Au poker, on appelle ça faire tapis. Tout miser sur un coup. Emmanuel Macron a placé les Jeux olympiques au coeur de son quinquennat. “Le climax de son mandat”, “un événement qui va placer le pays au centre du monde pendant deux mois”, “les plus beaux Jeux de l’histoire”, “un évènement digne de l’Exposition universelle de 1889”, fanfaronnent ses conseillers. Le risque est calculé, sans doute, mais l’issue ne peut qu’être radicale. La consécration ou le désastre, pas de demi-mesure possible. Les feux sont aujourd’hui à l’orange. Les transports en commun fonctionnent mal, les sociétés de sécurité privée peinent à recruter, de petits grains de sel viennent sans cesse gripper la dynamique, telle cette tour en bois du scandale à Tahiti. Rien d’inhabituel. La France réussira-t-elle son pari de faire de ses JO un moment inoubliable ? Récit d’un événement, plus grand qu’une simple compétition sportive.EPISODE 1 – Comment Paris a décroché les JO 2024 : bluff, manigances et petits arrangementsEPISODE 2 – Paris 2024, les trois plaies des JO : métro, piscine et… ces millions qui intriguent la justiceEPISODE 3 – Paris 2024, les coulisses de la cérémonie d’ouverture : angoisse sécuritaire et bataille politiqueChapitre 10 : Le sponsoring et la partenariats tous azimuts de LVMHComme d’habitude, les fins limiers de la rue Cambon n’ont pas fait dans le lyrisme. Le ton est sec, le sujet aride. Ce 1er juillet 2023, la Cour des comptes publie un nouveau point d’étape sur l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques. Au détour des 111 pages du rapport, une phrase fait tiquer : “L’objectif fixé dans la révision budgétaire suppose impérativement, pour être atteint, qu’un nouveau partenariat de rang 1 se concrétise.” Comprendre, la course aux sponsors n’est pas terminée. Dans le budget initial, le Cojop a fixé un objectif de 1,1 milliard d’euros de recettes de sponsoring, mais la dérive des dépenses a obligé les organisateurs à relever l’objectif à 1,24 milliard d’euros. Depuis des semaines, une question taraude les financiers de Paris 2024 : quand le géant mondial du luxe LVMH va-t-il rejoindre le club très sélect des partenaires officiels premium, ceux qui ont versé une obole de près de 150 millions d’euros ? La banque BPCE a été la première, rapidement suivie par Orange. EDF a mis près d’un an et demi à signer le contrat.Bernard Arnault, le patron de LVMH et Thomas Bach, le président du CIO lors de la signature du partenariat avec Paris 2024.En ce début d’été 2023, Bernard Arnault se laisse désirer. Au sein de Paris 2024, un homme est aux manettes : François-Xavier Bonnaillie, le grand manitou des partenariats. Le sport, ce n’est pas vraiment son affaire. Il a passé vingt-cinq ans chez Procter & Gamble, et les gros deals, il sait faire. Sauf que là, il a ferré un trop gros poisson. Bernard Arnault, l’homme le plus riche du monde, parle, lui, directement avec le CIO. Quelques mois plus tôt, le 17 décembre 2022, le patron de LVMH a reçu discrètement à la Fondation Louis-Vuitton Thomas Bach, le président du CIO, et une délégation du Cojop. Au milieu des bronzes de Giacometti et des grands formats de Joan Mitchell, ils se sont mis d’accord sur le principe d’un partenariat avec Paris 2024. Pour les détails, l’intendance suivra, et le contrat n’est définitivement signé que le 24 juillet dernier.Berluti, Sephora, Chaumet, Dior, Vuitton.”Tout a pris beaucoup de temps, car LVMH est entré dans un niveau de détail très fin”, commente sobrement François-Xavier Bonnaillie. Le géant du luxe a d’abord négocié une extension internationale de ses droits. En principe, ce type de partenariat – même premium – n’autorise l’entreprise à utiliser l’emblème Paris 2024 qu’à l’intérieur des frontières hexagonales. Là, LVMH obtient la possibilité d’utiliser