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Pétition contre Sylvain Tesson : “Ils pensent que la littérature est une autre façon d’être de gauche”

French writer Sylvain Tesson poses during a photo session in Paris on January 31, 2017. / AFP PHOTO / JOEL SAGET




Dans une tribune publiée par Libération le 18 janvier, plus de 1 200 signataires “poètes, artistes, éditeurs, libraires, bibliothécaires et acteurs culturels” ont condamné la nomination de Sylvain Tesson comme parrain du Printemps des poètes 2024. En cause : son statut d’”icône réactionnaire”.Pour L’Express, Patrice Jean, auteur de Kafka au candy-shop (Léo Scheer), analyse les ressorts de ce texte, qui trahit selon lui une “extension du domaine de l’extrême droite”. “La seule chose qui devrait nous importer est la qualité littéraire des écrivains, qu’ils soient de droite ou de gauche ; et si un individu pense que la correction politique prime sur cette qualité, c’est qu’il se fiche de la littérature”, tranche-t-il. Entretien.L’Express : Qu’avez-vous pensé de la tribune publiée par Libération ?Patrice Jean : J’ai d’abord mal compris de quoi il s’agissait. On a beau être prévenu de l’intolérance des progressistes, on peine à croire que six cents écrivains, professeurs, libraires (plus 1 200 au moment de la publication de cet entretien, NDLR) aient signé une pétition contre un écrivain. Il faut un effort pour imaginer une telle bassesse. Ensuite, j’ai essayé de comprendre ce qui pouvait motiver des “actrices et acteurs de la scène culturelle française” à lyncher, verbalement, socialement, un écrivain. Le lexique, ironiquement, dit ce qu’ils sont : des acteurs et des actrices sur une scène. Ils jouent à la conscience vertueuse. On assiste à une extension du domaine de l’extrême droite : sera qualifiée d’extrême droite toute personne qui n’est pas progressiste. Il faut réactualiser le proverbe : “Qui veut tuer Tesson dit qu’il est d’extrême droite.”Et admettons que Tesson soit “réactionnaire”, faut-il rappeler aux pétitionnaires que Baudelaire était une “icône réactionnaire” ? Leopardi, Pessoa, Nietzsche, Flaubert, Péguy, etc. étaient réactionnaires. Donc, n’importe quel libraire, enseignant, ou poète à deux balles pourrait présider le Printemps des poètes, alors que Baudelaire ne le pourrait pas ? On voit bien que ces gens croient que la littérature est une autre façon d’être de gauche, ce qui est historiquement faux. Si j’avais un reproche à formuler à Sylvain Tesson, ce serait d’avoir accepté cette pantalonnade qu’est le Printemps des poètes. Imagine-t-on Rimbaud parrainer le Printemps des poètes ?La tribune s’ouvre sur l’idée que “la fin de l’année 2023 a signé le glissement du second mandat d’Emmanuel Macron, un président auto-désigné comme ‘ni de droite ni de gauche’, vers un projet politique plus que jamais proche de l’extrême droite”. Que faut-il comprendre de ce rappel ?Ce rappel s’inscrit dans cette extension du domaine de l’extrême droite. Toute différence de point de vue avec le progressisme est perçue comme une façon d’être d’extrême droite. Et comme l’extrême droite est synonyme de fascisme, tout ce qui n’est pas progressiste sera considéré comme fasciste : les lyncheurs pourront frapper, cracher, pétitionner. On voit très bien que la littérature dans leur esprit ne peut être qu’une branche du progressisme. Au fond, ils préfèrent un mauvais écrivain progressiste à un écrivain de talent réactionnaire.Paradoxalement, la tribune ne fait jamais mention de l’œuvre de Sylvain Tesson. Faut-il s’en étonner ?Vous avez raison. On peut supposer que les signataires ne l’ont pas lue ou très peu lue. Ils ont dû entendre Tesson dans des entretiens, apprendre qu’il était à l’enterrement du diable (Jean Raspail), et surtout, comme ce sont des moutons, des moutons enragés, ils ont compris que tout le monde y allait de sa pierre lancée sur le poète, alors ils se sont dit : “Chouette ! À moi de jeter des cailloux ! Et bingo, en plus je passe pour progressiste et vertueux et courageux. J’aurais tort de me gêner.”Dans votre ouvrage Kafka au candy-shop (Léo Scheer), vous postulez que la littérature est menacée de disparaître en raison du militantisme, entre autres choses. Pensez-vous vraiment qu’une telle pétition puisse avoir un véritable impact sur l’œuvre de Sylvain Tesson, plébiscitée par les lecteurs ?Non, je ne pense pas que ce type d’action puisse remettre en cause l’art romanesque, au contraire, tout romancier ne peut que s’amuser de cette bouffonnerie. Le roman est, selon moi, l’art qui permet d’aller le plus loin dans l’exploration du déshonneur. Cela dit, il est possible que la vie de Sylvain Tesson en devienne un peu plus difficile. Si c’était le cas (et j’espère que ce ne le sera pas), les pétitionnaires auraient réussi leur coup.