Les promesses n’engagent que ceux qui les croient. En matière budgétaire, les organisateurs de Paris 2024 risquent de faire des déçus. En septembre 2017, lors du dernier grand oral devant la centaine de membres du CIO réunis à Lima, Tony Estanguet et toute l’équipe de France olympique abattaient une carte maîtresse : l’argent. Fini la démesure et la gabegie financière. Paris 2024 serait l’olympiade la plus vertueuse, la plus écolo et surtout la plus économe de ces quarante dernières années, promettaient-ils. A l’époque, cet engagement séduit le CIO, encore sous le choc du faste des Jeux d’hiver de Sotchi en Russie, en 2015, où la facture avait atteint la somme astronomique de 37 milliards d’euros. Du jamais-vu.Pour emballer l’affaire, les organisateurs de Paris 2024 dégainent alors un argument en or massif : 95 % des équipements sportifs utilisés pour les compétitions existent déjà. Soit parce que les stades où auront lieu les épreuves sont déjà construits, à l‘instar du Stade de France. Soit parce que certaines compétitions se dérouleront dans les lieux iconiques métamorphosés pour l’occasion, comme le Grand Palais. Le reste se tiendra dans des installations provisoires démontées après les Jeux. Pas de risque de devoir construire – et donc financer – des “éléphants blancs”, ces équipements flambant neufs qui ont coûté des milliards à Athènes ou à Rio avant d’être laissés à l’abandon après les Jeux, et que les habitants ont payés pendant des décennies par la suite.Sobriété, martèlent depuis des années toutes les parties prenantes de Paris 2024, du Cojop en passant par la Mairie de Paris, la Région Ile-de-France et l’Etat. Pourtant, le budget total des Jeux, initialement prévu à 6,3 milliards d’euros, a dérapé depuis le dépôt du dossier de candidature pour atteindre aujourd’hui près de 8,8 milliards d’euros. La faute à l’inflation qui a renchéri tous les coûts de construction, répondent les organisateurs qui restent droits dans leurs bottes. Une doctrine budgétaire incarnée en une phrase, répétée à l’envi : “Les Jeux financent les Jeux”.Un budget en deux partiesCette rengaine agace pas mal de proches du mouvement olympique. “Entretenir systématiquement l’ambiguïté sur le coût réel de l’événement en ne parlant que des Jeux stricto sensu n’est pas de nature à rassurer les Français et à convaincre les plus sceptiques. Ne serait-il pas plus honnête de dire tout simplement que le budget total des Jeux se compose de deux parties ?”, tempête Armand de Rendinger, un vieux briscard de l’olympisme, au cœur de la candidature de Paris 2012.Deux parties ? La première enveloppe, celle du Cojop (4,4 milliards) est dédiée à la simple organisation des Jeux : le premier tiers de cette somme vient du CIO, le deuxième de la billetterie et le troisième des sponsors. Et puis, il y a la partie construction et rénovation des installations – il y en a tout de même 70 – regroupée dans le budget de la Solideo, la structure en charge des ouvrages olympiques. D’après la dernière feuille de route financière datée du 19 juillet 2023 que L’Express a pu consulter, on peut lire que l’Etat a abondé les comptes de la Solideo pour près de 1,3 milliard d’euros. La Mairie de Paris a mis, elle, au pot quasiment 170 millions tout comme la Région Ile-de-France, le département de la Seine-Saint-Denis 85 millions, Plaine Commune Grand Paris 44,3 millions, la Métropole du Grand Paris 24,7 millions, la ville de Marseille – où se dérouleront les épreuves de voile – 23,3 millions… De l’argent public donc.Mais à ne décortiquer que les dépenses du Cojop et de la Solideo, on rate une partie de l’histoire. Car il y a ce qui est inscrit au budget de Jeux… et ce qui n’y est pas. Des dépenses prises en charge directement par l’Etat ou par les collectivités locales, et qui ne figurent pas dans la facture officielle de l’événement. Premier exemple : la sécurité. Dans le budget du Cojop, cette ligne budgétaire atteint la modique somme de 207 millions d’euros. Il s’agit des prestataires de sécurité privée, chargés du filtrage des spectateurs ou des palpations. Toutes les dépenses de sécurité hors des sites sportifs, et notamment pendant la cérémonie d’ouverture, seront, elles, assurées par l’Etat. Des milliers de policiers, gendarmes et peut-être de militaires rappelés au dernier moment, à qui l’administration impose de ne pas poser de congés durant l’été et qui seront entièrement mobilisés pendant un peu plus d’un mois. Pour faire passer la pilule, des primes exceptionnelles devraient être versées aux agents et des négociations sont en cours. Une enveloppe de 500 millions d’euros pourrait être débloquée… Une dépense bien liée aux JO mais qui ne figure pas au budget.Autre exemple avec le chantier de la nouvelle Arena, porte de la Chapelle, à Paris. Depuis des années, la mairie avait en projet la construction d’une nouvelle enceinte sportive. En 2018, Anne Hidalgo imagine bâtir cette nouvelle salle de 9 000 places dans le parc de Bercy, à côté de l’Accor Arena. Rapidement, le projet est délocalisé dans le nord de la capitale, dans le cadre de la rénovation du quartier défavorisé de la porte de la Chapelle. La perspective des Jeux le fait changer de dimension : il y aura bien une grande salle, mais à laquelle seront accolés deux gymnases et des salles de réunion destinées aux associations locales. Un coût – 98 millions d’euros – divisé en deux, à parts égales, entre la Solideo et la Ville de Paris.Au nom de l’héritage des Jeux, une partie de la facture des chantiers olympiques va donc être prise en charge par des collectivités, en dehors du budget de la Solideo. C’est le cas aussi des travaux nécessaires à la rénovation du Grand Palais, qui accueillera les épreuves d’escrime et de taekwondo : 450 millions d’euros, dont 15 millions seulement seront à la charge de la Solideo. Mises bout à bout, toutes ces dépenses hors budget pourraient bien faire passer l’enveloppe réelle des JO de Paris 2024 à plus de… 10 milliards d’euros, voire 11 milliards, avec une part significative d’argent public. Morale de l’histoire : les contribuables payeront bien, d’une façon ou d’une autre, une partie de la grande fête de l’été prochain.
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2024-01-19 04:59:10
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