le logo des Jeux parisiens dans quatre ou cinq autres pays, moyennant une rallonge au CIO et aux Comités olympiques des pays concernés. La négociation porte ensuite sur les maisons mises à l’honneur. Qui pour habiller les athlètes le soir de la cérémonie ? Givenchy ? Trop compliqué. Patou ? Trop petit. Kenzo, Fendi, Loro Piana ? Trop italiens. Ce sera finalement la marque franco-italienne Berluti, dont Antoine Arnault assure à l’époque la direction.Mais le partenariat avec LVMH ne s’arrête pas là. Le joaillier Chaumet dessinera les médailles, et les champagnes Moët Hennessy seront servis à toutes les tables des festivités officielles. L’enseigne Sephora sera visible tout au long du parcours de la flamme. Une collaboration avec Dior sera également annoncée avant fin avril. Reste le clou du contrat : un partenariat avec Louis Vuitton qui sera dévoilé quelques jours avant le début des Jeux. Pourquoi pas une malle renfermant les médailles et visible lors de chaque cérémonie de remise par des milliards de spectateurs ? Après tout, le ballon d’or qui récompense le meilleur footballeur européen de la saison est depuis cette année transporté dans une malle créée par le malletier français.Chapitre 11 : Quand Vladimir Poutine fait plier le CIOLe président russe Vladimir Poutine, avec le Premier ministre hongrois Viktor Orban et Marius Vizer, le président de la fédération internationale de judo lors des championnats du monde en août 2017.Ce vendredi 8 décembre, dans le bureau d’Amélie Oudéa-Castéra au dernier étage du ministère des Sports, Matvi Bidny navigue entre amertume et colère. Quelques heures plus tôt, lors d’un conclave extraordinaire, le CIO s’est finalement prononcé en faveur d’une participation des athlètes russes et biélorusses aux Jeux de Paris sous bannière neutre. Le nouveau ministre ukrainien des Sports en visite dans la capitale accuse le coup. Pendant des semaines, Kiev et sa diplomatie ont tenté de convaincre les grandes fédérations sportives internationales et rencontré certains membres influents de l’organisation de Lausanne. Et puis la balance a penché de l’autre côté. “Nous avons pris cette décision en acceptant ses conséquences, et les boycotts n’ont jamais rien arrangé”, se justifie quelques jours plus tard à L’Express le baron Pierre-Olivier Beckers-Vieujant, un des membres influents du mouvement olympique.Le CIO a imposé des garde-fous : pas de sport en équipe, et le CV des futurs qualifiés sera passé au crible. Ils ne devront jamais avoir manifesté leur soutien à la guerre, ni pointé dans un club de l’armée. Une demi-victoire pour Vladimir Poutine, qui menace cependant : “Si les responsables sportifs internationaux continuent d’agir de cette manière, ils enterreront le mouvement olympique.” A l’Elysée, Macron temporise et se range à l’avis du CIO. Anne Hidalgo, elle, maintient à L’Express que “la participation des Russes est inenvisageable”.Dès le lendemain de l’invasion russe en Ukraine, le 27 février 2022, le mouvement olympique avait pourtant conseillé aux fédérations internationales d’exclure les athlètes russes de leurs compétitions. Puis, il y a un an, une brèche s’est ouverte, jusqu’à la décision récente. Mais ce sont les fédérations internationales qui auront le dernier mot, puisque ce sont elles qui ont la responsabilité d’organiser les qualifications.Dans ces hautes sphères sportives, les performances comptent autant que la géopolitique. Et l’argent. La très puissante fédération internationale d’athlétisme, World Athletics, présidée par l’ancien champion du 1 500 mètres Sebastian Coe, a clairement banni tous les sportifs russes des compétitions éliminatoires. Celles d’équitation et de surf pourraient suivre.Mais d’autres, depuis des lustres sous influence russe, se félicitent du virage