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Judith Godrèche : “‘Icon of French cinema’ est une réparation”

Judith Godrèche : “‘Icon of French cinema’ est une réparation”



Ce n’est pas la première fois que Judith Godrèche troque la place de l’interprète pour celle de l’autrice. À 22 ans déjà, elle publiait un roman (Point de côté chez Flammarion, 1995). En 2010, elle réalisait un premier film, Toutes les filles pleurent.

Après une décennie vécue aux États-Unis, à jouer dans des films indépendants et tenter de développer des projets personnels, elle revient avec une série produite par Arte particulièrement percutante. Son titre, amusant et ironique, Icon of French Cinema, annonce la couleur : Judith Godrèche pose un regard démystificateur sur sa longue histoire avec le cinéma français dans un autoportrait mordant et fantaisiste. Elle y met en regard l’actrice adolescente égérie du cinéma d’auteur qu’elle fut avec l’adulte mère de famille qu’elle est devenue. Dans un collage un peu cubiste tout en ruptures de ton se côtoient la screwball comedy et l’épouvante (dans des scènes glaçantes où la comédienne évoque sa relation d’emprise avec un cinéaste-mentor). La comédienne interprète bien sûr le rôle principal de cette autofiction à peine déguisée, tandis que sa propre fille, Tess Barthélemy, interprète sa fille de fiction. Autour d’elleux s’animent une galerie de personnages farfelue campée de façon enjouée par Didier Sandre (le père), Ludmila Mikael (la mère), Laurent Stocker (vraiment très drôle en décideur d’une chaîne de télé), Loïc Corbery (le cinéaste), Thomas Scimeca (le premier amour)…

Judith Godrèche nous raconte strate par strate la genèse de ce projet et comment s’est imposée pour elle la nécessité de raconter ses traumas enfouis.

Comment est née cette série ?

Judith Godrèche – En 2014, j’étais en tournage aux États-Unis. Je m’apprêtais à rentrer en France pour développer un film. Un peu par hasard, je me suis retrouvée dans un bureau de HBO pour leur parler d’une idée. Ils m’ont proposé d’en faire une série. J’ai découvert alors les possibilités qu’offrait la forme épisodique, son potentiel tentaculaire pour embrasser des histoires, des arches très amples de personnages… J’ai donc développé une série pour HBO qui ne s’est pas faite.

Le projet était sans rapport avec Icon of French Cinema ?

Disons que le rapport c’est moi. (rires) C’était l’histoire d’une Française installée à Los Angeles, qui se sentait un peu “fish out of water”. Le projet n’a pas vu le jour. J’ai réfléchi à d’autres idées. La série telle qu’elle se présente aujourd’hui a mis du temps à apparaître et l’a fait un peu sur le mode d’un puzzle. Je voulais d’abord parler de ma relation personnelle avec mon employée de maison avant que je parte vivre aux États-Unis, qui est une des pistes de ce qui deviendra Icon of French Cinema. J’avais envie de parler aussi de sororité. Et de trois générations de femmes. J’imaginais aussi raconter l’histoire d’une Française qui vivait un peu comme une touriste aux USA, en contact direct avec tous les fantasmes des Américains sur les Français. J’ai pu l’expérimenter en jouant le rôle d’une Française dévergondée dans le film produit par les frères Duplass, The Overnight. Les Américains qui avaient vu le film et que je rencontrais n’avaient aucun doute sur le fait que j’étais vraiment le personnage. J’ai eu l’idée d’inverser. De parler d’une Française ayant vécu aux États-Unis, revenant vivre en France mais avec une part américaine en elle.

Vous étiez une spectatrice assidue de séries ?

J’en ai regardé énormément oui. Et puis en développant un projet pour HBO, j’ai beaucoup appris. Ils sont très impliqués, très pédagogues aussi. Pour moi qui ne suis pas allé beaucoup à l’école, c’était un enseignement très formateur. Leur vision de l’écriture de série est très spécifique, à rebours des normes du genre. Par exemple, ils ne veulent pas que le pilote d’une série se termine par un cliffhanger. Contrairement à beaucoup d’autres streamers, ce n’est pas leur truc. Ils n’ont pas le goût des effets de surprise, des retournements un peu spectaculaires pour capter l’attention. Ils ont une vision du récit beaucoup plus… organic ! (rires). C’est tout en nuances. Travailler pour eux, c’est presque comme étudier les mathématiques. On explore une méthodologie d’écriture à la fois très précise et très subtile.

