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The Last Dinner Party, du rock baroque qui frappe fort

The Last Dinner Party, du rock baroque qui frappe fort



Lorsque résonne le Prelude orchestral ouvrant le premier album de The Last Dinner Party, on pourrait croire qu’on a affaire à la bande-son d’un épisode de la série Wednesday – qu’on aime beaucoup, soit dit en passant. En tout cas, on ne visualise pas immédiatement un club londonien enfumé où des groupes de rock débraillés viendraient faire leurs armes depuis des décennies. Pourtant, les cinq musiciennes de The Last Dinner Party ont aussi écumé les scènes crasseuses des pubs, défendant un rock baroque que certain·es qualifient de fabriqué, car produit au cordeau et servi par une esthétique léchée comme celle du clip de Nothing Matters. Mais penserait-on la même chose d’un groupe masculin ?

“Typical girls stand by their man/Typical girls are really swell/Typical girls learn how to act shocked/Typical girls don’t rebel”, chantaient, à la fin des années 1970, les merveilleuses Slits, figures du punk féminin britannique qui portaient haut leur révolte et leur musique hybride. De cet héritage, les Last Dinner Party font bien ce qu’elles veulent. “On est dans la phase post-post-post-postpunk, non ?”, s’amuse la cérébrale Aurora Nishevci, claviériste du groupe. “Mais nous n’avons rien contre le fait d’être mainstream, ce qui est l’antithèse originelle du punk”, observe la chanteuse Abigail Morris.

Faire grincer les dents des pseudo-puristes

“Si on part du principe que le punk peut se manifester sans pulsions anarchistes ni vêtements déchirés, oui, on peut s’en considérer comme des descendantes… à notre manière”, analyse Georgia Davies, la bassiste. La guitariste Lizzie Mayland enchaîne : “Le look et l’ethos punk n’ont rien à voir. Au-delà du style iconique élaboré par les Sex Pistols et Vivienne Westwood, dont on adore le travail, il s’agit plutôt d’une attitude : être fidèle à ce que l’on pense et ne pas se plier aux conventions.”

D’abord, celles imposées par un machisme plus enclin à déceler l’authenticité chez la gent masculine. Dès les débuts de The Last Dinner Party, leurs costumes et la scintillance de leur production ont fait grincer les dents des pseudo-puristes. Sauf que la plupart des chansons sont imparables et que, dans la catégorie déguisements spectaculaires, Freddie Mercury ou David Bowie n’étaient pas en reste – le second étant la référence ultime des cinq musiciennes.

“Être étiquetées girls band, comme les hommes adorent le faire, cela nous dérange” Georgia Davies, bassiste

Elles partagent aussi une dévotion pour Courtney Love, qu’elles ont eu l’occasion de croiser. Live through This est leur disque de chevet, et elles adhèrent au “Girls to the front!” érigé par les Riot grrrls : en concert, rien ne leur fait plus plaisir que de voir des visages féminins dans la fosse. Le titre The Feminine Urge ne laisse guère de doute sur leurs convictions : “On ne peut nier notre traumatisme générationnel, explique Abigail Morris. On perd son innocence le jour où l’on voit sa mère, qu’on imaginait irrémédiablement solide et protectrice, vulnérable. Il y a de quoi s’interroger sur la maternité…”

“Dans cette industrie, ne pas être seule est crucial, commente Georgia Davies. Si quelque chose m’agace ou me blesse, j’en parle à mes camarades et elles me comprennent sans réserve. Nous sommes toutes là les unes pour les autres. Mais être étiquetées girls band, comme les hommes adorent le faire, cela nous dérange. On ne précise jamais lorsqu’un groupe est constitué de membres masculins. On a hâte de passer à une époque où le genre n’aura plus d’importance.”

Une histoire de hasards

Notre échange étant fluide et chaleureux, il n’a fallu qu’une poignée de minutes pour parler féminisme ; on essaie de reprendre leur histoire depuis le début. Éclatant de rire pour un rien, se prenant dans les bras, se charriant en se poussant du coude, Abigail Morris, Emily Roberts, Aurora Nishevci, Lizzie Mayland et Georgia Davies incarnent la vingtaine éclatante, elles dont le succès est survenu sans préavis. En 2018, Lizzie et Georgia étudiaient au King’s College la littérature et l’histoire de l’art – tels les Rolling Stones ou Pink Floyd en leur temps. Dès le premier soir sur le campus, c’est le coup de foudre amical. Quelques jours plus tard, Georgia rencontre Abigail “au pub en bas de la rue”.

Devenues inséparables, elles se laissent porter par l’effervescence londonienne, squattent le Windmill pour écouter des groupes de rock ou d’indie pop. “Ces concerts nous ont donné envie d’en être, et quand nous avons décidé de créer notre propre groupe, nous avons réalisé que nous avions besoin d’autres musiciennes, poursuit Georgia Davies. Nous sommes donc allées faire la cour à Aurora et Emily.” Lesquelles suivent des cours de composition et de guitare jazz au conservatoire.

Hormis Abigail, qui rêve depuis sa tendre enfance d’être chanteuse, aucune d’entre elles n’envisageait de se lancer dans un groupe. Emily était ravie de jouer dans des comédies musicales du West End et Georgia passait d’une formation à une autre, surtout pour se défouler sur ses cordes. Leur premier concert, elles le donnent à l’automne 2021 au George Tavern, dans l’East End, “devant à peu près 15 personnes… qui, évidemment, étaient toutes des amies proches”, précise Lizzie, ajoutant : “Depuis, chaque performance est cathartique jusqu’à la moelle.”