du CIO. L’oligarque russo-ouzbeke Alicher Ousmanov, sous sanctions de l’Union européenne, a certes démissionné de la présidence de la fédération d’escrime, mais son ombre plane toujours sur les décisions. Le président serbe de la fédération internationale de lutte (United World Wrestling), Nenad Lalovic, voue, lui, une reconnaissance éternelle à Vladimir Poutine, qui l’a soutenu personnellement lorsque la discipline a failli disparaître de la liste des sports olympiques il y a quelques années. Quant à Marius Vizer, le patron de la Fédération internationale de judo (FIJ), il n’a jamais caché son amitié pour le maître du Kremlin, avec lequel il chasse. La FIJ est la seule organisation sportive à ne jamais avoir écarté les athlètes russes de ses compétitions. Et, lors des derniers Mondiaux en juin 2023 au Qatar, Vladimir Poutine s’est largement félicité de la décision rétrospective de la Fédération de partager la médaille d’or un temps accordé au français Teddy Riner avec son adversaire, le Russe Inal Tasoev…Reste à savoir combien de sportifs russes participeront cet été aux compétitions, compte tenu des règles très strictes imposées par le CIO. Une quarantaine au mieux, d’après certains observateurs. Une délégation si maigre que Moscou pourrait bien décider de boycotter les Jeux de Paris. Après tout, Poutine pourra parader lors des World Friendship Games, sorte de concurrent aux JO, organisés en septembre à Moscou et Iekaterinbourg en Sibérie…Chapitre 12 : Macron et la course aux médaillesFacile d’énerver un sportif français. Il suffit de lui parler du “home advantage”, ce théorème qui voudrait qu’à chaque édition des Jeux, les athlètes du pays d’accueil sur-performent. Un principe qui laisse entendre que les médailles pourraient s’obtenir mécaniquement, sans effort des champions. Dans une étude, l’Agence nationale du sport prédit 61 breloques à la France, dont 17 en or. Il s’agirait d’un record absolu, pulvérisant les 53 médailles de Rio, en 2016. Le très sérieux institut Gracenote est même encore plus optimiste. Sur la base de ce même “home advantage”, calculé à partir des JO de Londres, l’institut prévoit 51 médailles tricolores dont… 27 en or. Ce qui placerait la France sur le podium des nations.Emmanuel Macron a un objectif : il a demandé aux athlètes de viser le top 5 mondial. Une gageure. Au lendemain des Jeux de Tokyo, le président-coach n’avait pas caché sa déception. “Le bilan global de ces Jeux n’est pas tout à fait au niveau que nous attendions […] Je vous le dis très clairement, on doit faire beaucoup plus”, avait-il maugréé devant les fédérations, réunies à l’Elysée en septembre 2021.Avant 2012, les Britanniques avaient choisi de miser sur certaines disciplines, à travers leur agence UK Sport. Pendant sept ans, des sommes astronomiques ont été engagées dans le cyclisme sur piste, l’aviron, le canoë, l’équitation ou la voile. A l’arrivée, 65 médailles, dont 29 en or. Un triomphe. La France a fait différemment. L’Agence nationale du sport n’a pas travaillé par filières mais par potentiels. 120 millions d’euros ont été investis dans la haute performance. “On n’a pas choisi de sports, on est restés un peu au milieu du gué, on a perdu du temps… Or, pour que la fête réussisse, il faudra une bonne organisation, un succès populaire, mais aussi de bons résultats sportifs”, griffe Jean-François Lamour, ex-ministre des Sports et double médaillé d’or au sabre. Un choix plus équitable, plus français sans doute. Mais risqué, confronté à la glorieuse incertitude du sport et ces quelques millièmes de seconde qui séparent le bonheur du désarroi.
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Author : Béatrice Mathieu, Etienne Girard
Publish date : 2024-01-05 16:55:45
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