À quels types de narration êtes-vous sensible ?

J’aime beaucoup le comique de répétition. J’aime les créateurs comme Larry David (Larry et son nombril) ou Phoebe Waller-Bridge (Fleabag) où pour chaque pas en avant on fait trois pas en arrière, où les personnages se font des croche-pieds à eux-mêmes, où parfois le récit bégaie… Ce rythme narratif particulier, fait de circonvolutions, n’est pas vraiment exploitable au cinéma. Il a vraiment besoin de la temporalité des séries.

Vous citiez Larry et son nombril et Fleabag. Quelles sont vos autres séries favorites ?

Une série anglaise : I hate Suzie, avec Billie Piper, mais aussi Girls de Léna Dunham ou encore Ramy… J’aime beaucoup les séries qui travaillent sur la mise en abyme, l’autofiction, l’autodérision. Les séries où les créateurs ou créatrices sont aussi les interprètes et sont mus par une logique d’auto-sabotage. Moi par exemple, dans Icon…, je pourrais écrire dix épisodes où je suis en tenue de hamster. J’adore quand les séries confrontent leurs auteurs et autrices à leur pire cauchemar. Pour une actrice qui a débuté dans le cinéma d’auteur, a tourné avec de grands cinéastes, se retrouver, des années plus tard, déguisée en hamster pour une émission de téléréalité, ça peut tordre le ventre d’angoisse. C’est l’effet que ça faisait à Didier Sandre (le comédien qui joue le père du personnage principal, ndlr). Moi ça m’amuse complètement.

Vous aimez surtout les séries un peu autoportraits, donc…

Selon les cases conçues par les décideurs de l’industrie de la série, certaines séries, dont la mienne, sont catégorisées comme characters driven. C’est en effet ce qui m’intéresse. Mais cela peut être aussi une série où la dimension de fiction est très forte, comme Les Sopranos. Il suffit que le personnage central soit extrêmement puissant. La série produit le sentiment d’accompagner un personnage dans toute sa complexité, dans tous les méandres de son psychisme. C’est pour cela que la série est si addictive. Elle nous fabrique des compagnons, des gens avec qui on vit, que l’on a besoin de retrouver.

Comment Arte a accueilli et accompagné votre série ?

Je ne suis pas sûre qu’ils s’attendaient à une autofiction de ce type. La première fois que nous avons parlé à Olivier Wotling (ancien directeur de la fiction d’Arte, ndlr), il était très curieux mais j’ai l’impression qu’il ne s’attendait pas à ça. Probablement parce que mon image n’est pas liée à la comédie, même si certains de mes films comme L’Auberge espagnole de Cédric Klapisch ou Potiche de François Ozon en relevait. Mais il a tout de suite dit oui, et même, il m’a poussée à n’avoir peur de rien.

Vous pensez que votre image est toujours déterminée par les films de vos débuts, réalisés par Benoît Jacquot, Jacques Doillon, Olivier Assayas… ?

J’ai grandi dans un monde très intellectuel, orienté par la culture, la littérature, le cinéma. Je me suis construite en lisant un livre par jour, en fréquentant assidûment la Cinémathèque. Puis je suis devenue actrice très jeune et en tant que muse et égérie, j’ai grandi dans le cinéma d’auteur. Cela faisait sens parce que les livres que je lisais correspondaient aux films que je tournais. Cet univers de cinéma n’était pas antinomique à mon univers d’enfant ou de jeune fille. Mon père était psychanalyste et m’a appelée Judith en référence au personnage de L’Âge d’homme de Michel Leiris. C’était par ailleurs le prénom de la fille de Lacan. J’ai lu très jeune Winnicott, Freud… Les gens que j’ai rencontrés dans mon adolescence n’ont pas voulu travailler avec moi par hasard. En devenant une femme, en m’émancipant passée 20 ans, je me suis trouvée dans un rapport de crise identitaire, car comme toute ma jeunesse avait appartenu au cinéma et à l’homme avec lequel je vivais, la question se posait de savoir qui j’étais. Est-ce que j’avais le droit d’être cette personne ou est-ce que ce n’était qu’avec lui ? Est-ce que j’avais même le droit de parler sans être validée par quelqu’un ? En quittant cet homme, j’ai eu l’impression de trahir le cinéma d’auteur.

