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Rachida Dati et le couple Macron : dans le secret de leurs échanges

Rachida Dati à l'issue du premier Conseil des ministres du gouvernement Attal le 12 janvier 2024




Rachida Dati est à l’Elysée. Il est 16 heures jeudi, les portes du Palais sont closes, mais elle est dans le bureau d’Emmanuel Macron. Dans quelques minutes, elle filera voir François Bayrou. Dans moins de quatre heures, sa nomination comme ministre de la Culture sera rendue officielle. L’idée a germé dans la tête du président à la fin de la semaine dernière : elle envoie depuis plusieurs mois des messages qui laissent penser qu’elle est prête à bouger. Le vendredi 5 janvier, le chef de l’Etat réfléchit avec ses proches. L’Education nationale ? Mais c’est bien sûr : la Culture apparaît vite comme une évidence. “Pour la première fois, elle trouve son compte dans le deal” qui lui est proposé, assure une très proche de Rachida Dati. Certains manquent de s’étouffer, le président passe outre.Il cherche une femme issue de la diversité qui incarnerait le mouvement, l’action. Il ne supporte plus ces ministres captifs de leur administration qui viennent devant lui réciter des fiches qui ne révolutionnent rien. Il veut en finir avec des ministres trop techniques, et surtout rompre avec cette “intelligentsia bobo icône des médias”. L’essentiel à ses yeux : avoir une personnalité qui ait une histoire à raconter, qui s’est élevée par la culture. L’application du discours de Villers-Cotterêts, soyons fous.Mercredi 10 janvier, un premier émissaire rend visite à la maire du VIIe arrondissement de Paris, suivi, le jeudi, d’un second qui revient avec son accord – il sera toujours temps d’informer le Premier ministre Gabriel Attal, tenu à l’écart de cette réflexion, comme l’ont révélé Les Echos.Avec Brigitte Macron, une relation de femmes et de mèresRachida Dati est – encore – à l’Elysée. Depuis 2017, on ne sait jamais qui elle voit. Enfin, vous savez comment sont les gens… Soupçonneux, et jaloux. Ce stratège du chef de l’Etat qui la suspecte d’être reçue par Alexis Kohler quand elle déclare avoir été reçue par Emmanuel Macron ne pèche-t-il pas scepticisme ? C’est, en tout cas, une façon bien étriquée de considérer les choses, et ce n’est pas elle, Rachida, que l’on surprendra à minimiser. “Je pars déjeuner à l’Elysée avec Emmanuel Macron”, lance-t-elle à un ami qui découvre a posteriori qu’elle rejoignait Brigitte Macron et deux de ses collaborateurs. Toujours croire en sa chance, annoncer le meilleur pour qu’il advienne, voilà la méthode Dati qui, pour l’heure, lui réussit. Ces agapes dans l’aile Madame accueillent pour le café un invité surprise : le président. Elle vous l’avait bien dit !Comme la première dame, ce dernier se montre friand des bons mots et autres historiettes contés avec une gouaille et un vocabulaire que possèdent assez peu les tenants du macronisme de la première heure. Fine politique, Dati débusque les ambitions, décrypte les jeux de cour, et narre sans se censurer ses accrochages et ses coups de pression. Saint-Simon aurait-il trouvé son successeur ? Le chef de l’Etat, dont l’attention a toujours été soutenue quand il s’agit d’écouter les histoires de cœur éphémères ou improbables du microcosme politico-médiatique, en redemande. Si bien que ce proche issu des Républicains se sent assez peu écouté quand il souffle à Emmanuel Macron : “Tu devrais te méfier.”Entre elle et lui, la relation se poursuit comme elle a débuté : par message Telegram. “Des échanges très directs”, dit un conseiller élyséen, comme s’il fallait préciser. Des conseils politiques. “C’est vachement bien ce que tu fais là-dessus” précède souvent : “Ça, sur le terrain, on ne le sent pas.” Avec Brigitte Macron, c’est autre chose. Une relation de femmes et de mères. La première dame a su se montrer présente quand la désormais ministre de la Culture a dû faire face au drame du harcèlement scolaire dont sa fille Zohra a été victime, elle lui a vanté les mérites du collège privé parisien Franklin dans lequel elle enseignait quelques années auparavant. Entre elles, avant la politique, l’amitié. L’épouse d’Emmanuel Macron ne cache pas son admiration pour le parcours méritocratique de Rachida Dati. Entre leurs déjeuners, elles s’appellent, se