C’est une voix d’outre-tombe qui nous parle dès les premières pages d’On arrive dans la nuit. Marceline Loridan-Ivens, connue pour son franc-parler, ses convictions de gauche et son amitié avec Simone Veil, sa “sœur de camp”, s’est éteinte le 18 septembre 2018 à l’âge de 90 ans. Mais son témoignage, basé sur un entretien mené par Antoine Vitkine en 2005 pour la collection Mémoires de la Shoah de l’INA, paraît aujourd’hui chez Flammarion. Raconté à la première personne, le récit retrace son expérience dans le camp d’Auschwitz-Birkenau où elle a été déportée à l’âge de 15 ans. Dans le contexte d’une nouvelle montée de l’antisémitisme et alors que les voix de la plupart des survivant·es de la Shoah se sont éteintes, On arrive dans la nuit confirme la nécessité de faire entendre et réentendre la parole de celle qui était connue à Auschwitz pour sa formidable capacité à “raconter des histoires”.
Ce témoignage très oral ne se lit pas comme ses précédents textes autobiographiques (Ma vie balagan, Et tu n’es pas revenu…), mais participe de la même volonté de lutter contre ce que Marceline Loridan-Ivens nomme la “massification des déportés”. “Ce qu’il fallait, explique-t-elle, c’était que je montre que oui, nous avons souffert collectivement mais que chaque homme a ses propres souvenirs et que c’est l’ensemble… l’ensemble de tous ces souvenirs qui font l’Histoire…” Elle revient sur le voyage en train insoutenable d’Auschwitz à Bergen-Belsen, les coups portés par les kapos, la vision des “cadavres amoncelés sous la neige”.
Les passages les plus bouleversants sont certainement ceux dans lesquels elle revient sur sa décision de faire fiction de son expérience avec La Petite Prairie aux bouleaux, film pour lequel elle était retournée à Auschwitz au début des années 2000. “Je voulais aller vers l’intériorité, explique-t-elle, le dedans… Qu’est-ce que c’est […] d’avoir vécu cette horreur et les ondes de choc qui se répercutent jusqu’à la fin de la vie.” Son film, elle le sait, “n’a rien exorcisé”, mais il a permis aux autres de comprendre quelque chose de “ce mur de l’indicible, de cette impossibilité de la survivance”. On mesure, en la lisant, le sacrifice que fut pour elle de revenir à Auschwitz, dans ce lieu qu’elle admet n’avoir jamais réussi à quitter. C’est notre responsabilité, désormais, de continuer à la lire et de tenter de traverser avec elle le mur de l’indicible.
On arrive dans la nuit de Marceline Loridan-Ivens (Flammarion), 320 p., 21 €. En librairie.
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Author : Pauline Le Gall
Publish date : 2024-01-31 07:00:00
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