Quel est le rapport entre un individu glissant sur la neige avec des raquettes et une personne ayant un goût prononcé pour la gauloiserie ? Réponse : l’adjectif “égrillard”. Cela vous paraît bizarre ? Je vous rassure : votre réaction est tout à fait naturelle. Seule une plongée dans l’histoire de la langue française permet de comprendre comment nous sommes passés du premier sens de ce mot à son acception actuelle.VOUS SOUHAITEZ RECEVOIR CETTE LETTRE D’INFORMATION ? >>Cliquez iciTout commence par l’arrivée des Vikings en Normandie, que le roi de France Charles le Simple finira par leur abandonner pour avoir la paix. Les hommes du Nord sont venus avec leurs drakkars, leurs armes, mais aussi leur vocabulaire norrois, dont le mot “skidila”, “glisser sur la neige avec des raquettes”. Peu à peu, la forme comme la signification de ce skidila évoluent et le terme désigne un “malfaiteur qui guette les passants”, par allusion aux “mouvements vifs du voleur apparaissant et disparaissant de façon inattendue”, nous explique le Dictionnaire historique de la langue française. Puis, à partir du XVIIᵉ siècle, on le retrouve sous la forme “égrillard” pour évoquer “une personne alerte, vive ou d’une conduite libre”, avant de passer à l’idée d’un “homme adroit, éveillé, rusé”. Et voilà comment nous avons fini par déboucher sur son sens actuel : “Qui aime les plaisanteries et les propos grivois” (Larousse). Ouf !”Egrillard” n’est pas le seul mot de la langue française à avoir profondément changé de sens au fil du temps. En voici d’autres exemples, dont les évolutions sont plus marquantes encore puisqu’ils signifient de nos jours… le contraire de ce qu’ils voulaient dire à l’origine !Aoûtien. Qu’est-ce qu’un “aoûtien” en 2024 ? Une personne qui prend ses vacances au mois d’août. Qui appelait-on “aoûtien” à la fin du XIXᵉ siècle ? Une personne qui… restait à Paris au mois d’août. Véridique !Crudivore. Avec la montée des préoccupations écologiques, un certain nombre de Français adoptent un régime alimentaire basé sur la consommation d’aliments crus. On les qualifie de “crudivores”. Logique ? Pas du tout. Jusqu’au début du XIXᵉ siècle, un crudivore était en effet un amateur de… viande crue, un féroce, un vorace, un carnassier. Bref, l’exact opposé d’un végétarien.Enervé. Jusqu’au XIXᵉ siècle, cet adjectif signifiait “privé de nerfs”. En sciences naturelles, à mon époque, les lycéens pratiquaient par exemple “l’énervation” du nerf sciatique de la grenouille. Néanmoins, le geste réflexe demeurait : en piquant le nerf de l’animal, la jambe continuait de se plier. D’où l’évolution de sens : peu à peu, on a qualifié d’”énervé” celui ou celle qui réagissait comme la grenouille. Et c’est ainsi qu’un individu privé d’énergie est devenu une personne irritée, exaspérée, excédée. Autrement dit : quelqu’un qui ne contrôle plus ses nerfs.Grève. Les mauvaises langues disent que les agents de la RATP et de la SNCF passent plus de temps à faire grève qu’à travailler. Médisance, bien sûr. En revanche, si ces sociétés avaient existé au Moyen Age, une telle accusation n’aurait jamais été émise, et ce pour une raison simple : faire grève signifiait alors… demander du travail. A Paris, il était de coutume en effet que les ouvriers cherchant à louer leurs bras se rendent près de l’actuel Hôtel de ville, dans l’espoir de trouver un employeur. La “grève”, en l’occurrence la plage de sable et de graviers en bordure de Seine, servait en quelque sorte de France Travail avant la lettre.Rien. Le saviez-vous ? Longtemps, le mot “rien” signifiait “quelque chose” ! C’est parce qu’il était surtout employé dans des phrases négatives – “il n’y a rien” au sens d’”il n’y a pas quelque chose” – qu’il a fini par prendre le sens que nous lui connaissons. Le mot, en effet, est issu du latin “rem” qui signifie “chose”. “A force d’apparaître dans l’immense majorité des cas dans des énoncés négatifs, il a fini par être entièrement contaminé par le sens de la négation”, souligne André Thibault, professeur à la Sorbonne. Nous n’y prenons pas garde, mais l’évolution est considérable. C’est un peu comme si, à force de lancer “il ne fait pas chaud”, “chaud” finissait par signifier “froid”…Suspicieux. Une personne particulièrement méfiante est aujourd’hui qualifiée de “suspicieuse” et cela nous paraît naturel. A ceci près que, au XIVᵉ siècle, “suspicieux” signifiait au contraire “qui suscite le soupçon”.Et si vous n’y comprenez plus rien, ce n’est pas une raison pour vous énerver.RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR ma chaîne YouTubeÀ LIRE AILLEURSLorraine Airport condamné à devenir Lorraine Aéroport“Est-ce que ça fait plus ou moins vendre ? Je n’en sais rien”, reconnaît lui-même le directeur général de