Abigail danse et se mêle au public, Emily balance d’ébouriffants solos de guitare, Aurora domine ses claviers, Lizzie tient la guitare rythmique et Georgia le groove de sa basse. Quant à l’assistance, elle fait partie du spectacle, s’appropriant le look étudié des cinq musiciennes. “Nous adorons nous habiller pour la scène, glisse Lizzie. Le fait même de nous changer dans les loges instaure un rituel qui nous soude plus encore quand nous jouons.”

La première partie des Stones, le prochain album

Ce qui tape dans l’œil d’Island Records, qui les signe et explique la montée du buzz. En juillet 2022, elles ouvrent le concert des Stones à Hyde Park. “C’était dinguissime… Mick Jagger est mon père, rigole Abigail Morris. On a les mêmes cheveux, regarde !” Majeur levé, et avec le sourire, à celles et ceux qui les ont accusées, à tort, d’être des nepo babies placées en major. “Passer d’une salle remplie de 150 personnes à la scène de Hyde Park, c’est un peu déstabilisant. On a pourtant joué, portées par cet insurmontable défi : conquérir une foule qui attendait bien plus grand que nous.”

Dans leurs corsets victoriens et leurs atours en panne de velours, Abigail, Emily, Aurora, Lizzie et Georgia savent tâter d’un rock solide, multiréférentiel, du glam rock à la new wave via des envolées à la Sparks. En témoignent Caesar on a TV Screen, Sinner, ou l’ouverture de The Feminine Urge, (volontairement) calquée sur celle de Just like Honey de The Jesus and Mary Chain. Après ce premier album mélodramatique et fier de l’être, elles ne comptent pas continuer dans cette veine.

“Le prochain album sera très différent, affirme Abigail. Être enfermées dans une seule case ne nous intéresse pas, et le public encore moins, il me semble.” Même s’il suffit que résonnent les premières mesures de Nothing Matters, leur tube inaugural, pour que l’assemblée hurle de joie, reprenant en chœur : “And you can hold me like he held her/And I will fuck you like nothing matters.” À chaque première partie – Florence & the Machine, Hozier ou Lana Del Rey –, la formule magique fait mouche.

The Last Dinner Party a concocté Prelude to Ecstasy dans l’Est londonien, dans le studio The Church, fondé par Dave Stewart et appartenant désormais à Paul Epworth. “On a enregistré ensemble dans la même pièce, et il n’y a pas eu besoin de faire grand-chose pour que le son soit luxuriant”, se souvient Georgia.

Cette vieille église était le lieu idéal pour des morceaux façonnés par le producteur du disque, James Ford, déjà à la manœuvre pour Arctic Monkeys, Blur ou Depeche Mode. Se chargeant également de la batterie, il a instinctivement saisi le potentiel de ce rock opératique : “Sans mansplaining et avec une immense bienveillance, il nous a encouragées à suivre notre fantasme : condenser notre énergie live en un son plus ample et cinématographique.”

“Inviter Oscar Wilde, Virginia Woolf, Prince, David Bowie à un grand dîner débauché”

Entre deux sessions, les musiciennes bouquinent. Abigail est une fan de Cormac McCarthy ; Aurora aime l’écriture aussi poétique que politique de l’écrivain albanais Ismaïl Kadaré ; Georgia lit Guerre et Paix de Tolstoï : “Des mélos dignes de la télé-réalité des Kardashian à la sauce russe, je me suis rarement autant amusée.” En première place dans leur cœur : l’auteur du Portrait de Dorian Gray et du désespéré De Profundis, le roi de la punchline Oscar Wilde. C’est en pensant à lui que le nom de leur groupe est né, The Dinner Party. “Nous voulions incarner ce sentiment de décadence et d’indulgence envers les plaisirs interdits, inviter Wilde, Virginia Woolf, Prince, David Bowie à un grand dîner débauché.”

Or, The Dinner Party étant déjà pris outre-Atlantique, les musiciennes ont changé leurs plans. Pourquoi pas The Last Dinner Party, référence aussi biblique que théâtrale ? “On aime tellement la tragédie, cela aurait été dommage de s’en priver”, sourit Aurora. Elles apprécient aussi le double sens du mot “extase” que l’on retrouve dans la foi et la sexualité.

D’où le prometteur titre de l’album, Prelude to Ecstasy, notamment servi par le titre My Lady of Mercy, dont l’esthétique balance entre un Like a Prayer 2.0 et l’érotisme mystique des sculptures du Bernin. “L’album expose nos émotions, aussi extrêmes soient-elles, conclut Abigail. L’euphorie pure comme un profond chagrin peuvent nous plonger dans un état extatique… Notre musique en est le meilleur catalyseur.”

Prelude to Ecstasy (Island/Virgin Music France/Universal). Sortie le 2 février. En concert à La Maroquinerie, Paris, le 20 février.



Source link : https://www.lesinrocks.com/musique/the-last-dinner-party-du-rock-baroque-qui-frappe-fort-605626-31-01-2024/

Author : Sophie Rosemont

Publish date : 2024-01-31 15:53:59

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