L’adaptation en série du livre enquête de Fabrice Arfi, D’argent et de sang (paru en 2018 au Seuil) a été divisée en deux parties. D’abord, six épisodes diffusés à l’automne dernier, décrivant par le menu la fraude à la TVA sur les quotas de carbone mise en place par de petits escrocs de Belleville épaulés par un riche trader, avec comme résultat plusieurs milliards d’euros volés aux États français et européens à la fin des années 2000. Une affaire dingue. Voici maintenant la suite, six nouveaux épisodes où “Fitous” (Ramzy Bedia), “Bouli” (David Ayala) et Attias “Niels Schneider” se retrouvent plus que jamais dans le viseur du magistrat Simon Weynachter (Vincent Lindon), tout en brûlant leur fric sans penser à demain.
Le surmoi scorsesien de la série de Xavier Giannoli (que le cinéaste de À l’origine a créé, co-scénarisé et co-réalisé) est plus que jamais présent. On pourrait même dire qu’il clignote très fort. Il s’agit de montrer des hommes qui savent qu’ils vont tomber – reste à savoir comment – et se lancent dans une course vers l’avant, fascinés par une virilité absurde qu’ils déclinent chacun à leur manière.
Filmer la vulgarité
Alors que l’étau se resserre, D’argent et de sang les suit dans leur quête effrénée du prochain plaisir, de Manille aux quartiers chics parisiens, avec une noirceur de plus en plus évidente. Une noirceur qui laisse entrer la tragédie, mais dans l’étrange enveloppe d’une vulgarité de tous les instants. Celle de personnages profondément indifférents à toute loi collective, obsédés par les bagnoles, les fringues hors de prix et les putes. Pas beaucoup plus ? Pas beaucoup plus, en effet.
À certains moments, Giannoli parvient à trouver la bonne distance, comme cette fin ironique et cruelle de l’épisode 9, où il est question d’élévation spirituelle devant une image de cul. Mais filmer la vulgarité n’est pas simple, surtout quand elle est criminelle. De plus en plus, la série se construit de façon binaire entre le décor flashy des voyous et l’austérité un peu grise de l’enquêteur. Cela donne une esthétique un peu prévisible qui a tendance à devenir répétitive. Autant, dans les premiers épisodes, l’élan du récit nous gardait captifs, autant ici, l’étude de caractères que propose Giannoli ne gagne pas vraiment en profondeur et peut finir par lasser. Les scènes ont toutes peu ou prou le même sujet, un rythme similaire, sans vraiment apporter autre chose qu’un commentaire sur une situation spectaculaire, une traque touchant aux limites du comportement humain.
Réparer le monde
Montrer des hommes (et quelques femmes) pris dans un tourbillon à la fois financier et intime ne suffit pas forcément. L’ambition évidente déployée par D’argent et de sang résonne d’ailleurs bien au-delà : il s’agit ici, pour Giannoli, de poser sa caméra au cœur du monde contemporain, bouffé par un rapport viscéralement malade à l’argent, un capitalisme qui court comme un poulet sans tête. Lui se pose, dans les pas du personnage de Vincent Lindon (évident autoportrait en obsessionnel rongé), comme celui qui pourrait même modestement contribuer à réparer le monde.
C’est le grand thème de la série, repris du concept juif du “Tikkoun Olam”. D’argent et de sang reste malheureusement ancrée dans les péripéties de son récit, et les derniers épisodes, même plaisants, n’auront finalement pas permis de trouver la clef de cette réparation.
D’argent et de sang, deuxième partie. Sur Canal Plus tous les lundi soir et sur MyCanal.
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Author : Olivier Joyard
Publish date : 2024-01-22 12:51:50
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