Une “exaspération commune”, dixit Christiane Lambert, présidente du Comité des organisations professionnelles agricoles de l’Union européenne (COPA). Les manifestations des agriculteurs se multiplient aux quatre coins de l’Europe.De l’Allemagne à la Roumanie en passant par la France et l’Espagne, ils ont le sentiment de “se faire imposer” des mesures trop drastiques, affirme Christiane Lambert. Tous dénoncent le Pacte vert européen, connu sous le nom de Green Deal. Ce plan, qui prône la transition écologique des Etats membres de l’UE, fixe des objectifs de réduction d’usage des pesticides, de développement de l’agriculture biologique et de protection de la biodiversité.Or ce Green Deal intervient dans un contexte déjà tendu pour les agriculteurs, bousculés par des événements climatiques extrêmes, la flambée de leurs coûts de production et les conséquences commerciales de la guerre en Ukraine.En France, les agriculteurs soumis à la baisse de leurs revenusEn France, c’est en Occitanie – première région en termes de densité agricole, selon la Chambre d’agriculture – que les tensions sont, ces derniers jours, les plus palpables. Ce samedi 20 janvier, un campement a été installé sur l’autoroute A64, à hauteur de Carbonne (Haute-Garonne).Des points de blocage ont également été signalés sur cette autoroute, entre Toulouse et le Pays basque. La préfecture de la Haute-Garonne a autorisé le survol de la zone par des drones en raison “du risque de troubles à l’ordre public” causé par ce rassemblement.Outre la hausse des marges de la part des industriels et distributeurs – et, par conséquent, la baisse de leurs revenus – les agriculteurs dénoncent une concurrence qu’ils jugent déloyale venue d’autres pays européens. Ils font par ailleurs face à la problématique des restrictions d’irrigation, après les sécheresses successives de l’été puis de l’automne 2023, et à des normes jugées trop contraignantes.A quelques semaines du lancement du Salon international de l’agriculture, qui se tiendra du 24 février au 3 mars à Paris, l’exécutif tente une modération. Ce vendredi, Emmanuel Macron a ainsi “demandé au ministre de l’Intérieur de donner instruction aux préfets” afin qu’ils aillent “dès ce week-end à la rencontre des agriculteurs” et de leurs syndicats.Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, est attendu ce samedi dans une ferme du Cher pour échanger “avec l’exploitant sur ses préoccupations et de ses problématiques”, selon son cabinet. En parallèle, le président du Rassemblement national (RN) Jordan Bardella a annoncé sa venue dans le Médoc, où il doit rencontrer des vignerons.Nous sommes comme toujours aux côtés de nos agriculteurs, lâchés par le gouvernement, passés à la moulinette de l’UE qui les submerge de normes, négocie dans leur dos des traités de libre-échange mortifères. Garantir notre souveraineté alimentaire sera un enjeu crucial du 9 juin.— Marine Le Pen (@MLP_officiel) January 20, 2024En vue des élections européennes du 9 juin, le RN multiplie les tentatives de séduction – agrémentées de piques destinées à l’exécutif – auprès des agriculteurs. En témoigne le tweet, publié ce samedi, de la cheffe de file des députés RN, Marine Le Pen : “Nous sommes comme toujours aux côtés de nos agriculteurs, lâchés par le gouvernement, passés à la moulinette de l’UE qui les submerge de normes, négocie dans leur dos des traités de libre-échange mortifères.”Aux Pays-Bas, les agriculteurs flirtent avec l’extrême droiteL’extrême droite, nouvelle alliée des agriculteurs ? Cela semble être le cas aux Pays-Bas, où ces derniers manifestent leur mécontentement depuis juin 2022. Pour rappel, la coalition de l’ex-Premier ministre libéral Mark Rutte, soumise à une décision de la Cour suprême, avait annoncé sa volonté de réduire d’au moins 30 % les cheptels, dont celui des vaches laitières.L’objectif : réduire de 50 % les émissions de gaz polluants produits par l’agriculture autour de 163 zones naturelles menacées. “Avec, comme corollaire, une exigence de modification radicale des pratiques et, potentiellement, la disparition de 10 000 à 15 000 exploitations”, est-il précisé dans Le Monde.Dans ce pays, deuxième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, la révolte du monde agricole ne s’est pas fait attendre. Tout comme ses conséquences sur le plan politique. Lors des élections locales de mars dernier, une toute jeune formation politique fondée sur la défense de la cause des agriculteurs est arrivée en tête du scrutin en atteignant près de 20 % des voix.”KABBBOUM”, titrait alors le quotidien De Telegraaf (conservateur), utilisant un jeu de mots sur la base du nom du grand vainqueur des élections provinciales du 15 mars : le BBB, ou BoerBurgerBeweging – en français, le “Mouvement agriculteur citoyen”. “Selon les sondages de sortie des urnes, le parti des agriculteurs devient même, d’un seul coup, le plus grand. Le BBB assène ainsi un coup de massue aux partis traditionnels”, affirmait le quotidien d’Amsterdam.Le BBB n’a pas réitéré sa performance