L’occasion fait souvent le larron, et particulièrement avec les Bretons. Ainsi donc, un jour de janvier 2023, on fit coup double en rendant visite à Miossec dans son Finistère natal, avant de rejoindre les deux acolytes de Gwendoline, enfermés dans une maison transformée en studio d’enregistrement du côté de Lampaul-Plouarzel, une commune d’environ 2 000 âmes qui borde la mer d’Iroise.
Au lendemain d’une raclette (spécialité guère bretonnante mais toujours réconfortante par les frimas) largement arrosée (comme le temps), on devisait de bon matin embrumé avec Pierre Barrett et Mickaël Olivette, qui carburaient au café plutôt qu’au whisky Breizh Cola ou à la Suze Tonic de la veille. On ignorait alors que cette découverte nocturne constituerait un hymne sur leur prochain album en cours d’écriture, dans une chanson en chantier où il était déjà question de whisky Coca (tout se recoupe).
En louant cette maison finistérienne au milieu de nulle part en plein hiver, les deux comparses cherchaient à s’isoler pour mieux se concentrer, après des mois passés sur la route grâce au succès grandissant d’Après c’est gobelet !, un premier disque édité sur le label espagnol Dead Wax Records en 2020 et alors passé inaperçu, avant une réédition bienvenue sur la structure de leur manager et directeur artistique de l’ombre, Florian Gobbé, qui officie également pour le festival brestois électronique Astropolis.
Tubes underground
Dès lors, la “shlag wave” revendiquée de Gwendoline pouvait s’ébruiter, à la faveur de quelques tubes underground (Chevalier Ricard, Audi RTT, Voldebière, Chèques vacances) et d’un refrain fédérateur (“Rendez-vous au PMU/À 8 heures du matin”). “C’est fou de penser que ce premier album aurait un jour une deuxième vie, d’autant qu’il nous fallait dès lors assumer un disque écrit d’abord pour quelques potes. Ce qui nous a le plus agréablement surpris, c’est que des générations différentes – de 20 à 60 ans – se sont approprié les textes de nos chansons.”
En sortant de leur Bretagne natale ou d’adoption, Pierre Barrett et Mickaël Olivette ont trouvé un écho qu’ils ne soupçonnaient pas dans des territoires ruraux, des déserts culturels, des recoins improbables de l’Hexagone. Paradoxalement, ils devaient se réapproprier des textes dans lesquels ils ne se reconnaissaient plus forcément, à commencer par l’hymne Audi RTT, leur tout premier morceau, et son refrain pourtant irrésistible (“La vie c’est dur, putain”).
Sans sas de décompression et à peine la tournée d’une soixantaine de dates achevée, la paire tentait donc, à l’hiver 2023, de se remettre au travail, hésitant encore sur l’option artistique et lexicale à privilégier au lendemain de ce succès critique et public surprise – toutes proportions gardées, Gwendoline n’étant pas la nouvelle Zaho de Sagazan, leur copine de Saint-Nazaire.
Le luxe de se faire chier à huis clos
“Égoïstement, on a d’abord envie que cette nouvelle vie continue, après y avoir goûté à notre plus grande surprise. C’est totalement inespéré pour deux péquenauds comme nous. On n’imaginait jamais pouvoir vivre de notre musique par le statut de l’intermittence, mais on se sait aussi attendus au tournant du deuxième album. Car nous ne sommes pas les perdreaux de l’année, Gwendoline est loin d’être notre premier groupe.”
En choisissant l’isolement finistérien, à Lampaul-Plouarzel plutôt qu’à Brest, où les sollicitations apéritives ne manquaient pas et où les copains les ramenaient vite à des considérations terre à terre, loin du showbiz parisien, le tandem voulait prendre son temps, “laisser le temps au temps”, pour reprendre la fameuse expression mitterrandienne.