“L’extrême droite littéraire”, pour reprendre le titre de l’ouvrage du journaliste François Krug Réactions françaises. Enquêtes sur l’extrême droite littéraire (Seuil),mentionné dans la tribune, existe-t-elle selon vous ?Si l’extrême droite littéraire, ce sont Michel Houellebecq, Yann Moix ou Sylvain Tesson, l’extrême droite littéraire est un fantasme, et, encore une fois, une extension du concept à tout ce qui déplaît à ces vertueux censeurs. Il est possible qu’existe une extrême droite littéraire (en dehors de ces trois noms), comme il existe une extrême gauche littéraire, mais la seule chose qui devrait nous importer est la qualité littéraire des écrivains, qu’ils soient de droite ou de gauche ; et si un individu pense que la correction politique prime sur cette qualité, c’est qu’il se fiche de la littérature.“La poésie est une parole fondamentalement libre et multiple. Elle ne saurait être neutre, sans position face à la vie. La poésie est en nous, elle porte nos douleurs. Elle est dans la masse. Le quotidien. L’infâme. La tendresse. La rue. L’épuisement. Le quartier”, écrivent les signataires. Ce passage ne trahit-il pas une confusion entre la poésie et les “poètes” (du moins ceux qui s’en revendiquent) – autrement dit, l’art et les individus ?Il y a une confusion, mais les surréalistes prétendaient, déjà, que la poésie devait s’échapper des recueils pour aller dans “la rue”. Quand ils écrivent que “la poésie ne saurait être neutre”, je ne peux qu’être d’accord, mais veulent-ils dire que la poésie doit être progressiste ? Qu’à partir de l’an 2024, la poésie est l’autre nom de La France Insoumise ?Après l’interview de Sylvain Tesson sur France inter, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Avec les fées (Les Equateurs), un article d’Arrêt sur images a dénoncé un entretien qui “échoue quand il s’agit de rappeler ses liens avec l’extrême droite”. Pensez-vous que dans certains cas de figure, il faille prendre en compte les idées politiques des auteurs ?Les idées politiques des écrivains sont à prendre en considération, mais elles ne sont pas l’essentiel d’une œuvre littéraire, car si elles l’étaient, il serait préférable que les écrivains se consacrent directement à la politique et au militantisme (et donc cessent d’être des écrivains). En réalité, ces pétitionnaires compulsifs confondent l’ordre esthétique et l’ordre politique.La sociologue Kaoutar Harchi explique que “Michel Houellebecq ou Sylvain Tesson, en écrivant les livres qu’ils écrivent, eux aussi s’engagent, eux aussi défendent une vision du monde. Il y a, livre après livre, des valeurs qui sont de plus en plus ardemment défendues. Des valeurs nationalistes, sexistes, réactionnaires notamment. Mais d’eux, il ne sera pas dit qu’ils sont des écrivains engagés. Mais : des écrivains“…Un écrivain est engagé quand il prend clairement, dans ses œuvres, des positions politiques. Je n’ai pas lu tous les livres de Sylvain Tesson, mais je n’ai pas observé de “sexisme” dans ses écrits, ni de “valeurs nationalistes”. Là encore, on assiste à une extension du concept de réactionnaire. Je suppose que Tesson a dû écrire qu’il aimait la France, si bien que dans la tête du sociologue, cet aveu s’est transformé en “valeurs nationalistes”. Houellebecq a créé des personnages féminins qui n’étaient pas des anges, ce qui, dans la tête du sociologue, s’est transformé en “sexiste”. Ce sociologue n’est pas capable d’avoir une lecture littéraire des romans, ce qui est normal, c’est un sociologue.Les détracteurs de la tribune mettent en avant le fait que les signataires soient majoritairement des “inconnus”. Aurait-elle été plus légitime si elle avait été cosignée par des “grands noms” du monde littéraire ?C’est tout de même mieux que cette tribune soit signée par des inconnus que par des “grands noms” de la littérature contemporaine. C’est rassurant. Que des écrivains de renom soient aussi stupides aurait été inquiétant. En plus, ces inconnus auront, grâce à cette pétition, pu se croire importants pendant quelques jours. Je pense que c’est bien pour leur équilibre psychique.



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Author : Alix L’Hospital

Publish date : 2024-01-21 08:30:00

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