racontent la vie mais aussi les expositions qu’elles ont vues.Elle n’a eu besoin de personne pour se rapprocher des MacronQu’importe le monde, qu’importe le contexte, quand elles ont l’occasion de se voir, elles n’envisagent pas d’en louper une miette. Lors de la remise de décoration de l’animateur Arthur au Sénat en juin 2023, Brigitte Macron s’installe aux côtés de l’ancienne première dame Carla Bruni et… de Rachida Dati. Pas de hiérarchie pour les amies.18 heures, le 18 décembre dernier : à l’Elysée cette fois, six hommes et femmes sont épinglés par le président en personne. Parmi eux, Michèle Alliot-Marie, Patrick Ollier, et Patrick Gérard, directeur de cabinet de Dati au ministère de la Justice. Ce dernier a convié son ancienne ministre qui ne manque pas de rire aux éclats avec le couple Macron. Ce soir-là, un autre homme affiche à son contact une bonhomie que tout le monde ne lui connaît pas : Alexis Kohler. Tape sur l’épaule, sourire complice, le secrétaire général, qu’on dit capable de manier en privé un humour débridé, semble apprécier cette drôle de dame qui rechigne rarement à la trivialité.”Nicolas Sarkozy est ravi…”Même quand elle n’est pas là, elle est là. Emmanuel Macron est aux petits soins pour elle. “Il faut que tu voies Rachida Dati pour régler quelques dossiers”, glisse-t-il un jour de l’automne 2022 à son ministre de l’Intérieur. Quelque temps plus tard, Gérald Darmanin se rend en personne à la mairie du VIIe arrondissement.Rachida Dati connaissait Emmanuel Macron avant que ce dernier n’entre à l’Elysée. L’ancien secrétaire général de l’Elysée sous François Hollande, Jean-Pierre Jouyet, dont elle est proche, a longtemps compté parmi les mentors du futur président ; sa femme, Brigitte Taittinger, partage avec la future première dame plus que le prénom. “Il m’est arrivé de le rencontrer, de le croiser plusieurs fois en dînant chez Jean-Pierre Jouyet, expliquait-elle en février 2023 dans l’émission Quotidien sur TMC. Ou ensuite lorsqu’il est devenu ministre de l’Economie.” Mais avec elle, les intermédiaires sont surtout des intérimaires. “Elle se met toute seule en relation, elle n’a eu besoin de personne pour se rapprocher des Macron”, note une relation.Entre elle et lui, il y a aussi un ancien président de la République. “Rachida a toujours été très loyale vis-à-vis de Nicolas Sarkozy”, constate un proche d’Emmanuel Macron. Et l’ex pousse constamment ceux qui le sollicitent à accepter les responsabilités ministérielles depuis 2017. “Il était dans le coup, il est ravi, relate un ami. Son entrée au gouvernement, c’est une manière empirique de faire ce qu’il préconise depuis des mois.”Le monde est petit. Au cabinet d’Emmanuel Macron se trouve un ancien… du cabinet de Rachida Dati à la Chancellerie : depuis son arrivée à l’Elysée, le conseiller Intérieur Frédéric Rose prend une importance croissante dans le dispositif. Ces dernières semaines, il lui est arrivé de rapporter au Palais que l’état d’esprit de Rachida Dati évoluait dans le bon sens.Le feuilleton de la mairie de ParisJusqu’à présent, elle prenait parfois les dirigeants de LR de haut : “Je ne discute pas avec les ministres, je ne parle qu’à Emmanuel et à Brigitte Macron, et de temps en temps à Kohler.” Désormais, elle leur parlera de loin, exclue du parti de droite qui croyait détenir avec elle sa meilleure chance de gagner Paris. Emmanuel Macron tendant la main à Rachida Dati pour bouter Anne Hidalgo hors de la capitale, l’idée vient pourtant de loin. L’épisode est méconnu. En février 2020, Agnès Buzyn démissionne du ministère de la Santé pour se lancer dans la bataille municipale. Emmanuel Macron cherche alors à la convaincre de s’accorder avec l’ancienne ministre de la Justice. S’allier avec Dati ? Pas question, Agnès Buzyn ne veut pas en entendre parler, pas davantage que Stanislas Guérini, à l’époque délégué général de La République en marche. Et comme elle remplace déjà Benjamin Griveaux au pied levé, il ne s’agit pas de trop la braquer. L’idée est abandonnée.Sauf qu’elle ne l’est pas. Emmanuel Macron n’est pas homme à accepter de ne pas être obéi. Rachida Dati n’est pas femme à refuser d’exploiter la moindre occasion. Lors d’un débat télévisé, le 25 juin 2020, elle lâche une petite phrase qui ne doit rien au hasard : “Je crois que