Vous êtes-vous sentie à l’écart par le cinéma d’auteur après votre rupture avec Benoît Jacquot ?

Je me suis sentie mise à l’écart, mais peut-être que je surinterprétais. J’étais tellement angoissée que j’ai sûrement projeté beaucoup de choses. Partir a été une épreuve de force. Même partie, je ne savais pas si j’avais le droit d’exister sans son accord.

Vous parliez de muse et d’égérie. Ce sont des mots que vous aimez aujourd’hui ?

L’histoire de Pygmalion n’est pas une histoire très heureuse en fait. Mais je l’ai compris assez tard. Pour moi, une relation de muse et de pygmalion qui me faisait rêver, c’était celle de Karina et Godard. Mais elle n’avait pas 14 ans lorsqu’ils se sont rencontrés. À l’âge que j’avais à mes débuts dans le cinéma, personne ne m’a expliqué que j’avais le droit de dire non. Pas même quand je tournais La Fille de 15 ans de Jacques Doillon et que nous avons tourné une scène où il m’embrassait 45 fois de suite. La possibilité de refuser de retourner une nouvelle prise n’existait pas dans ma tête. La seule loi que j’appréhendais était le cinéma et je vivais pour cette loi-là.

Est-ce que vous avez le sentiment que la tolérance envers les comportements que vous avez subis est en train de réduire considérablement ?

Pas tant que ça non. Il y a des tentatives de révolution mais aussi des retours de bâton. Benoît Jacquot vient de tourner son nouveau film. J’ai l’impression que les choses n’évoluent pas tant que ça. Le mécanisme de complaisance n’est pas si attaqué que ça. J’ai relu récemment d’anciennes interviews de lui, dont un dans les Inrocks, qui dit que je l’ai manipulé pour faire des films, ce qui m’a choqué. Et ce qu’il dit n’est pas vraiment interrogé. Il affirme des choses du même ordre dans Libération un peu plus tard ou dans d’autres médias. C’est vraiment une mauvaise interprétation de la figure de la Lolita. Le rapport de séduction de l’artiste aux médias, aux acteurs ou actrices, accorde des passe-droits et son autorité n’est pas suffisamment questionnée. Bien sûr que le visage d’un ou d’une adolescente est un paysage à la diversité infinie. On peut faire un plan-séquence de plusieurs heures sur ce visage et c’est passionnant. Il se passe tellement de choses, d’attractions, de retenue. C’est un moment tellement beau à filmer… Mais l’adulte, son rôle c’est de faire La Désenchantée sans être avec la comédienne qui joue la désenchantée.

“J’ai traversé quand même des moments d’ambivalence face à mon métier, des moments de résistance”

Vous n’avez jamais ensuite rejeté le cinéma malgré ce sentiment d’abus. Vous avez continué à tourner très régulièrement.

J’ai traversé quand même des moments d’ambivalence face à mon métier, des moments de résistance où je n’avais plus tellement envie d’enchaîner les films. Mais pas au point de m’arrêter en effet. Aux États-Unis, j’ai découvert des méthodes d’acteur qui, au contraire, consistaient à questionner tout ce que leur demandait le metteur en scène. Jusqu’au moindre détail. “Mais pourquoi je ne regarderais pas à gauche plutôt qu’à droite à ce moment ? Pourquoi je me lèverais soudain ?”. Ça m’a fasciné. C’était très étranger à ma pratique cette façon de remettre en cause la vision du metteur en scène et la façon dont il voulait que je sois.

Comme réalisatrice, avez-vous élaboré une méthode moins verticale ?

