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Aux obsèques de Patrick Buisson, les héritiers, les absents et quelques ombres

Le cercueil contenant la dépouille de l'essayiste français Patrick Buisson devant l'église Saint-Ferdinand-des-Ternes à Paris, le 3 janvier 2024




Bruno Gollnisch est arrivé en avance, pour déjeuner. Le temps de se remémorer quelques souvenirs. De l’époque où il était en fac de droit, à Nanterre, et Patrick Buisson en fac de lettres, au même endroit. Une année les séparait, mais ils faisaient partie du même syndicat, la FNEF. Une scission de l’Unef, censée être apolitique, mais qui regroupait dans les faits les étudiants de droite et d’extrême droite anti-soixante-huitards. C’était il y a des années. Ce 3 janvier 2023, en l’église Saint-Ferdinand des Ternes, dans le XVIIe arrondissement de Paris, on enterre Patrick Buisson, une personnalité tutélaire et contestée, dont l’ombre couve depuis plus de cinquante ans les représentants de la droite dure. Et, pour eux, le funèbre rendez-vous est impossible à esquiver.Sur le parvis, Charles de Meyer, le fondateur de SOS Chrétiens d’Orient, dirige les arrivants. Il a connu Buisson il y a bien longtemps, à la présentation d’une avant-première de son film sur le procès de Jeanne d’Arc. Ils se sont tout de suite entendus, leur amour commun pour la prose maurrassienne aidant. Un camion noir se gare à quelques mètres. Marine Le Pen et Jordan Bardella en sortent, parcourent rapidement la courte distance qui les sépare de l’entrée, et s’installent au premier rang, droits et silencieux. La députée du Pas-de-Calais, pourtant, n’a jamais porté dans son cœur ce chantre de l’union des droites, ami de son père. C’est sur les conseils de Patrick Buisson qu’en 2007 Nicolas Sarkozy siphonne les voix du Front national, après avoir exposé sa stratégie à Jean-Marie Le Pen, lors d’un déjeuner à Montretout. Lui encore qui assurait, en avril dernier, que le RN n’arriverait jamais au pouvoir tant que Marine Le Pen serait candidate. Pas rancunière, cette dernière a tout de même rendu hommage au défunt, saluant un homme “d’une grande culture, un écrivain de talent” dont “l’esprit provocateur et la plume acérée” – dont elle a fait les frais- “manqueront à la France”.Marine Le Pen, Jordan Bardella et Eric Zemmour14h45. Le son de l’orgue remplit la salle. La cérémonie débute dans cette grande église à peine remplie où résonnent des chants religieux, entonnés en latin. Le requiem est donné suivant le rite dominicain, et doit durer plus de deux heures. Pour l’occasion, la Fraternité Saint-Vincent Ferrier a fait le déplacement depuis Vannes. Elle rend hommage à “ce catholique, ce Français”, cette “âme bien embarquée dans les naufrages de la civilisation” a été baptisée, il y a 74 ans. L’occasion d’en remettre un petit coup aussi au concile Vatican II, honni par les “tradis”. Et à cette époque “où la religion du salut se décompose en religion du bonheur”, moment où l’enseignement du “jugement dernier est remisé au profit d’un projet utopique de bonheur absolu”.Une heure après le début, Marine Le Pen quitte la salle. Il faut dire qu’elle goûte peu aux messes traditionnelles dont elle n’est pas très friande, bien qu’elle conserve le genou flexible en faisant le signe de croix. Elle laisse Bruno Gollnish tenir compagnie à Jordan Bardella. A leur droite, un brin camouflés par la fumée de l’encens, on aperçoit Eric Zemmour, Sarah Knafo, Stanislas Rigault, qui entretenaient, eux aussi, une histoire particulière avec l’essayiste. En 2021, c’est Patrick Buisson qui conseille à l’ancien journaliste du Figaro de se lancer dans la campagne présidentielle. Au fil de l’eau, il lui délivre ses conseils, ses critiques, et porte un regard attendri sur ce nouveau héraut de l’union des droites. Stanislas Rigault, jeune président de Génération Z, a l’œil humide lui aussi. Bercé par les écrits de Buisson, il lui avait donné un coup de main pour la promotion de ses livres, la gestion de ses réseaux sociaux, en profitant pour s’abreuver de quelques références idéologiques.Une