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Dani Dayan : “Parler de génocide à Gaza est une falsification de la vérité”

Des soldats israéliens dans le Hall des noms au mémorial de Yad Vashem, le 26 janvier 2023.




Le massacre de quelque 1 200 Israéliens par le Hamas, le 7 octobre, donne une résonance particulière à la commémoration, ce samedi 27 janvier, du 79e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, où plus d’un million de juifs ont été assassinés. Mais pour Dani Dayan, président de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah à Jérusalem, “il y a une grande différence” entre ces deux événements, car désormais : “Israël existe.”Au cours d’un entretien en marge d’une conférence à Cracovie sur la montée de l’antisémitisme – organisée par l’Association juive européenne et à laquelle Yad Vashem a apporté son parrainage -, Dani Dayan a mis en garde contre des slogans comme “de la rivière à la mer, la Palestine sera libre” entonné dans les universités américaines, qu’il estime être des appels “à l’élimination d’Israël”. Il a également évoqué le défi mémoriel que représente la disparition des derniers survivants de la Shoah.L’Express : Le 7 octobre dernier est la journée où le plus de juifs ont été tués depuis 1945 et la Shoah…Dani Dayan : On retrouve la même cruauté, le même sadisme et probablement les mêmes intentions génocidaires dans les deux évènements. Quand nous avons entendu ces histoires de mères couvrant la bouche de leurs enfants pour ne pas être découverts par les meurtriers du 7 octobre, nous avons tous pensé à la Shoah. Le Hamas voulait cette comparaison : que les Israéliens aient le sentiment que la Shoah se répète, car rien ne nous terrorise plus que cela. Mais le 7 octobre n’est pas la suite de la Shoah, il y a une grande différence : Israël existe et ses forces armées sont intervenues, même si ce fut tardivement. Nous ne dépendons plus des autres, à supplier de bombarder les lignes de chemin de fer menant à Auschwitz.En réaction au 7 octobre, l’ambassadeur israélien à l’ONU s’est affiché avec une étoile jaune. Qu’avez-vous pensé de cela ?C’était contre-productif, mais également une erreur historique, car l’étoile jaune est le symbole de l’humiliation des juifs, à la merci des autres, avant que nous ayons un Etat indépendant.L’Afrique du Sud a déposé plainte pour génocide contre Israël devant la Cour internationale de justice. Comment jugez-vous cette d’accusation ?Il n’y a pas de génocide en cours à Gaza. Utiliser le terme de génocide, créé après la Seconde Guerre mondiale, après la Shoah, pour définir les meurtres intentionnels, à une échelle industrielle, des juifs est vraiment une falsification de la vérité. Il y a une guerre et dans la guerre, il y a toujours, malheureusement, des victimes collatérales. Mais il n’y a pas d’intention de tuer le plus possible de Gazaouis. Je suis convaincu que les forces israéliennes font tous les efforts possibles pour prévenir les morts de civils, même si le nombre de victimes est très élevé, nous en sommes très tristes. Le Hamas, malheureusement, se dissimule au milieu de la population, dans les écoles, les mosquées, les hôpitaux.Derrière l’accusation portée par l’Afrique du Sud, on retrouve l’idée de “nazification” des juifs. Dans ce contexte, les actes antisémites sont actuellement en hausse. Qu’est-ce que cela vous inspire ?Quand je suis arrivé, en 2016, aux Etats-Unis comme diplomate, je pensais que l’antisémitisme ne serait pas dans les priorités de mon agenda. Mais pendant mon temps là-bas, quinze juifs ont été tués dans différentes attaques antisémites, dont la plus violente visant une synagogue à Pittsburgh, a fait onze morts. En France, les chiffres sont à peu près les mêmes, mais sur une période plus longue de dix ans.L’antisémitisme montre à nouveau son horrible visage. On voit le vieil et vil antisémitisme nazi et l’antisémitisme relativement nouveau de ceux qui se prétendent antisionistes. C’est la théorie du fer à cheval : l’antisémitisme est le sujet qui rapproche le plus l’extrême gauche et l’extrême droite.Que voulez-vous dire ?J’ai voyagé récemment sur la côte est des Etats-Unis, pour me rendre dans les plus prestigieuses universités, Colombia, NYU, Université de Pennsylvanie, où des pseudos chercheurs construisent de pseudo-théories qui défendent l’élimination