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Eleanor Catton revient au roman : “Je refuse d’être nihiliste”

Eleanor Catton revient au roman : “Je refuse d’être nihiliste”



Une série de tremblements de terre entraîne un glissement de terrain sur le col de Korowai, dans le sud de la Nouvelle-Zélande. La route principale est fermée, cinq personnes sont tuées, les cafés et magasins baissent leurs rideaux. Cet événement, a priori très local, modifie le cours de la vie d’une poignée de personnages qu’Eleanor Catton présente avec une grande précision : Mira et Shelley, deux membres de l’association écologiste Birnam Wood ; Robert Lemoine, un milliardaire cynique et manipulateur ; Tony, un idéaliste ambitieux ; et Sir Owen Darvish et sa femme Jill, un couple de baby boomers installés dans la région. En étudiant les liens complexes qui se nouent entre eux, Catton explore le militantisme contemporain, l’idéalisme, l’incommunicabilité à l’ère des réseaux sociaux et le fossé qui se creuse entre les générations et entre les classes sociales. Plus qu’un roman sur l’écologie, Birnam Wood est une vraie satire politique avec une touche d’humour noir. 

Vous avez expliqué dans la presse avoir vécu une forme de blocage après avoir remporté le Booker Prize en 2013. Comment l’avez-vous surmonté pour revenir au roman, dix ans après avec Birnam Wood ?

Eleanor Catton – Il m’a fallu du temps et un remède dans lequel je crois beaucoup : la lecture. Lire me permet de regagner de la confiance en moi, me donne un sentiment d’accomplissement et me fait me sentir vivante. Autour de 2015, j’ai donc décidé d’arrêter d’écrire et de simplement retourner à ma bibliothèque. J’ai connu un épisode dépressif pendant lequel j’ai lu des encyclopédies, des manuels de jardinage. Le côté très ordonné de ces ouvrages m’a vraiment aidée à m’ancrer. J’ai aussi lu beaucoup de théorie politique et économique.

Ces lectures m’ont donné envie d’écrire un livre qui parlerait de la politique contemporaine et contiendrait beaucoup de débats, de conversations. Beaucoup de gens se rendent compte que l’un des problèmes de notre société est le manque de dialogue. Et pourtant, on continue à écrire des livres dans lesquels les gens ne communiquent pas. Cela m’agace vraiment ! Pour y remédier, je me suis inspirée d’écrivaines dont j’admirais le sens de la conversation comme Mary McCarthy ou Ivy Compton-Burnett.

L’écologie est la trame de fond de beaucoup de romans écrits par des auteur·ices de votre génération. Pourquoi avoir voulu vous aussi vous emparer de ce sujet ?

Je crois que je voulais surtout parler de la situation politique globale. Je suis née en 1985, j’ai presque 40 ans. Et pourtant j’ai toujours l’impression, comme beaucoup de personnes de ma génération, que les politiques ne me parlent pas, qu’ils continuent à s’adresser plutôt aux gens qui ont l’âge de mes parents. Nous sommes coincés dans un état de perpétuelle adolescence, avec ce sentiment de ne pas participer au projet démocratique de nos pays mais d’en être plutôt les consommateurs. Je voulais écrire un roman qui prenne ce point de vue au sérieux.

J’avais aussi envie de raconter l’orgueil et l’aveuglement qui émergent quand quelqu’un croit en quelque chose très passionnément. Cet aveuglement est de plus en plus présent à mesure que nous utilisons les écrans et Internet comme forme principale de communication et d’information. Nous devenons de plus en plus sûrs de nous et de nos croyances, nous campons sur nos positions, ce que je trouve très inquiétant. L’une de mes ambitions pour ce roman était qu’on le lise en se disant “grâce à mes convictions politiques, je sais qui est ‘gentil’ et qui est ‘méchant’’’, mais qu’en le refermant vous ne soyez plus si sûrs.

Le roman est très sombre, avec beaucoup de rebondissements tragiques, mais il évite pourtant le cynisme ou le nihilisme. Vous y avez œuvré consciemment ?

Oui, parce que je ne me sens pas du tout cynique, je suis même pleine d’espoir. Il y a beaucoup de bonnes volontés dans le monde. Je refuse d’être nihiliste. De mon point de vue, le roman n’est pas cynique parce que tous les personnages font des choix conscients. Il me semble qu’un roman devient cynique dès lors que l’auteur se prend pour dieu de façon un peu trop évidente et qu’il pousse ses personnages vers un destin qu’ils n’ont pas l’air d’avoir choisi eux-mêmes. Or dans Birnam Wood, tout pourrait être réglé si n’importe lequel des personnages choisissait de communiquer avec les autres. Ils prennent tous à un moment donné la décision de ne pas partager leurs émotions, leurs pensées, les informations à leur disposition et c’est cela qui les mène à la catastrophe. Donc je pense qu’il y a un message d’espoir dans le livre : cette fin tragique n’était pas inévitable.

Propos recueillis par Pauline Le Gall

Birnam Wood d’Eleanor Catton (Buchet-Chastel). Traduction de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Marguerite Capelle. 560 pages, 25,5€. En librairie. 



Source link : https://www.lesinrocks.com/livres/eleanor-catton-revient-au-roman-je-refuse-detre-nihiliste-606425-15-01-2024/

Author : Pauline Le Gall

Publish date : 2024-01-15 10:09:47

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Tags :Les Inrocks

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