“L’art est libre ! Mais pas sans règles”, lit-on sur le site officiel de la ville de Berlin. Voilà, en substance, l’idée qui se logeait derrière la clause déposée par le Sénat de la capitale allemande, le 4 janvier dernier. Celle-ci impliquait que tous les bénéficiaires de fonds publics – les institutions culturelles les premières, elles qui perçoivent pas moins de 947 millions par an – devaient s’engager dans la lutte contre l’antisémitisme.
Porté par Joe Chialo, sénateur à la Culture et à la Cohésion sociale, ce texte juridique se basait sur la définition de l’antisémitisme par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) : “L’appel au meurtre des Juifs, la diabolisation de l’État d’Israël, la comparaison de la politique israélienne avec les actions des nazis et le déni du droit du peuple juif à l’autodétermination.” Visée par de nombreuses critiques, la clause a finalement été suspendue par la commission culturelle de la ville, le 22 janvier.
“C’est une insulte”
Une position en effet loin d’être du goût d’un grand nombre d’acteur·rices du secteur culturel, qui s’étaient aussitôt organisé·es pour répliquer. Ainsi est né Strike Germany, le 8 janvier, mouvement autour duquel 850 artistes, écrivain·es, musicien·nes, se sont rassemblé·es à l’échelle internationale – dont l’autrice française et prix Nobel Annie Ernaux, l’artiste américano-belge Cécile B. Evans, le photographe sud-africain Adam Broomberg, ou encore l’artiste marocaine Meriem Bennani –, et qui s’avère toujours très actif sur les réseaux sociaux, en dépit de l’abrogation de la clause.
“L’Allemagne a choisi de s’opposer à l’autodétermination du peuple palestinien au plus haut niveau de la justice internationale”, déplorent les militant·es en ligne, “c’est une insulte aux dizaines de milliers de personnes tuées à Gaza par Israël au cours des trois derniers mois seulement, ainsi qu’à ceux qui ont souffert des crimes insupportables commis par l’Allemagne elle-même lors des nombreux génocides qu’elle a perpétrés dans le monde et à l’intérieur de ses frontières”.
Leur objectif ? Appeler leurs pairs à suspendre toute participation aux institutions, festivals, conférences et expositions en Allemagne.
Le monde de la nuit sur ses gardes
Durant la courte période (deux semaines et quatre jours) où la clause en question a été mise en place, les annulations se sont succédé dans le monde de la nuit berlinois. Les clubs de la ville – comme toute institution culturelle – bénéficient d’aides publiques. Enfreindre, d’une manière ou d’une autre, la nouvelle clause aurait signifié les perdre et, à terme, risquer la faillite. Alors, les clubs se sont exécutés, faisant volontiers du ménage dans leur programmation.
À commencer par le plus mythique : le Berghain, haut lieu de la scène techno berlinoise, qui a remercié le DJ Arabian Panther. Ce dernier, censé s’y produire le 12 janvier dernier pour une soirée organisée par le label Ritmo Fatale, a expliqué que le club avait décidé d’annuler son set “en raison de [sa] position pro-palestinienne”.
Dans une longue publication partagée en ligne, l’artiste a relayé les tractations internes : Tim Rosenberger, l’un des programmateurs du Berghain, a fait savoir à son équipe que sa “communication globale sur les réseaux sociaux” posait problème, proposant de prétexter des travaux de rénovation du club pour annuler l’intégralité de l’événement sans faire de vagues.
Mouvement de solidarité
À la suite de cette annonce, d’autres artistes ont réagi en boycottant le dénommé club. Parmi elles et eux, l’équipe du label lyonnais BFDM Records, qui y organisait une soirée le 18 janvier : “La musique est un moyen d’expression libre et doit le rester : peu importe l’origine, les orientations politiques, sexuelles, le genre ou la couleur de peau de chacun. Au regard des événements actuels en Allemagne, ainsi que de la censure dont fait l’objet Arabian Panther […], l’ensemble des membres actifs de BFDM ont pris la décision d’annuler le showcase”, a-t-elle expliqué sur Instagram. Et de poursuivre : “On espère pouvoir vous retrouver bientôt à Berlin dans un cadre libre et apaisé.”
Un mouvement qui s’est même étendu au-delà du Berghain. Alors que le CTM Festival, événement berlinois qui entend promouvoir “les musiques aventureuses et les arts visuels”, se rapproche – il aura lieu du 26 janvier au 4 février –, plusieurs artistes programmé·es ont annulé leur venue. Via le compte Instagram “Ravers for Palestine”, Manuka Honey et Jyoty ont annoncé rejoindre le mouvement Strike Germany. Et se sont engagées, par leur absence, à défendre “la liberté artistique […] dans un contexte de montée rapide de l’extrême droite allemande et à lutter contre le racisme structurel”.
Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/strike-germany-berlin-face-au-boycott-des-artistes-soutenant-le-peuple-palestinien-607303-23-01-2024/
Author : Louise Lucas
Publish date : 2024-01-23 18:28:58
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