Monsieur Macron, avec qui j’ai eu des échanges, est plutôt sur mes positions.” Agnès Buzyn, qui est aussi sur le plateau, est soufflée. Elle devra préciser dans la foulée sur Twitter : “Il n’y a qu’une seule candidate à la mairie de Paris qu’Emmanuel Macron soutient. C’est moi, la candidate de la majorité présidentielle. Rachida Dati est une opposante à la politique du gouvernement.”C’est alors, après la défaite, que la maire du VIIe arrondissement, furieuse que le président n’ait pas imposé ses volontés à son propre camp, décide de tremper la plume dans le vitriol. Il y a des mots qui font mal, et ceux-là, pourrait-on penser, heurtent vraiment. “Emmanuel Macron envoie les pires symboles aux femmes victimes de violences. Il envoie les pires symboles en confiant systématiquement les postes clés de l’administration et de son gouvernement à des hommes issus de la même bourgeoisie d’Etat. Il envoie les pires symboles en considérant qu’une suspicion de viol, de harcèlement et d’abus de confiance ne serait « pas un obstacle » à diriger le pays.” Dans une tribune publiée par Le Monde le 15 juillet 2020, elle va au-delà des attaques politiciennes habituelles.La politique, c’est décidément l’art d’oublier. Après une période de froid, le chef de l’Etat et Rachida Dati reprennent leur pas de deux. Elle continue de jouer de ses relations élyséennes. Il y en a qui savent faire parler les morts, elle sait faire parler le président, tout en sous-entendus. Le 3 octobre, elle utilise le conseil de Paris pour montrer qu’elle a le bras long : “Afin de répondre à un enjeu démocratique, les Parisiens doivent choisir directement leur maire. Je me suis entretenue avec le président de la République en vue de l’abrogation de la loi PLM.”Dati est le problème. Il est impossible de construire une majorité avec elleAnne Hidalgo veut favoriser l’installation de la fondation Giacometti aux Invalides, c’est-à-dire dans l’arrondissement de Rachida Dati ? Elle se bat contre et la mairie de Paris constate vite à quel point son avis est pris en compte au sommet de l’Etat. A Paris, le préfet de police, représentant de l’Etat, ne fait pas que s’attaquer à l’insécurité : il regarde aussi les balles fuser. Entre Hidalgo et Dati, tout devient conflit. Aménager le Champ-de-Mars, également dans le VIIe arrondissement ? Crispations en haut lieu. Anne Hidalgo est partante, Rachida Dati renâcle. “On sait très bien comment ça marche, un préfet de police, observe un conseiller de l’Hôtel de Ville. S’il peut trouver des solutions opérationnelles qui tiennent la route, il le fait. En revanche s’il dit “ce n’est pas possible” c’est qu’on lui a dit non.” On, c’est-à-dire l’Etat.Dati côté pile, Dati côté face. Qu’Emmanuel Macron se déplace dans l’arrondissement qu’elle dirige, et le cabinet élyséen entend parler du pays : elle se met à hurler contre l’incompétence des conseillers devant la mauvaise organisation d’une visite qui oblige à boucler un quartier et empêche des parents de récupérer leur progéniture à l’école.Depuis jeudi, la ministre de la Culture, cheffe de l’opposition municipale, est, de fait, membre de la majorité présidentielle. Le problème à Paris, c’est qu’entre Macron et Dati, il y a les macronistes. Le flou élyséen lors des dernières élections sénatoriales avait déjà fait toussoter dans les rangs des amis du président. Cette fois, ils suffoquent. Il y a quelques semaines, Sylvain Maillard, le président de la fédération Renaissance de Paris, la plus importante de France, confiait : “Dati est le problème. Il est impossible de construire une majorité avec elle. Si c’est elle, je perds la moitié de mes électeurs. Dati, c’est la mort pour nous.”Il y a moins d’un an, Emmanuel Macron admettait devant le maire d’une métropole : “J’ai loupé un truc, je n’ai pas écouté ce que m’avait dit Bertrand Delanoë. Il m’avait conseillé de ne jamais mettre un ministre candidat aux municipales à Paris.” Voici Rachida Dati au gouvernement, dans un poste ô combien prestigieux. La politique, c’est décidément l’art d’oublier.



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Author : Laureline Dupont, Eric Mandonnet

Publish date : 2024-01-12 18:28:07

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Tags :L’Express

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