lors des législatives de novembre 2023. Le parti espère toutefois intégrer la prochaine coalition, au côté du populiste d’extrême droite Geert Wilders. Tous deux dénoncent le projet – désormais gelé – du gouvernement démissionnaire de Mark Rutte.L’azote au coeur des manifestations en BelgiqueDes Pays-Bas, les tensions ont migré vers la Flandre, au nord de la Belgique, dès le printemps 2023. Un projet du gouvernement régional – qui a bien failli entraîner sa chute – vise à réduire de moitié les émissions d’azote près des zones naturelles et consacre 3,6 milliards d’euros à l’indemnisation des paysans arrêtant leur activité.”Pas de futur sans fermier”, ou encore “Pas de fermiers, pas de nourriture”, ont alors scandé les manifestants, au volant quelque 2 700 véhicules agricoles, le 3 mars dernier. Certaines de leurs exploitations, jugées trop polluantes, sont menacées de fermeture.En Flandre, région d’élevage intensif, 80 % des zones Natura 2000 (censées contribuer à préserver la diversité biologique des espèces et des habitats sur le territoire de l’UE) dépassent le taux d’azote autorisé, observe le média public VRT. Ce gaz à effet de serre, émis notamment par les engrais et les effluents d’élevage, a notamment pour effet d’acidifier les sols et d’accélérer la prolifération des algues dans l’eau.En Allemagne, lutte contre la hausse des taxes sur le diesel agricoleEn Allemagne, c’est également un projet du gouvernement d’Olaf Scholz qui a suscité l’ire des exploitants. En décembre 2023, l’exécutif a décidé, afin de boucler son budget, d’augmenter les taxes sur le diesel agricole, supprimant ainsi une exonération dont bénéficiait la profession.Les manifestations, organisées dans tout le pays depuis le début de l’année, reprendront la semaine prochaine si le gouvernement n’amende pas son projet, comme l’a annoncé l’organisation des exploitants allemands. “Il y a longtemps que la colère gronde chez les paysans”, constate le quotidien allemand Der Tagesspiegel (libéral). Et de poursuivre : “Les agriculteurs en ont ras la casquette.”Lundi 15 janvier, des chauffeurs routiers et des artisans se sont joints au rassemblement à Berlin. Les professionnels de la logistique et du transport demandent, entre autres, l’annulation de l’augmentation des péages et de la tarification du CO2 pour leurs véhicules. Mais la coalition gouvernementale, qui a notamment accepté d’échelonner la suppression de l’exonération, n’entend pas faire davantage de concessions au moment où elle doit économiser plusieurs milliards d’euros de dépenses budgétaires pour se conformer à un rappel à l’ordre des juges constitutionnels.Un blocage qui suscite la crainte du journal Tageszeitung (progressiste) qui, comme aux Pays-Bas ou en France, s’inquiète des liens qu’entretiennent certains manifestants avec l’extrême droite. “Par exemple, le parti d’extrême droite’La IIIe Voie’appelle à soutenir la semaine de protestation”, souligne le quotidien berlinois.Les agriculteurs espagnols en proie à la sécheresseLe mouvement s’est propagé au sud de l’Europe, où les agriculteurs espagnols ont manifesté à Cordoue, le 5 septembre dernier, alors que les 27 ministres de l’Agriculture européens étaient réunis dans cette ville, dans le cadre de la présidence espagnole du conseil de l’UE.”L’escalade des coûts de production”, “la compétition déloyale des importations de pays tiers”, “les exigences environnementales intenables de la Commission européenne”… Les milliers de protestataires fustigent également les objectifs du Green Deal qu’ils jugent inatteignables, alors que le pays est frappé chaque année par une sécheresse intense et prolongée.En réaction, le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez a prolongé les aides destinées aux agriculteurs, leur permettant de faire face à la hausse des prix des engrais et du diesel. En avril, l’exécutif avait annoncé une réduction de 25 % de l’impôt sur le revenu des agriculteurs.La concurrence ukrainienne menace les cultivateurs roumainsEn Roumanie, la mobilisation touche davantage les agriculteurs inquiets d’une concurrence ukrainienne qui déséquilibre le marché domestique. Ainsi, ils accusent le gouvernement de favoriser les importations à bas prix de céréales venues de Kiev.Depuis le début du mois de janvier, les agriculteurs ont bloqué plusieurs zones frontalières du pays dont le grand port de fret de Constanza. Ils ont été rejoints par les chauffeurs routiers qui demandent des subventions sur les carburants.Si les autorités ont d’abord ignoré les revendications des manifestants, le ministre de l’Agriculture a annoncé, le 15 janvier, avoir trouvé un accord avec les associations d’agriculteurs. Pour autant, la mobilisation ne se tarit pas. En témoigne la centaine de camions de marchandises stationnée, ce vendredi 19 janvier, près du poste-frontière de Siret, au nord de la Roumanie. Tous sont d’origine ukrainienne.
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Publish date : 2024-01-21 16:00:02
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