Je travaille vraiment dans l’amour. Je ne pourrais pas du tout créer dans le conflit et ça n’a, de fait, pas du tout été le cas sur cette série. Je ne peux pas travailler avec un acteur comme s’il était un objet. À l’intérieur d’un cadre fixé par l’écriture, j’attends qu’il soit un partenaire d’échanges. Avec Laurent Stocker, nous nous sommes même livrés à de nombreuses improvisations. Les moments les plus troublants pour moi ont été le tournage des mises en abyme. Comme celle où j’ai reproduit une scène de La Fille de 15 ans. Sur le tournage, il y avait une coordinatrice d’intimité pour qu’Alma, la jeune comédienne, puisse s’isoler avec elle et ait la possibilité de lui dire ce qu’elle n’avait pas envie de faire. La caméra était placée dans le dos d’Alma, car elle m’avait dit qu’elle ne voulait pas embrasser Loïc Corbery. Elle devait donc s’approcher simplement de lui et je coupais avant – l’emplacement de la caméra permettant d’imaginer qu’elle l’embrassait. Alma était mal à l’aise, avait des fous rires nerveux. On a changé la conception de la scène. C’était incroyable pour moi qui avais vécu cette scène comme actrice de la revivre mais en l’articulant avant toute chose aux limites de ce que voulait ou ne voulait pas faire la comédienne. Ça a été pour moi l’occasion d’un vrai dialogue intérieur avec celle que j’ai été, celle que je suis devenue…

Le recours à des coachs d’intimité est encore minoritaire en France. Ce choix s’explique-t-il par votre culture américaine ?

Pas forcément. Je tenais vraiment à choisir une actrice qui ait l’âge du personnage. Et puis je suis tombée en amour pour Alma parce que ses essais étaient extraordinaires. Mais il était clair que je ne la mettrais dans aucune situation qui pourrait l’embarrasser. Il a fallu que j’écrive une lettre à la DASS pour expliquer comment je comptais filmer les scènes de contact physique, à quel point elle serait respectée. Je voulais qu’Alma sorte du tournage sans avoir aucun regret. L’intervention d’une coordinatrice d’intimité permettait à l’actrice d’avoir un autre référent que moi. C’est important dans toute interaction de faire entrer la Loi. Ça ne veut pas dire qu’il faut appeler un flic. Mais qu’il faut faire entrer une tierce personne qui puisse apporter un regard extérieur. C’est l’idée du triangle. Il y a le metteur en scène, l’acteur et la tierce personne. Et ça, c’est extraordinaire. En tant que réalisatrice, je me suis trouvé confronté à une limite, celle de ma comédienne, et j’ai dû réinventer, créer. C’est peut-être là qu’on devient metteur en scène.

Vous avez témoigné il y a six ans dans l’article du New York Times sur Harvey Weinstein, qui précédait celui du New Yorker. Pouvez-vous revenir sur ce moment ?

Il a fallu que Lena Dunham monte au créneau pour me convaincre de m’exprimer. Jonathan Safran-Foer également. J’ai d’abord dit non. J’avais peur de son pouvoir. J’avais peur qu’il m’empêche de travailler aux États-Unis. Et puis je me sentais illégitime. À cause de mon enfance, de mon histoire, sans me le formuler, je traînais une culpabilité. Le parcours intérieur, la formation d’une formulation interne, la capacité de réaliser des choses et d’arriver à en parler, c’est parfois tellement long. Les choses peuvent être enfouies, emmurées. Mon grand truc dans la vie, c’est de dédramatiser. De parler des choses même traumatisantes comme un truc de plus. C’est très difficile de placer les choses à la hauteur de la violence de ce qui a été vécu, de verbaliser.

Quand vous vous êtes exprimée sur Weinstein, avez-vous entrevu que vous reviendrez aussi sur votre expérience de jeune actrice ? La série était-elle dans un coin de votre tête ?

Pas du tout non. Quand un peu après MeToo, Adèle Haenel a pris la parole, puis quand Le Consentement de Vanessa Springora est sorti, j’ai eu des propositions pour raconter mon expérience et je n’ai pas voulu le faire. C’était impossible de mettre des mots dessus.