de l’Etat d’Israël, en disant que les juifs n’ont pas droit à un Etat. Pour moi, c’est une réminiscence de ce que l’on a connu à l’université de Heidelberg, en Allemagne, dans les années 1930, où des théories raciales [NDLR : l’eugénisme] ont conduit à éliminer les handicapées, les malades mentaux, les juifs, etc.Pour moi, les étudiants qui reprennent des slogans comme “de la rivière à la mer, la Palestine sera libre” appellent de fait à l’élimination d’Israël. Le problème vient des professeurs qui poussent de telles idées. C’est comme un cancer, nous avons connu il y a quelques années la phase un, avec le boycott d’Israël accusé d’avoir mis en place un apartheid. Nous sommes à présent en phase deux, avec un antisémitisme plus agressif. La phase terminale sera destructrice, mais pour l’université, la société, pas pour les juifs.Les réseaux sociaux donnent un écho inédit à l’antisémitisme. Comment y faire face ?Aux Etats-Unis, on a le droit de brandir un drapeau nazi ou de porter un t-shirt sur lequel est écrit “les juifs ne nous remplaceront pas”. Ce n’est pas possible dans un pays européen. La responsabilité des réseaux sociaux dans la montée de l’antisémitisme est très importante. Ils affaiblissent la démocratie dans beaucoup de pays, car les propos extrémistes sont ceux qui prévalent, qui sont de “bon ton”, bien plus que les propos mesurés.Était-ce une bonne idée, de la part de l’Association juive européenne d’inviter le patron de X (ex-Twitter) Elon Musk à visiter Auschwitz et à s’exprimer à la conférence sur l’antisémitisme ? Même s’il s’en est excusé, il a relayé sur des propos antisémites…La prise de parole d’Elon Musk à cet événement ne s’est pas faite sous le parrainage de Yad Vashem. La partie de la conférence à laquelle nous avons donné notre parrainage s’est arrêtée avant sa prise de parole. Il ne fait aucun doute que certaines déclarations de monsieur Musk ont été dérangeantes, nous ont déplu et sont une source d’inquiétude. Mais il n’est pas le seul. Il faut faire la différence entre les antisémites et les ignorants. Toutes les personnes qui disent des choses outrancières à propos de la Shoah ne sont pas nécessairement des antisémites, elles peuvent aussi être ignorantes.Je vais vous donner deux exemples. Kanye West est un antisémite [NDLR : il a déclaré publiquement “j’adore les nazis”, “j’aime Hitler”, entre autres propos antisémites]. Une autre célébrité a causé un scandale : l’actrice Whoopi Goldberg. Elle a dit que “l’holocauste n’était pas une question de race”, que c’est une “violence de blancs contre des blancs”. C’est de l’ignorance. Elle n’est peut-être pas antisémite et n’a pas la moindre idée de ce qu’est vraiment la Shoah, 100 % raciale du point de vue de ceux qui l’ont perpétrée. Les gens me demandent pourquoi nous n’avons pas invité Kanye West à Yad Vashem. Ce serait une perte de temps. Whoopi Goldberg, qui a été suspendue deux semaines par une chaîne, devrait venir, car elle est ignorante.Les partis d’extrême droite progressent presque partout en Europe. Est-ce que cela vous inquiète ?Beaucoup. Notamment l’ascension du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), et bien d’autres. En France, il y a aussi un cas unique : un candidat à la présidentielle qui déforme l’histoire de l’holocauste et se trouve être juif, Eric Zemmour. Je ne dis pas qu’il la nie, d’ailleurs presque plus personne ne le fait. Yad Vashem a aujourd’hui d’excellentes relations avec le gouvernement d’Autriche. Mais si le prochain chancelier devenait Herbert Kickl [chef du parti d’extrême droite FPÖ], je ne sais pas si cela continuera. On regarde l’Europe avec des sentiments partagés. D’un côté, la Commission européenne a une excellente stratégie pour combattre l’antisémitisme, qui a besoin d’être appliquée, et d’un autre côté on voit la montée de partis qui ont un passé et un présent très sombre.La citoyenneté européenne, et spécialement en Allemagne, vient avec des responsabilités et des devoirs pour combattre et rejeter clairement l’antisémitisme, même si votre grand-père se trouvait au Moyen-Orient ou en Asie dans les années 1930 et 1940. J’entends les dirigeants européens me tenir de très beaux discours. Je leur réponds que c’est très bien, et leur demande si cela redescend jusqu’aux cercles de la société civile les moins réceptifs de leur pays. Dans