Les Chinois avaient tout fait pour dissuader les Taïwanais de voter pour lui, allant même jusqu’à lancer un satellite d’observation au-dessus de l’île quelques jours avant les élections. Mais malgré les tentatives d’intimidation, la population n’a pas eu peur, et a choisi de confier les rênes du pays au candidat honni par Pékin. Lai Ching-te, dit aussi William Lai, le vice-président sortant, a été élu président de Taïwan ce samedi 13 janvier avec plus de 40 % des voix selon des résultats quasi-définitifs, devant Hou Yu-ih (33,4 %), du Kuomintang, la formation nationaliste, plus conciliante vis-à-vis de Pékin. Grâce à lui, le parti démocrate progressiste (DPP en anglais), opposé à toute idée d’unification avec la Chine même à long terme, conserve le pouvoir après huit ans de présidence de Tsai Ing-wen.Les autorités chinoises ne cachent pas leur aversion pour cet homme de 64 ans, qu’elles ont qualifié tout récemment de “grave danger”. Il faut dire que Lai s’est fait remarquer par quelques déclarations explosives, brisant des tabous absolus pour Pékin. En 2017, lorsqu’il était Premier ministre, il s’est défini comme un “travailleur pragmatique pour l’indépendance de Taïwan”. Il a aussi lâché l’an dernier devant ses supporters : “Lorsque le président taïwanais pourra entrer à la Maison Blanche, nous aurons atteint l’objectif politique que nous poursuivons.” Autant de lignes rouges pour la Chine, qui considère que Taïwan fait partie intégrante de son territoire, et qu’aucun pays ayant noué des relations diplomatiques avec Pékin ne peut en avoir avec Taïpei. Après sa visite aux Etats-Unis en août dernier, le ministère des Affaires étrangères chinois l’a accusé d’être un “fauteur de troubles” et un “séparatiste”.La question stratégique de son impulsivitéAvec Lai Ching-te au pouvoir, les tensions ne risquent donc pas de s’apaiser entre les deux rives du détroit de Taïwan. Bien au contraire. D’autant que sa vice-présidente, Hsiao Bi-khim, 52 ans, qui fut représentante de Taïwan aux Etats-Unis de 2020 à fin novembre 2023, et dont la mère est américaine, a longtemps eu une double nationalité, taïwanaise et américaine, ne renonçant à la seconde qu’en 2002. Incessante ces dernières années, la pression militaire devrait donc se poursuivre en 2024 : de nouvelles incursions d’avions de chasse et de navires de guerre à proximité de Taïwan sont à prévoir.Dans ce contexte explosif, la capacité du nouveau président à maîtriser sa communication suscite des interrogations. “La question la plus stratégique, c’est celle de son appétence au risque. Il a laissé en tant que maire de Tainan (2010-2017), dans le sud de l’île, un souvenir d’impulsivité occasionnelle, souligne Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie de l’Institut Montaigne. Depuis, il a cherché à s’assagir en tant que vice-président et il n’a fait pratiquement aucun écart. Mais contrairement à Tsai Ing-wen, incarnation de la prudence absolue, et qui n’est jamais sortie de ses rails, c’est quelqu’un qui pourrait surprendre.”Ces deux poids lourds du DPP n’ont pas grand-chose en commun. Moins technocratique, Lai, à la mèche noire de jeune homme, est issu d’un milieu social beaucoup plus modeste. Il a grandi dans un village minier du nord de l’île, dans une famille de six enfants, élevés par leur mère. Son père, qui était mineur, est mort d’un accident au fond d’une mine de charbon quand il avait 2 ans. Contrairement à Tsai, très secrète, il n’a pas hésité à mettre en scène son histoire personnelle pendant la campagne, en jouant sur l’émotion. “L’un des plus grands atouts que mon père m’a laissés, c’est d’avoir été pauvre. Dans cet environnement, j’ai travaillé plus dur, plus vigoureusement dans tout ce que je faisais. Cela m’a donné de la détermination”, a-t-il confié dans une interview au magazine Time.Personnalité plus idéalisteSon parcours est un symbole de méritocratie et d’ascension sociale : diplômé de médecine – il a étudié dans de prestigieuses universités de Taïwan ainsi qu’à Harvard –, William Lai a ensuite occupé tous les postes en politique, avec, à la différence de Tsai Ing-wen, un fort ancrage local : député, maire, premier ministre, vice-président… Son engagement a été déclenché par la volonté farouche de “protéger” la démocratie naissante, “de ceux qui lui voulaient du mal”, a-t-il expliqué dans une tribune pour le Wall Street Journal. Elle s’est