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Ysaora Thibus et Johanna Parv : construction d’un vestiaire post-mâle gaze

Ysaora Thibus et Johanna Parv : construction d’un vestiaire post-mâle gaze



Sur l’écran scindé du Zoom, une chambre d’hôtel se dessine dans une case pixélisée, et un atelier s’esquisse dans l’autre : ces deux décors sont respectivement les lieux où se trouvent alors la championne du monde de fleuret Ysaora Thibus, qui s’est isolée entre deux entraînements, et la créatrice de vêtement basée à Londres, Johanna Parv, ayant fondé sa marque en 2020, reconnaissable à ses pièces techniques modulables dignes de vêtements de soirée.

Athlètes entravées

“J’ai découvert Johanna bien avant qu’elle ne sache qui j’étais !” se rappelle Ysaora Thibus. Robes asymétriques, jupes fendues dotées de shorts cyclistes intégrés : c’est au détour d’Instagram que les pièces modulables à l’esthétique minimaliste de Parv la frappent. L’articulation entre mode et sport est décrite comme inédite pour cette dernière, qui déplore alors la limitation vestimentaire restreignant les femmes, s’articulant à de nombreux stéréotypes : “Les femmes athlètes ont traditionnellement été regardées à travers un mâle gaze. Les seules propositions vestimentaires sont soit l’hyper-féminité, soit une déclinaison du costume masculin.”

Mais, loin de rester passive, Thibus œuvre, et fonde dès 2020 le média EssentiELLE stories, où elle jette des ponts entre sport, art et culture, afin de montrer les femmes dans le sport sous un nouveau jour. Les questions de mode ? Elles font partie des sujets centraux pour celle qui a participé à la campagne “Dior Vibe” en 2022.

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En quelques minutes, la réunion Zoom prend la forme d’un brainstorming : du constat de la pluralité des corps des femmes et de la spécificité de leurs besoins vient l’idée de mettre en place des groupes de discussion pour faire remonter des problématiques situées, et de trouver des vêtements-solutions qui puissent être portés dans les situations éclectiques du quotidien. En somme, l’échange dépasse l’esthétique de la discussion symbolique pour se muer en véritable plan de mise en action ayant pour but de dessiner une nouvelle idée de la mode dans une société où elle semble parfois être devenue un outil d’injonction ou une pure illustration de la surproduction.

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L’art du quotidien

La rencontre entre les deux jeunes femmes tombait sous le sens. Après des échanges sur Instagram, elles sont réunies, pour la première fois, lors du showroom du prix LVMH 2023, où Johanna Parv est semi-finaliste. Une chance inattendue, pour celle qui se considère comme un designer produit assez niche, plutôt qu’une créatrice de mode dans le sens traditionnel du terme. D’origine estonienne, Parv passe par les bancs du Central Saint Martins à Londres, où elle obtient son master en 2020. Plus que de la mode, elle dessine des vêtements fonctionnels basés sur ses propres observations, soit une démarche créative anthropologique. De la manière dont les femmes organisent leurs tenues pour prendre le vélo à la façon dont elles positionnent leurs sacs à main : le vêtement doit s’adapter.

“Une hauteur de poche, une texture, un détail peut tout changer. Mon plus gros défit est de penser de nouvelles méthodes pour collecter les problèmes éprouvés par les femmes au quotidien et ainsi y répondre. Il est essentiel d’étendre le savoir sur ce dont les femmes ont besoin et ont envie de porter. J’ai aussi remarqué que beaucoup ne s’autorisent même pas à se poser la question de ce qu’elle aimerait avoir, car elles ont été habituées au cadre construit par le patriarcat.” explique Johanna Parv, qui désormais présente ses collections à Londres, dans le cadre de l’incubateur avant-garde The Fashion East.

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Vestiaire post-mâle gaze

“La polémique autour de la combinaison de Serena Williams à Roland-Garros en 2018 montres que nous avons beaucoup de règles qui n’ont rien à voir avec la qualité de la performance sportive. L’aspect mode est important. La manière dont on choisit de se présenter fait passer un message.” souligne Thibus, qui confirme la présence d’une idéologie patriarcale dans le monde du sport. Pour questionner le mâle-gaze, le vêtement est une discussion qu’il faut établir : “Une tenue donne de la confiance et peut changer une performance. Le vêtement délivre un message. Il faut brainstormer avec les designers. Expliquer comment nos corps bougent, et ce dont nous avons besoin et trouver des réponses ensemble.”

Dans l’univers de l’escrime qu’elle pratique depuis ses 7 ans, le costume blanc a peu évolué, et était, à la base, pensé pour des hommes – comme dans beaucoup de sport à dominante masculine. “Je suis sûre qu’on peut améliorer des choses, et que cela peut aussi avoir un impact pour les femmes au-delà du sport.” Johanna acquiesce depuis son studio. La discussion continue, et cela ne semble être que le début.

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Source link : https://www.lesinrocks.com/ou-est-le-cool/ysaora-thibus-championne-francaise-descrime-et-johanna-parv-creatrice-de-mode-construction-dun-vestiaire-post-male-gaze-606418-12-01-2024/

Author : Manon Renault

Publish date : 2024-01-12 15:21:32

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Tags :Les Inrocks

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