la plupart des cas, je sens qu’ils sont gênés.Vous avez mentionné l’AfD, dont certains leaders comme Bjorn Höcke veulent que l’Allemagne cesse de se focaliser sur son passé nazi. Ils sont à présent très hauts dans les intentions de votes…Si un parti avec des caractéristiques antisémites rentre au gouvernement allemand, ce sera un coup terrible pour la réconciliation avec les juifs allemands. J’ai visité l’Allemagne pour la première fois dans ma vie en janvier 2023. Toute ma vie, je me suis refusé à me rendre là-bas. Ni par haine ou raisons familiales, car la plupart des membres de ma famille se trouvaient en Amérique du Sud pendant la Shoah.Il y a une tradition juive, un peu oubliée, de laisser une partie du mur non peint chez soi, pour se rappeler que Jérusalem a été détruite il y a 2 000 ans. Comme un mur laissé nu, il y a au cœur de l’Europe un endroit qu’on ne visite pas. C’était ma façon d’entretenir le souvenir de ce qu’il s’est passé. Mais quand le président du Bundestag et le chancelier Olaf Scholz m’ont invité, j’ai pensé qu’y aller, en tant que président de Yad Vashem, était alors une nouvelle façon d’entretenir ce souvenir.En juin 2022, le président Biden est venu à Yad Vashem. Et en chemin vers le site, dans la limousine, ce qui prend une minute, je lui ai dit’Monsieur le président, Israël n’a pas été créé à cause de la Shoah, mais malgré la Shoah’. Israël serait un Etat plus robuste s’il y avait les descendants des six millions de juifs disparus. On ne peut pas comprendre Israël et les Israéliens sans comprendre l’impact que la Shoah a sur nous tous. Elle est toujours quelque part dans notre tête.Les survivants de la Shoah encore en vie sont très âgés. Comment témoigner de ce qu’il s’est passé après leur disparition ?Nous délibérons beaucoup là-dessus. Ma conclusion est que toutes les façons artificielles pour les remplacer, comme les hologrammes qu’on trouve dans les musées ou des IA avec qui converser malgré leur mort, échoueront. Nous n’y croyons pas, ce serait de la manipulation. Et un film ne remplacera pas une personne réelle qui témoigne devant vous.Il va falloir s’adapter à un monde sans témoins. Notre tâche sera plus difficile et en deviendra encore plus importante quand cela arrivera, d’autant que les négationnistes et ceux qui déforment l’Histoire en profiteront. C’est la raison pour laquelle nous continuons à rassembler de la documentation. A Yad Vashem, les archives comptent plus de 230 millions de documents. Nous avons eu accès l’année dernière aux archives du Vatican, ouvertes pour la première fois, grâce au pape François, qui m’a dit que l’Eglise ne craint pas l’Histoire. Je suis sûr que cela révélera des choses positives pour elle et d’autres honteuses.Le fait que les derniers survivants s’éteignent donnera de la place aux victimes qui n’ont pas survécu à la Shoah. Cela peut mener à certains développements intéressants. Je n’ai jamais oublié une seule seconde que six millions de juifs n’ont pas pu témoigner devant une caméra, ou à côté d’un écrivain, pour raconter leur histoire.Yad Vashem répertorie les noms de toutes les victimes de la Shoah. Comment trouver ceux qui manquent encore ?C’est l’un des plus grands efforts de Yad Vashem. Pourquoi est-ce si important ? Abel Herzberg, un avocat néerlandais, a dit “ce ne sont pas six millions de juifs qui ont été assassinés par les nazis, mais un juif qui a été assassiné six millions de fois”. Nous avons réussi à enregistrer cinq millions de noms et comptons utiliser des IA pour exploiter des témoignages oubliés, comme des enregistrements audios laissés par un survivant qui parle de son petit frère qui s’appelait Moshe et a été tué.Nous allons retrouver encore des noms, mais pas tous, nous en avons conscience. En Europe de l’Ouest, les nazis étaient plus méticuleux et ont laissé des listes détaillées des juifs transportés vers les camps, avec leur âge, tout. Dans l’est de l’Europe, c’était complètement différent, si un groupe de juifs étaient tués près d’une rivière, dans un village, personne n’a enregistré les noms avant l’exécution. A Yad Vashem, nous avons des pages blanches dont on sait qu’elles ne seront jamais remplies.



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Author : Clément Daniez

Publish date : 2024-01-27 07:30:00

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