Les formations rocheuses de Monument Valley, Arizona, se découpent à l’horizon. Un justicier taiseux au regard d’acier les arpente. Des gangsters patibulaires s’affairent dans leur repère secret et des propriétaires terriens fomentent de sombres machinations. Nous ne sommes pas à la fin du XIXe siècle, cristallisé dans nos imaginaires par bon nombre de westerns de l’âge d’or d’Hollywood, mais au début des années 1970. Le territoire est le même, mais la carte postale est écrite par ses premiers habitants.
Adaptée des romans de Tony Hillerman, la série policière Dark Winds met en scène Joe Leaphorn (Zahn McClarnon, magnétique), un lieutenant de la police tribale du territoire des Navajos endeuillé par la mort de son fils dans l’explosion d’un puits de mine trois ans auparavant. Avec l’aide de Jim Chee, un jeune adjoint ambitieux missionné par le FBI, et de Bernadette Manuelito, une officière de police courageuse, ils enquêtent sur une série de meurtres qui semblent graviter autour de l’exploitation minière et attisent leurs traumas personnels.
Quasi-documentaire
En deux saisons, l’une estivale, l’autre hivernale, la série de Graham Roland (connu pour son travail de scénariste sur Prison Break, Lost ou Fringe) croise habilement les codes du western et du roman noir, auxquels elle ajoute une touche de spiritualité à la lisière du surnaturel. Sans s’embarrasser de fioritures inutiles, elle déroule ses intrigues avec une efficacité sèche, délivrant son lot de twists et de gunfights comme un bon divertissement du dimanche. La première volée d’épisodes, par son maillage criminel retors, nous a davantage séduit que la seconde, plombée par un antagoniste caricatural.
Mais son originalité se situe dans sa façon quasi-documentaire de retranscrire la vie de la réserve et d’inscrire les enjeux politiques qui touchent sa communauté au cœur de sa narration – la série est écrite, réalisée et interprétée par des natifs américains. La langue et les traditions des différents clans du peuple Navajo insufflent aux épisodes une couleur singulière, les habituelles querelles de juridiction avec le FBI ou le shérif du comté voisin cristallisent un racisme à peine voilé, et des actes de sorcellerie sont reportés au même niveau que les autres mentions dans les rapports policiers.
Un nouveau regard n’abîme jamais le mythe
Très soignés, les personnages secondaires placent en filigrane des sujets glaçants comme le contrôle imposé des naissances (via des actes chirurgicaux pratiqués sans le consentement des patientes au moment du premier accouchement) ou l’acculturation forcée des enfants natifs-américains dans des foyers de Blancs, ouvrant le champ politique de la série à des enjeux plus vastes.
Un parallèle s’opère avec la dernière saison de True Detective, sous-titrée Night Country et diffusée ce mois-ci. Située en Alaska, elle place le vécu et les combats des peuples autochtones au centre de son intrigue, occasionnant des scènes à la gémellité troublante – notamment des accouchements traditionnels opérés à domicile par des assemblées de femmes. Malgré leurs différences formelles et les cinquante ans qui séparent leurs intrigues, les deux séries pointent la différence de traitement policier et judiciaire opérée entre les victimes blanches et autochtones, symptôme du rapport sclérosé qu’entretiennent les États-Unis à ses peuples natifs.
Comme Reservation Dogs en Oklahoma ou Mystery Road en Australie, Dark Winds investit un territoire de fiction éprouvé par une voie (et des voix) nouvelle(s), et nous rappelle qu’un nouveau regard n’abîme jamais le mythe, mais le fait au contraire briller d’un nouvel éclat.
Dark Winds, de Graham Roland, d’après les romans de Tony Hillerman, avec Zahn McClarnon, Kiowa Gordon, Jessica Matten… Saison 1 sur Polar+ et myCANAL ; saison 2 à partir du 23 janvier sur Polar+
Source link : https://www.lesinrocks.com/series/dark-winds-un-thriller-policier-et-politique-en-territoire-navajo-606457-12-01-2024/
Author : Alexandre Buyukodabas
Publish date : 2024-01-12 14:51:04
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.