Mais vous avez choisi de faire cette série…

Oui, parce que j’ai une fille de 15 ans. Parce qu’elle a exprimé son désir d’être artiste, danseuse, actrice. Je l’ai vue avec ses copines chez moi. J’ai rencontré toutes ces jeunes filles qui sont dans une école d’art, veulent faire du cinéma, du théâtre, de la danse. Ça a été un choc presque physique. Que ma fille, cette jeune femme, se retrouve dans un monde où elle va se confronter au pouvoir des autres, m’a permis de raconter ce que j’avais vécu. C’était comme un devoir d’adulte. Presque une responsabilité civile.

Dans la série, le personnage que joue votre fille vit elle-même une histoire avec un artiste plus âgé qu’elle. Mais elle paraît avoir plus de protections.

Il y a un effet miroir. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer que cette génération a une force que je n’avais pas. Au moment où, elle s’en va. Il y a quelque chose fait d’amour et de vie, qui s’est transmis. Le personnage de la jeune fille est plus informé, elle a la possibilité intérieure de comprendre ce qu’elle vit. Je n’ai pas pensé cette série comme un réquisitoire mais comme le récit d’une réparation.

“Avec cette série, j’essaie de créer une place”

En revenant en France, après votre long séjour américain, avez-vous le sentiment de reprendre votre place ?

Je ne sais pas, on va voir (rires). En tout cas, avec cette série, j’essaie de créer une place. Je crois que j’ai un goût pour les nouveaux départs, les recommencements. Vivre à Los Angeles – qui peut paraître, pour une Française, une ville un peu fantôme, sans véritable centre, où je suis arrivée sans même savoir conduire – a décanté quelque chose. On peut s’y sentir perdue. La ville n’est pas vraiment un allié. Que rien n’y soit su de moi, que rien ne soit écrit, que personne n’ait lu le livre de ma vie avant que même je sache qui je suis, a été important pour me recomposer.

Changer de langue a été important ? La série joue beaucoup de l’entrelacs entre le français et l’anglais…
Écrire dans une langue qui n’est pas ma langue maternelle, ni celle du cinéma d’où je viens, a débloqué quelque chose je crois. J’ai vécu longtemps dans une recherche de validation. J’ai grandi en me demandant ce qu’allait penser les Cahiers du cinéma où j’ai fait ma première interview à l’âge de 17 ans. J’ai toujours eu peur de décevoir. Cette série est peut-être la première chose que j’ai conçue sans me poser ce type de questions, sans m’interroger sur ce qu’on allait penser, sans chercher à savoir si j’étais une intello ou un clown. Quand j’ai écrit mon premier film, Toutes les filles pleurent, je crois que j’avais peur de libérer ce que j’avais au fond de moi, de ma propre violence. Je crois que je n’ai fait qu’effleurer ce que je voulais dire. Que je n’ai pas laissé respirer ce que je voulais dire.

Comment avez-vous découvert ce clown dont vous parlez et qui se libère dans la série ?

Il vient je crois de mon grand-père, qui a survécu à l’holocauste, et qui avait une façon très à lui d’emmener de l’imaginaire en tout. Il inventait tout le temps des histoires mirobolantes, il avait développé un rapport très ludique à l’existence. J’ai appris je crois de lui à sortir de la douleur grâce à quelque chose issu de l’imaginaire. Je suis quelqu’un qui vit beaucoup d’heures de la journée dans la fantaisie, dans l’imaginaire.

Vous disiez à ce propos qu’un de vos traits était l’aptitude à dédramatiser, mais votre série, même si elle comporte beaucoup de fantaisie, parvient à un endroit, celui des flash-backs sur votre enfance, à ne pas du tout dédramatiser et à regarder en face le drame.

Je pensais en effet qu’il fallait un contraste entre les aventures de cette jeune femme au présent dans Paris et l’enfant qu’elle avait été. J’ai essayé dans l’écriture de trouver un lien entre les deux. Les scènes du passé sont comme une fenêtre sur l’inconscient, une trouée dans les scènes de comédie. Mais je ne me suis jamais vraiment formulé en termes de dosage, de calcul. J’ai écrit ces six épisodes presque en écriture automatique, presque sous l’emprise de mon besoin de les écrire. Les réflexions sur la construction ne sont intervenues qu’au montage. C’est là qu’avec mon monteur Guillaume Lauras, on a déplacé des scènes, reconstruit le parcours du personnage.