cristallisée au moment de la première élection au suffrage universel direct, en 1996, moins de dix ans après la fin de la loi martiale, lorsque la Chine avait tiré des missiles dans les eaux environnantes pour tenter – déjà – d’influencer l’élection.”Lai est un politicien de carrière, tandis que Tsai est une professeure passée à la politique [NDLR : elle n’a rejoint le DPP qu’en 2004, pour être élue à sa tête en 2008]. Tsai est un micromanager [qui entre dans le détail des dossiers] alors que Lai est un macromanager, résume Si-Fu Ou, chercheur à l’Institut de recherche sur la défense nationale et la sécurité de Taïwan. Tous deux ont proclamé leur volonté de maintenir le statu quo dans le détroit de Taïwan. Cependant, alors que Tsai a une personnalité d’avocat, Lai se distingue par un peu plus d’idéalisme.”Les deux dirigeants, qui appartiennent à des courants différents au sein de leur parti, ont pu avoir des relations compliquées. Les choses se sont envenimées en 2019, lorsque Lai a défié Tsai lors de primaires du DPP, critiquant son bilan et estimant qu’elle n’avait aucune chance d’être réélue – elle a pourtant remporté un second mandat. L’affaire aurait laissé des traces, même si le “traître” a été ensuite nommé vice-président.Le nouvel homme fort du pays bénéficie toutefois d’un atout pour aplanir les difficultés en interne : sa vice-présidente Hsiao Bi-khim. Proche de Tsai Ing-wen, elle fera le lien avec l’équipe de cette dernière, dont plusieurs membres pourraient rester en poste. Surtout, cette diplomate parfaitement bilingue connaît bien les arcanes du pouvoir à Washington. Elle sera un élément clef pour rassurer les Etats-Unis sur le fait que Taïwan maintiendra sa ligne pro américaine, et consolider leur soutien sur le long terme.”Le cauchemar de l’administration américaine serait une redite de l’expérience Chen Shui Bian [président (DPP) de 2000 à 2008], qui avait affirmé qu’il n’y avait “qu’un seul pays de chaque côté” [du détroit de Taïwan], précise Si-Fu Ou. Mais Lai sait qu’il a besoin de la bénédiction de Washington. C’est pourquoi il a ajusté sa position par rapport à l’indépendance.”William Lai, qui a adopté un ton plus mesuré depuis qu’il est vice-président, et a fortiori candidat à la présidentielle, devrait en réalité adopter le même positionnement diplomatique que la présidente sortante, même si son style sera différent : à savoir, conserver le statu quo, en ne prenant aucune décision susceptible de provoquer une crise avec Pékin. Même si le DPP est traditionnellement indépendantiste, Tsai Ing-wen s’est gardée de déclarer officiellement l’indépendance de l’île, considérant qu’elle l’était de facto.”Les Etats-Unis ayant des différends avec la Chine sur toutes sortes de sujets, le fait que Taïwan résiste sert leurs intérêts stratégiques jusqu’à un certain point – il ne faut pas que Taïwan aille trop loin dans les provocations, ce qui conduirait à la guerre, pointe le sinologue Jean-Pierre Cabestan, à Hong Kong. Washington va donc surveiller Lai Ching-te de près.” Le nouveau président, qui entrera en fonction au mois de mai, devrait “poursuivre la politique de Tsai qui consiste à réduire la dépendance économique à l’égard de la Chine – même si elle reste la principale destinataire des exportations taïwanaise, et donc une source de revenus et de croissance, notamment dans le secteur des semi-conducteurs”.Reste à présent à savoir jusqu’où le président chinois Xi Jinping ira pour essayer de fragiliser le nouveau gouvernement. “La Chine considère Lai comme plus dangereux que Tsai. Pékin continuera probablement à exercer une pression économique, militaire et diplomatique sur Taïwan, mais l’ampleur de cette pression sera influencée par plusieurs facteurs, notamment les déclarations et les politiques de Lai Ching-te, et le désir de la Chine de préserver la fragile stabilité des relations entre les États-Unis et la Chine”, relève Bonnie Glaser, directrice générale du programme Indo-Pacifique au German Marshall Fund des États-Unis. L’autre élément déterminant sera la position du futur président américain, dont l’identité sera connue en novembre…
Source link : https://www.lexpress.fr/monde/asie/lai-ching-te-elu-president-de-taiwan-fera-t-il-derailler-la-relation-avec-la-chine-Q4ZPDWRASNHTZGW4E5YK7FVUBI/
Author : Cyrille Pluyette
Publish date : 2024-01-13 12:54:22
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.