Mis sur orbite par le fabuleux Diamantino, récipiendaire du Grand Prix Nespresso de la Semaine de la critique du Festival de Cannes en 2018, Gabriel Abrantes s’est forgé en un long métrage (et pas loin de 20 courts) une image de laborantin fou du jeune cinéma d’auteur portugais, d’obédience queer, et branché sur courant alternatif.
Rappelons que dans Diamantino, un pendant fictif de Cristiano Ronaldo (campé par Carloto Cotta), dont la candeur excuse la bêtise, traverse une crise existentielle qui l’amène à arrêter le football et voit une poitrine de femme lui pousser, due aux hormones que lui injecte le parti d’extrême droite portugais dans l’optique de le cloner…
On aurait donc pu attendre du cinéaste qu’en investissant le territoire codifié du film d’horreur, il court-circuite sensiblement le genre et y incorpore des visions foutraques du même ordre que celles qui peuplaient son premier film. Pourtant, Amelia’s Children, fraîchement lauréat du prix du jury au Festival du film fantastique de Gérardmer, approche le registre horrifique avec une certaine déférence, voire un premier degré contre-intuitif, que vient toutefois déjouer une touche parodique (c’est parfois très drôle), plus proche de l’humour macabre propre à un genre par nature bis et déviant, que de l’ironie surplombante.
Cauchemar freudien
On y suit Edward (Carloto Cotta, encore lui), orphelin installé à New York, qui fait à l’âge adulte une découverte bouleversante : il a un frère jumeau et une mère dont il ignorait l’existence. Accompagné de sa petite-amie Riley, il se rend dans la vaste demeure familiale, profondément enfouie dans la campagne portugaise, pour renouer avec ses racines.
Mais entre un frère jumeau étrange, entretenant avec sa mère une relation incestueuse, une matriarche pour le moins creepy, au visage déformé par la chirurgie esthétique, et un imposant manoir (portes grinçantes comprises) recelant un impensable secret, la quête d’origine d’Edward va doucement mais sûrement se transmuter en un monstrueux cauchemar freudien.
Comme un malaise qui rampe
Si Abrantes ne torpille pas allègrement le genre qu’il investit, c’est qu’il contient en lui suffisamment d’étrangeté et de dérèglement pour s’accorder au style incendiaire de son savant fou d’auteur. Ainsi, d’un canevas somme toute commun, qui emprunte sa formule à la folk horror (un couple de citadin·es piégé·es dans une maison de campagne qu’occupent de curieux énergumènes), le cinéaste tire un film d’horreur chimiquement pur (et donc parfaitement déviant) qui alterne entre humour noir et terreur brute.
D’abord distillée par petites touches, comme un malaise qui rampe, l’horreur finit par déflagrer dans une séquence finale, prodigieusement baroque, où l’on identifie le goût d’Abrantes pour les expérimentations génétiques bizarroïdes, passant de la body comedy, avec Diamantino, à une forme larvée de body horror, dans Amelia’s Children.
Avec ses élans formalistes (ici savamment contenus), sa ligne claire horrifique, sa madone au visage difforme, son manoir méridional, sa musique surlignante (composée par Abrantes himself) et sa fibre psychanalytique, Amelia’s Children ravive le flambeau d’un cinéma d’horreur méditerranéen patrimonial, dont Mario Bava et Dario Argento seraient les grands manitous, faisant flotter sur le film un doux charme rétro. Après l’ovni Diamantino, le franc-tireur Gabriel Abrantes confirme son aisance dans un genre (a priori) plus balisé, et affirme quelque chose comme une signature stylistique.
Amelia’s Children, de Gabriel Abrantes, avec Brigette Lundy-Paine, Carloto Cotta, Anabela Moreira. En salle le 31 janvier
Source link : https://www.lesinrocks.com/cinema/amelias-children-entre-humour-noir-et-terreur-brute-608122-30-01-2024/
Author : Léo Moser
Publish date : 2024-01-30 14:50:26
Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.