génération journalistiqueInterruption des chants. L’assemblée se lève. Vincent Hervouet monte à la tribune. Le journaliste d’Europe 1, intervenant régulier sur CNews, était un ami de l’essayiste, et s’insurge longuement du traitement que la presse réservait par habitude au défunt. Il salue un ferrailleur, un intellectuel, un “chrétien du fond de l’église”. Au fond de l’église, justement. C’est ici qu’on retrouve les héritiers idéologiques de Patrick Buisson. L’essayiste a infusé sa pensée au sein de toute une génération. Et ils sont tous là, les bébés Buisson. L’équipe de Valeurs Actuelles, que Buisson a brièvement dirigée après avoir chapeauté l’hebdomadaire antisémite Minute, a répondu présent. Geoffroy Lejeune et Charlotte d’Ornellas (désormais au JDD), Laurent Dandrieu, Marc Eynaud se serrent les uns contre les autres sur les bancs de bois froids. Eugénie Bastié et Alexandre Devecchio, les plumes du Figaro Vox, sont assis quelques mètres plus loin, avec les dirigeants de leur rédaction. “Ce sont eux les héritiers journalistiques de Patrick Buisson et d’Eric Zemmour”, abonde un journaliste de TV Liberté. Ces conservateurs, aujourd’hui bien implantés dans les médias, et qui croient au gramscisme de droite, cher à Patrick Buisson. Cette certitude selon laquelle le combat politique se gagne d’abord par les idées. Buissonistes convaincus, ces journalistes de droite pleurent la disparition d’un mentor en goûtant à l’homélie réactionnaire donnée en son honneur.Union des extrêmes droites sur le parvisLes vieux routiers de l’extrême droite sont là aussi. Un peu à l’écart, le royaliste Paul-Marie Coûteaux ne se joint à la foule que pour communier. François Bousquet, rédacteur en chef de la revue néodroitière Éléments, plutôt animée d’ordinaire de la flamme néopaïenne, va même jusqu’à bénir le cercueil. Il est suivi de près par une nuée de jeunes, satellites du RN ou de Reconquête, qui ont côtoyé Patrick Buisson, lu ses ouvrages, écouté ses conférences. Parmi eux, les amis de Jordan Bardella. Le président du RNJ Pierre-Romain Thionnet, ou l’avocat Pierre Gentillet, se tiennent discrètement debout et écoutent. D’ordinaire, ils goûtent assez peu aux rituels chrétiens, mais acceptent de faire une exception. C’est un jour particulier.16h30. La messe se termine sur un Ave Maria. Une centaine de personnes quittent l’église. Sur le parvis, quelques-uns s’arrêtent un instant pour discuter. Sarah Knafo, Pierre Gentillet, Pierre-Romain Thionnet, Stanislas Rigault, Jérôme Sainte-Marie, Arthur Perrier (le directeur de cabinet de Jordan Bardella). La photo de groupe a des allures de famille recomposée. Jordan Bardella, lui, s’est vite carapaté. “C’était la post-droite à l’enterrement de l’union des droites”, s’amuse Arnaud Stéphan, ancien conseiller de Marion Maréchal, toujours présent dans l’écosystème. La post-droite, mais sans la droite. Aucun des cadres du parti Les Républicains n’a été aperçu dans les travées de l’église. Éric Ciotti, pourtant, avait rendu hommage à l’homme qui vivait “avant beaucoup les grands dangers qui menacent notre pays.” Il faut dire qu’entre Patrick Buisson et la droite, les relations se sont distendues, depuis le dévoilement du scandale des écoutes de l’Élysée – évidemment Nicolas Sarkozy, qui n’a pas réagi au décès, manque à l’appel, de même que Georges, le fils avec lequel le défunt était brouillé depuis des années. “Soit ils étaient en vacances, soit ils avaient piscine, soit ils n’ont pas beaucoup la reconnaissance du ventre”, fulminent les présents. Mais Eric Ciotti ou Bruno Retailleau auraient sans doute fait un peu tâche, dans ce décor extrême droitier. Accepter les conseils de Buisson, passe encore, s’afficher auprès de ses héritiers sulfureux, non merci. Et un proche du défunt d’abonder : “Ça ne m’étonne pas. Ils ont peur de leur ombre, et ne pensent qu’à éviter la bourrasque.”



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Author : Marylou Magal, Mattias Corrasco

Publish date : 2024-01-04 05:30:00

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