Imaginez un monde où nous vivrions toujours plus longtemps, mais où le passage du temps affecterait nos cerveaux de la même façon qu’aujourd’hui. Un monde peuplé de vieux à l’apparence rajeunie, toujours vigoureux mais chaque jour plus autocentrés, ralentis, étourdis, dépassés, moroses ou pire encore, perdus ou amnésiques. Un cauchemar. Car même lorsqu’il échappe aux maladies neurodégénératives, notre encéphale se transforme sous l’effet de l’âge. “Un peu comme un arbre qui perd ses feuilles à l’automne, les terminaisons nerveuses s’altèrent”, résume le Pr Yves Agid, neurologue et cofondateur de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière*. Les neurones communiquent moins bien entre eux, ils s’encrassent, les vaisseaux sanguins rétrécissent et se déforment, le volume cérébral diminue… Le déclin cognitif qui résulte de ces métamorphoses, plus ou moins rapide selon les individus, a longtemps paru inéluctable. Un temps révolu. “La science nous montre que nous sommes capables d’inverser les horloges du vieillissement, dans le corps mais aussi dans le cerveau”, se réjouit le Pr Pierre-Marie Lledo, directeur du département de neurosciences de l’Institut Pasteur et directeur de recherche au CNRS.L’espoir est né voilà une dizaine d’années, quand une poignée de chercheurs de l’université Harvard aux Etats-Unis ont eu l’idée un peu folle de relier la circulation sanguine d’une souris jeune à celle d’une souris âgée. “A l’époque, on savait déjà que cela pouvait ‘rajeunir’ certains organes, mais les effets sur le cerveau n’avaient jamais été étudiés. Quand j’ai vu les premiers résultats, je me suis dit que cela allait être une révolution”, se souvient Lida Katsimpardi, alors jeune postdoctorante. Avec l’apport de sang jeune, le cerveau des rongeurs âgés semblait comme régénéré. Leur vascularisation s’améliorait, la production de nouveaux neurones aussi. Et avec elles, la mémoire. Une molécule semblait particulièrement impliquée, la GDF11.Depuis, Lida Katsimpardi poursuit cette voie prometteuse, pour mieux comprendre le rôle et les mécanismes d’action de ce potentiel élixir de jouvence. Des travaux qui l’ont menée en France, dans l’équipe du Pr Lledo à Pasteur, et à l’Inserm. “Nous avons découvert que le GDF-11 diminue aussi l’excès de poids et la dépression”, résume la chercheuse. La molécule agirait en renforçant l’autophagie, c’est-à-dire la capacité des neurones à s’autonettoyer, à se débarrasser de leurs déchets métaboliques. “Dans l’hippocampe, cette molécule élimine également les cellules sénescentes, ces cellules trop âgées qui ont arrêté de se diviser et diffusent autour d’elles des facteurs d’inflammation toxiques. Leur disparition relance la production de neurones”, ajoute le Pr Lledo. Mieux encore, cette molécule magique semble avoir des propriétés similaires chez l’homme. “Comme chez les souris, les concentrations de GDF11 dans le sang baissent avec l’âge, et les diminutions sont plus fortes chez les patients déprimés”, rapporte le Pr Lledo à partir d’une étude observationnelle menée sur une centaine d’individus.Le chemin à parcourir reste immenseDepuis les travaux pionniers de Lida Katsimpardi, différentes équipes ont identifié dans le sang une quinzaine d’autres molécules potentiellement rajeunissantes. Un chercheur français, Franck Oury, a par exemple repéré une hormone produite par l’os, l’ostéocalcine. “Nous nous y sommes intéressés car elle diminue avec l’âge, et est modulée par l’activité physique et la restriction calorique, qui ont prouvé leur efficacité pour ralentir le déclin cognitif”, explique-t-il. Une bonne intuition : chez les souris âgées, une hausse des concentrations sanguines en ostéocalcine corrige le ralentissement des fonctions cognitives. A l’inverse, quand un rongeur âgé reçoit du plasma d’un animal jeune d’où l’ostéocalcine a été retirée, sa récupération s’avère moindre que si l’hormone est présente.Les scientifiques pensent qu’il reste encore d’autres molécules aux effets similaires à découvrir. Leur manipulation s’annonce en tout cas délicate et les transfusions pour éviter de vieillir restent vivement déconseillées, faute de validation chez l’homme. Pour ajouter à la complexité, le sang des plus âgés contient à l’inverse des molécules qui accélèrent le déclin cognitif, qu’il faudrait éliminer. “Il est peu probable qu’une seule thérapie suffise. Les trajectoires de vieillissement variant selon les individus, il faudra définir des biomarqueurs et proposer des traitements personnalisés, comprenant des évolutions de style de vie, des molécules rajeunissantes et des molécules inhibant les facteurs de déclin”, écrit Saul Villeda, de l’université de Californie du Sud, dans la revue Nature neuroscience parue en début d’année.Le dogme d’un cerveau inaccessible aux interventions est peut-être tombé, mais le chemin à parcourir reste donc immense. On pourrait espérer que les traitements “rajeunissants” envisagés pour le reste du corps agissent aussi sur le cerveau. Rien n’est moins sûr : “Nous savons déjà que c’est le cas pour certains d’entre eux, mais pas pour d’autres”, constate Coleen T. Murphy, directrice d’un laboratoire de recherche sur le vieillissement à l’université Princeton (Etats-Unis) et spécialiste du cerveau. De nombreuses pistes sont ouvertes, de la quête des molécules émises lors de l’activité physique, dont les vertus neuroprotectrices sont avérées, aux tentatives de reprogrammation des neurones. “Beaucoup de progrès ont été faits, mais en vérité, la complexité de notre encéphale est telle que nous ignorons même si nos connaissances représentent un millième ou un millionième de tout ce qu’il y a à savoir”, relativise Yves Agid. De fait, la recherche sur le vieillissement du cerveau a attiré jusqu’ici moins de financements que les travaux sur Alzheimer ou Parkinson.Mieux comprendre le déclin cognitif “normal” pourrait pourtant, en retour, ouvrir de nouvelles pistes pour lutter contre les pathologies neurodégénératives, ou au moins les prévenir. C’est le pari de David Furman, professeur associé au Buck Institute pour la recherche sur le vieillissement et chercheur à l’université Stanford (Etats-Unis). “Des études sur une cohorte de 1 500 personnes d’une part et sur des animaux d’autre part montrent une corrélation entre un vieillissement accéléré du cerveau et l’apparition de ces maladies”, constate le scientifique. Fort de ces résultats, il a utilisé des outils d’intelligence artificielle pour identifier des molécules potentiellement capables de ralentir ce vieillissement. Il les teste à présent sur des organoïdes cérébraux (des modèles issus de cellules souches reprogrammées qui miment la structure de parties du cerveau) et sur des souris. Parmi ces molécules, beaucoup de vieux médicaments. Dont le Viagra “qui pourrait avoir la capacité d’inverser les signatures moléculaires d’Alzheimer et du vieillissement cérébral”, assure le chercheur. De l’art de joindre l’utile à l’agréable…
* Je m’amuse à vieillir, 291 pages, Odile Jacob, 2020, 22,90 euros.
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Author : Stéphanie Benz
Publish date : 2023-12-26 05:00:00
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