Pourquoi ce running gag où on vous confond tout le temps avec Juliette Binoche ?

Parce que c’est vrai. On me confond très souvent avec elle. Ça m’est encore arrivé dans un taxi la semaine dernière. Il y a quelques jours, on écoutait avec mon fils la bande originale de la série qu’il a composée avec son groupe Faux amis dans un magasin d’audio sur des enceintes au son extraordinaire. Et la vendeuse m’a dit : “Ah justement, Juliette Binoche est venue l’autre jour”. Cette fois, ce n’était pas qu’elle me prenait pour elle, mais par association, en me voyant, elle pensait à elle. Des fois, je laisse croire que c’est moi. J’essaie bien sûr d’être sympa pour que les gens ne se disent pas : “Juliette Binoche, qu’est-ce qu’elle est désagréable.” (rires)

“Tous les metteurs en scène du monde utilisent le cinéma pour parler d’eux, mais on ne leur reproche jamais.”

Un de vos plus beaux rôles, selon nous, c’est Grande petite (1994) de Sophie Fillières, disparue il y a quelques mois. Vous n’avez pas tourné tant que ça avec des réalisatrices, non ?

Mon premier film était réalisé par une femme cinéaste, c’était L’Été prochain (1985) de Nadine Trintignant. Ensuite, il y a eu Sophie Marceau, qui a réalisé deux films dans lesquels j’ai joué, Tonie Marshall… Et je viens de tourner avec Ovidie. La perte de Sophie (Fillières) a été très dure pour moi. J’ai gardé un lien fort avec elle après Grande petite. Hélène (Fillières, sa sœur ndlr), Pascal (Bonitzer, son ancien compagnon, ndlr), Agathe (Bonitzer, sa fille ndlr) ont constitué pour moi une sorte de famille… Sophie était vraiment un être à part, une cinéaste extrêmement personnelle. J’ai lu récemment une critique de Grande petite qui reprochait au film d’être une sorte de psychanalyse de son autrice. Je me suis dit qu’on n’a jamais reproché ça à Woody Allen. Ben oui, tous les metteurs en scène du monde utilisent le cinéma pour parler d’eux, mais on ne leur reproche jamais.

Comment observez-vous l’évolution de la place des réalisatrices dans l’industrie du cinéma ?

Je connais Greta Gerwig. On s’est rencontrées il y a quelques années pour réfléchir à un projet ensemble. On avait noué une sorte d’amitié un peu instinctive. Elle connaît très bien le cinéma français, apprécie beaucoup les films d’Olivier Assayas. Quand on voit Frances Ha, on voit bien que Noah Baumbach et elle admirent Leos Carax. Je suis très admirative de la liberté qu’elle a pris en réalisant Barbie. Quand on vient de France Ha et qu’on fait Barbie, il y a forcément un chemin et ce chemin d’une certaine manière je lui envie. Ce n’est pas seulement une chance, c’est aussi un courage d’entrer dans ce cinéma-là avec ces moyens-là. Et je pense qu’il faut donner à des femmes ces budgets-là. Mais on les attend tellement plus au tournant.

Qu’est-ce que vous envisagez pour la suite ?

J’écris un long-métrage que je vais réaliser. Et je suis en train de développer une série. Mais c’est vrai qu’en ce moment, avec la sortie de la série, qui est un moment très particulier, je suis un peu apnée. Enfin, je ne sais pas si “apnée” est le mot parce que je parle beaucoup pour quelqu’un en apnée (rires).

Icon of French Cinema, actuellement sur Arte



Source link : https://www.lesinrocks.com/series/judith-godreche-icon-of-french-cinema-est-une-reparation-604839-26-12-2023/

Author : jeanmarclalanne

Publish date : 2023-12-26 15:42:51

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Tags :Les Inrocks

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