“Qu’est-ce que la vie si tu ne fais pas ce qui te rend le plus heureux ?”, interroge Makayla, gouailleuse, tandis que s’ouvre Grow Wings and Fly. Une question d’apparence candide – pourtant, la seule qui vaille sans doute d’être posée –, dont son acolyte de concert (et amie) Carter Tate s’est saisie, réalisant ce documentaire-fleuve en l’honneur de King Gizzard and the Lizard Wizard : “Le groupe le plus prolifique, excitant et dynamique de notre époque”, avance-t-elle.
Armée de son appareil photo numérique, d’une fascination singulière pour “Gizz” et sa compère tout aussi fan qu’elle à ses côtés, la réalisatrice en herbe a suivi les pérégrinations du sextet originaire de Melbourne, entre mai et juin 2023. Le film retrace ainsi la tournée américaine des Australiens – 14 dates, de Charlotte à Los Angeles, en passant par Seattle – à hauteur de fan, délivrant des images pleines de passion et de cœurs battants.
À commencer par ceux des deux jeunes femmes, qui s’étaient d’ailleurs rencontrées lors d’un concert de leurs idoles. Pas vraiment étonnant : elles n’en manquent pas un seul. Rien ne les anime plus que la musique de ces six gaillards-là, auteurs d’un alliage sonore grisant où rock psyché, jazz, metal progressif et garage se tutoient.
Attachement intime
Carter Tate désamorce tout de suite : oui, les fans de groupes peuvent parfois paraître “fous ou trop excessifs”. Voilà qui lui est bien égal. Elle sait précisément ce qui la tient, “pourquoi [elle] fait ça”. Manière de congédier d’emblée les esprits étriqués ou les regards moqueurs qui ne verrait en elle qu’une simple groupie. Paraître trop intense ou trop éprise, la jeune femme n’en a que faire – elle qui s’échinera à nous dépeindre, durant les 2h40 du film, ce qu’aimer peut bien vouloir dire.
Tandis que l’épopée s’amorce en Caroline du Nord, les premières rencontres se déroulent sous l’œil de la caméra. Dès le petit matin, les fans s’amassent devant le portail donnant accès au site du concert – l’occasion de visualiser les premiers visages de la “communauté Gizz”, fil rouge du docu : Jack, la soixantaine bien passée, qui enregistre le son des concerts depuis son adolescence ; Lane, sourire mutin, souvent là à performer le type à l’aise (sans doute plus qu’il ne l’est réellement) ; Noah, dont les yeux fuyants disent la pudeur…
À chaque date, les mêmes tribulations : retrouver le noyau dur – bière ou soda à la main, c’est selon – , si possible au plus près de la barrière de sécurité pour s’assurer d’investir le premier rang. À la quête du même dessein : s’imprégner de l’énergie de King Gizzard and the Lizard Wizard, vibrer au son de leur musique, se nourrir de l’instant. Car pour beaucoup, le groupe a quelque chose d’“époustouflant”. “Ils improvisent, jament, la set-list n’est jamais la même…”, énumère l’un d’elleux. Un autre renchérira plus tard : “On est accros !”
Tableau d’une œuvre tentaculaire
Cette attraction irrépressible tient sans doute à l’épaisseur de la musique des Australiens. Une œuvre tentaculaire – 25 albums sortis depuis 2012, cinq rien que pour les années 2017 et 2022 –, qui rassemble aussi bien les “psych-rock people” que les “jam band people”, catégorise avec humour la réalisatrice. Grow Wings and Fly donne ainsi à voir (ou plutôt à entendre) les mille couleurs musicales que manie le groupe, trouvant à chaque fois son public.
S’ils tapent aussi bien dans les guitares rutilantes que dans les flûtes traversières éthérées, les six musiciens conservent ce même rapport décomplexé, intuitif et joyeux à la composition. Une qualité qui, en deçà d’avoir contribué à la construction d’une discographie pléthorique, a ouvert un champ des possibles (presque) infini pour façonner leurs performances scéniques.
Par ses images, Carter Tate parvient à capturer toute la frénésie de ces nuits de musique où, micros jusqu’à la saturation, Stu, Ambrose, Cook, Joey, Lucas et Michael font usage de leur capacité à propulser les foules dans une dimension jubilatoire. Ils hèlent le public à coups de “cowboys, cowgirls!”, sautillent avec ou sans chaussures, convient un type au hasard à beugler dans le micro, font état de leurs beuveries – assumant, un soir de juin, un “set acoustique de gueule de bois”. Et s’étonnent encore, chaque soir, du nombre de fans présents.
Des valeurs communes
La “communauté Gizz” semble grandir vite, et ce particulièrement aux États-Unis : il y a sans doute là quelque chose de rassurant en ces six Australiens qui, sans entacher leur joie infaillible, n’hésitent pas à se remonter les manches à l’aune d’un contexte politique nauséabond. À l’image de ce concert à Pelham où, en réponse au projet d’interdiction des performances drags dans le Tennessee, ils se sont pointés sur scène en robe – tout comme leurs fans, d’ailleurs, qui avaient organisé une soirée dédiée en faveur des “droits des personnes transgenres [..] et LGBTQ”.
Ces partis pris politiques, le groupe et son public les célèbrent dans la joie, fortifiant plus encore le lien qui les unit. “Tout le monde ici semble être un peu plus conscient à propos des sentiments des autres, […] plus respectueux. C’est comme une famille”, glissait l’un des fans à Carter Tate. Une attention à l’autre à laquelle semble veiller attentivement les King Gizzard and the Lizard Wizard eux-mêmes.
À Washington, quelques mots bienvenus étaient projetés face à la foule avant que les hostilités ne débutent : “À mesure que l’essaim de cinglés grandit, nous devons travailler dur pour que notre communauté reste inclusive. Le mosh pit est un endroit sûr pour les jeunes, les vieux, les grands, les petits et les personnes de tous genres. Si vous voyez des connards, alertez la sécurité. Prenez soin les uns des autres et SOYEZ VOUS-MÊMES !” Le documentaire se termine quelques minutes plus tard, et on se dit, mélodies impétueuses encore en tête, que le mot “famille” n’est sans doute pas galvaudé.
Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/king-gizzard-and-the-lizard-wizard-un-docu-fleuve-retrace-la-tournee-us-du-groupe-607944-29-01-2024/
Author : Louise Lucas
Publish date : 2024-01-29 12:02:47
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