“C’est un vrai luxe de s’ennuyer, de foutre du temps en l’air et de se faire chier à huis clos, sans oublier d’aller au bar pour croiser quand même quelques personnes et se rappeler qu’il y a encore un peu de vie ici”, insistaient-ils en chœur, se répartissant tacitement les rôles – Pierre noircit des pages entières de cahiers, tandis que Mickaël s’immerge dans la composition et les arrangements. “Ce sont souvent les idées poubelles de l’un qui déclenchent les bonnes idées de l’autre. Nous sommes dans le même délire en matière de textes, d’humour et de points de vue. Nous recherchons toujours l’équilibre entre un ton grinçant et l’humour glauque. On se met trop de barrières… À l’époque du premier album, nous étions les losers de Rennes en plein été alors que tout le monde était en vacances. Nous étions persuadés que la Terre nous détestait, alors on détestait la Terre.” Moins revanchards, désormais valorisés, les deux (presque) trentenaires ne voulaient surtout pas perdre leur dégoût du monde moderne. “Crachons veux-tu bien”, comme dirait Miossec.
Un album moins potache
Onze mois plus tard, juste avant la traditionnelle trêve des confiseurs, on retrouve Pierre Barrett et Mickaël Olivette attablés en terrasse d’un bar-restaurant parisien, un peu éprouvés par une tournée interminable qui leur a permis de voyager en Europe (Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse). Depuis Lampaul-Plouarzel, après un mois de travail qualifié tout simplement de “catastrophique” en autoflagellation récurrente, Gwendoline a terminé son album fin août et signé chez Born Bad Records, illustre label indépendant français de rock décomplexé qui abrite notamment Frustration, La Femme (sans doute le groupe dont ils se sentent le plus proche), Bryan’s Magic Tears, Zombie Zombie ou encore Le Villejuif Underground.
C’est finalement à Brest que l’inséparable et inénarrable binôme a trouvé les ressources nécessaires pour finir d’écrire et de composer le successeur attendu d’Après c’est gobelet !. Avec la volonté partagée d’être moins potache et plus sérieux, sans jamais perdre la plume incisive caractéristique de Gwendoline, surtout dans un contexte social et politique plus sombre que jamais.
Broyer du noir, mais avec le sourire
À la première écoute de C’est à moi ça (un titre moins accrocheur qu’à l’accoutumée), le caractère frontal des paroles ressort instantanément : “Union soviétique, modèle idéal/La Corée du Nord, bon système social” (Conspire, le premier single extrait), “S’organiser des vacances dans des clubs de connards/Et faire bosser toute l’année toute cette bande de smicards” (Clubs), “J’voudrais être un héros national/Comme le flic sur TMC” (Héros national, déjà éprouvé en concert). En écrivant à quatre mains, les deux hémisphères de Gwendoline se sont mutuellement surpris. Le passage “J’ai pas choisi mon camp/C’est le sang de papa et maman” a littéralement bluffé Pierre, même si aucun de leurs parents n’a encore eu l’heur d’écouter Le Sang de papa et maman. Forcément, avec un texte pareil, ils craignent des réactions contrastées de leurs aîné·es.
Dans cette grisaille humide et quotidienne qui assombrit même la pochette de C’est à moi ça, où ils posent les mains sur les yeux devant l’église Saint-Louis de Brest, Pierre Barrett et Mickaël Olivette aiment broyer du noir, mais avec le sourire : “Une belle MJC toute taguée/Des tremplins pour les jeunes talents/Y a des pistes cyclables/Et des vélos en libre-service/Merci la ville”… On repense d’ailleurs à Brest de Miossec, avant de reprendre le TGV pour la capitale : “Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest/Mais nom de Dieu, que la pluie cesse/Tonnerre, tonnerre, tonnerre de Brest/Même la Terre part à la renverse.”
Gwendoline interprétera en exclusivité son nouvel album aux Inrocks Festival le jour même de sa sortie, dont on subodore déjà l’issue, après quelques tournées de Suze Tonic (Pinata, futur tube des festivals et des campings) : “Rendez-vous au PMU/À 8 heures du matin.”
C’est à moi ça (Born Bad Records/L’Autre Distribution). Sortie le 1er mars. En concert aux Inrocks Festival (Centquatre-Paris) le 1er mars. Réservez votre place.
Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/gwendoline-aux-inrocks-festival-la-meilleure-facon-de-surfer-sur-la-shlag-wave-607640-25-01-2024/
Author : Franck Vergeade
Publish date : 2024-01-25 18:00:00
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