l’aéroport situé entre Metz et Nancy dans un entretien au Figaro. Il n’empêche : il aura fallu que l’Association francophonie avenir (Afrav) multiplie les procédures en justice pour obliger cet établissement public à respecter la loi Toubon et à changer de nom. Une affaire qui pourrait faire jurisprudence.En 2024, votre téléphone pourra traduire vos échanges en temps réelSamsung le promet : dès 2024, l’intégration de l’intelligence artificielle sur son prochain téléphone Galaxy permettra aux locuteurs de deux langues différentes de se comprendre immédiatement, via une traduction audio et textuelle en temps réel. A juger sur pièce.Les nouvelles exigences du Québec pour protéger le français inquiètent les entreprisesPlusieurs entreprises ont cessé leurs activités au Québec en raison de l’adoption l’an dernier d’une loi renforçant les exigences en matière de la langue française. Les sociétés doivent notamment rédiger en français les contrats, les offres d’emploi, les factures et les documents de livraison. Selon le patronat local, ces mesures, assimilées à des “lourdeurs bureaucratiques”, pourraient avoir in fine un effet négatif sur l’économie québécoise.Non, la naturalisation d’un couple de Belges francophones n’a pas été refusée à cause de leur niveau de françaisCette version a été relayée par de nombreux médias. En réalité, le refus de la préfecture de la Drôme porte sur la nature des documents fournis par le couple afin de justifier de son niveau de français et non sur leur niveau de français en lui-même.Philippe Pratx rend hommage à l’holorime“Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime / Galamment de l’arène à la tour Magne, à Nîmes”Vous l’aurez constaté : ces deux vers de Marc Monnier riment du début à la fin, d’où leur appellation de “vers holorimes” – du grec “holos”, “tout entier, complet”. Dans le passé, Victor Hugo, Jacques Prévert et Alphonse Allais s’y sont adonnés, tout comme, dans un style différent, Philippe Geluck (“Ma femme m’affame”). C’est en partant de ce principe, théorisé par l’écrivain Raymond Roussel, que Philippe Pratx a rédigé huit récits, dont l’un a pour arrière-plan la loi Molac sur les langues régionales.Ὅλοι [holoï]. Récits rousséliens holorimés, par Philippe Pratx (Ed. Le Coudrier).Alan Stivell : “Les panneaux bilingues, ce n’est pas suffisant !“Alan Stivell, l’une des figures majeures du renouveau culturel breton, en est convaincu : il est encore possible de sauver la culture bretonne, mais on n’y parviendra pas avec des mesurettes. “Pour que la langue bretonne survive, il faut qu’elle devienne langue officielle. Autrement, on est dans les soins palliatifs. Et c’est exactement ce qui se passe, explique-t-il dans un entretien accordé au site Bretagne actuelle. On est arrivé à avoir des panneaux bilingues, ce qui était utopique il y a encore quelques années. Il faut s’en réjouir, mais passer à d’autres étapes.”“Etre breton n’est pas une affaire de couleur de peau”Pour célébrer ses 60 ans, Le Peuple breton, magazine de l’Union démocratique bretonne (UDB), a affiché en couverture une photo d’un enfant de couleur en costume traditionnel. Un choix qui a déclenché de nombreux commentaires racistes. “Etre Breton n’est pas une affaire de couleur de peau, c’est d’abord une affaire de sentiment d’appartenance”, a répondu le rédacteur en chef de la revue, Gael Briand.Un concours littéraire en occitan pour les fêtes de BayonneOn l’oublie souvent, mais la ville de Bayonne est aussi de culture gasconne. Pour cette raison, le concours joliment intitulé “Le basque est la plume”, organisé à l’occasion des fêtes de la ville et réservé jusqu’ici aux langues basque et française, s’ouvre cette année à l’occitan (dans toutes ses variantes) avec deux catégories : “adultes” et “lycéens”. Les textes sont à remettre avant le 11 février.Apprendre le provençal à Aix, c’est possible… et c’est gratuitSous l’égide de la ville d’Aix-en-Provence, deux heures de cours de provençal sont dispensées gratuitement tous les mercredis, de 15 heures à 17 heures, par Annie Bergèse. Renseignements auprès de l’Oustau de Prouvènço, parc Jourdan, 04-42-26-23-41.A REGARDERIl défend le français en LousianeJourdan Thibodeaux est louisianais et se bat pour protéger la langue française dans cet État américain qui ne compte plus que 100 000 francophones, contre 1 million dans les années 1960. Un témoignage émouvant en faveur d’une langue minoritaire aux Etats-Unis.RÉAGISSEZ, DÉBATTEZ ET TROUVEZ PLUS D’INFOS SUR LES LANGUES DE FRANCE SUR la page Facebook dédiée à cette lettre d’information.
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Author : Michel Feltin-Palas
Publish date : 2024-01-09 06:45:00
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