand-chose : quand on fait un pèlerinage, on vient raffermir sa foi, et non pas chercher la vérité historique”, souligne Vincent Lemire.Islam : de l’oubli du Coran à Al-QudsAlors que les références à la Bible sont nombreuses dans le Coran, Jérusalem n’y est jamais mentionnée. En arrivant, les Arabes continuent d’ailleurs à la nommer “Ilyia”, d’après son nom romain, Ælia Capitolina. En quelques siècles pourtant, la ville va devenir Al-Quds (“la Sainte”). “Sur le plan théologique, Jérusalem s’est construite tardivement comme troisième lieu saint de l’islam, mais, sur le plan chronologique, c’est bien plus précoce”, explique Vincent Lemire.C’est entre 635 et 638 que les Arabes prennent la ville aux Byzantins. Alors que les chrétiens avaient déplacé le cœur de Jérusalem du mont du Temple au Saint-Sépulcre, les musulmans vont réinvestir le lieu sacré du judaïsme, devenu “une décharge publique”. Selon la légende, après la reddition, le calife Omar, deuxième successeur de Mahomet, se serait même fait conduire sur le rocher d’Abraham par un rabbin converti à l’islam. Or, selon les recherches récentes, Omar n’a jamais mis les pieds à Jérusalem, ces récits rétrospectifs visant à sacraliser Jérusalem comme troisième sanctuaire de l’islam.C’est avec la dynastie des Omeyyades (661-750) que Jérusalem prend une importance nouvelle aux yeux des musulmans. Son fondateur, Mouawiya, s’y fait proclamer calife. Entre 688 et 692, Abd al-Malik y fait construire la Coupole du Rocher, le plus ancien monument islamique conservé au monde. D’architecture byzantine, le nouvel emblème de Jérusalem n’est pas une mosquée, mais vise d’abord à honorer la mémoire d’Abraham (ou Ibrahim), qui, selon le Coran, serait le bâtisseur de la Kaaba. La Coupole du Rocher est aussi une critique du christianisme, et en particulier du dogme de la Trinité. Abd al-Malik y fait inscrire : “Ô gens du Livre [NDLR : les chrétiens], ne soyez pas excessifs dans votre religion, et dites seulement la vérité sur Dieu. Le Messie, Jésus, fils de Marie, fut seulement un messager de Dieu, il fut la parole de Dieu confiée à Marie. Croyez ainsi en Dieu et en ses messagers et ne parlez pas de Trinité ; abstenez-vous de parler de cela, cela vaut mieux pour vous !” Pour Vincent Lemire, “il y a d’abord la volonté du pouvoir omeyyade de démontrer la supériorité de l’islam sur la religion chrétienne. L’islam s’est emparé d’une ville byzantine qui avait cherché à faire oublier le Temple et l’ancienne Alliance en construisant le Saint-Sépulcre au IVᵉ siècle. L’islam, au contraire, se revendique d’une filiation directe avec le judaïsme, considéré comme le seul vrai monothéisme.”Cette valorisation de Jérusalem par les Omeyyades revêt aussi une dimension stratégique, alors que la dynastie a transféré le cœur de l’Empire islamique vers l’ouest, à Damas. Confrontés, dans les années 680, à la révolte d’Ibn Zubayr, qui s’était autoproclamé commandeur des croyants et avait mis la main sur La Mecque, les califes omeyyades ont sans doute cherché à mettre en avant le prestige de leurs territoires syriens face aux vieilles familles du Hedjaz.La grande mosquée au sud de la Coupole de Rocher, deuxième haut lieu musulman de Jérusalem, a sans doute été achevée par Al-Walid, fils d’Abd al-Malik. Détruite par deux tremblements de terre, elle sera reconstruite au XIe siècle par le calife fatimide Al-Zahir, alors que Jérusalem retrouve une importance stratégique dans la lutte contre les Abbassides de Bagdad. Le lieu devient la mosquée Al-Aqsa (“la plus éloignée”), du fait d’une libre interprétation de la sourate 17 du Coran, qui évoque l’isra, le voyage nocturne de Mahomet depuis la “mosquée sacrée” (c’est-à-dire La Mecque) jusqu’à “la mosquée très éloignée”. Selon des traditions anciennes, ce voyage nocturne se serait fait en direction du ciel. Mais, au IXe siècle, des exégètes comme le Persan Tabari commencent à associer la destination à Jérusalem, et qu’importe si la ville ne disposait pas de mosquée du vivant de Mahomet. Ce dernier y aurait rencontré les prophètes Abraham, Moïse et Jésus, avant de monter aux cieux en compagnie de l’archange Gabriel (le miraj, “ascension”). Une empreinte du pied de Mahomet sur le rocher témoignerait même de cet envol. Et c’est ainsi que l’esplanade au sommet du mont du Temple finira par être rebaptisée “Al-Haram Al-Charif” (“Noble Sanctuaire”). Conclusion de Vincent Lemire : “La célèbre formule de Lavoisier s’applique parfaitement à Jérusalem : ‘Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.’”



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Author : Thomas Mahler

Publish date : 2023-12-25 16:00:00

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