Un quadra en plein divorce se trouve lié à une étrange jeune femme dont l’époux vient de décéder au cours de leur lune de miel. Un médecin âgé et veuf se sent plein d’une empathie inexpliquée pour une nouvelle interne, ce qui va lui attirer quelques problèmes. Une femme perd son mari au cours d’une anodine promenade, ne le retrouve pas et cherche dans son passé une raison à sa disparition.
En trois nouvelles réunies dans Turbulences, le grand romancier israélien Eshkol Nevo explore une multitude de facettes constituant la vie de tout être humain – la sexualité, le rapport à la paternité ou à la maternité, le lien entretenu, adulte, avec ses parents, la place d’un métier dans une vie, la relation aux autres en général, jusqu’à la fluidité de genre – et met en évidence une thématique déjà abordée dans ses précédents romans : on ne connaît jamais vraiment la personne dont on est amoureux·se.
En toile de fond de ces trois histoires, Nevo distille quelques détails sur la société israélienne d’aujourd’hui décrite comme multiculturelle, avec des personnages émigrés d’Argentine ou descendants d’exils divers, une nouvelle génération qui, elle, s’exile un temps à Montréal ou Londres, des ouvriers thaïlandais vivant en marge des agglomérations.
L’auteur, qui par le passé a pris position contre Netanyahou, suggère aussi la violence subie et tue par les jeunes gens au cours du service militaire obligatoire, décrit les fractures qui divisent son pays entre religieux·ses et laïc·ques, entre l’engagement et l’absence de conscience politique. Mais il le fait en regardant les conséquences de ces phénomènes collectifs sur la vie intime de ses protagonistes.
Ce qui frappe avant tout, c’est la construction parfaite du triptyque, chaque nouvelle apparaissant dans les deux autres dans une infime séquence, et l’auteur tissant avec subtilité des correspondances entre elles. On est frappé·e par sa maîtrise narrative, car Nevo a conçu ses récits comme de minuscules thrillers, installant une réalité qui se fissure dès les premières lignes, insufflant chez ses lecteur·rices le pressentiment que quelque chose de grave va être mis au jour. Bien sûr, ce nouveau livre rappelle exactement son précédent Trois Étages (2018), adapté au cinéma par Nanni Moretti, composé par les monologues de trois personnages vivant dans un même immeuble à Tel-Aviv.
Mais, tout comme dans La Dernière Interview (2020), le véritable sujet de Nevo est sans doute l’écriture elle-même, et la relation que nous entretenons, par son intermédiaire, avec la fiction. Dans les trois nouvelles, les personnages écrivent : l’un rédige un rapport pour son avocat, l’autre son témoignage pour une commissaire de police, et tous·tes deux s’interrogent sur la réalité de ce qu’il·elles racontent. Un troisième personnage écrit des textes de fiction sous pseudo dans un blog, que lisent avidement ses proches pour tenter de percer ses mystères, et deux autres échangent des citations issues d’un roman – parce qu’elles traduiraient au mieux la réalité de ce qu’il·elles vivent.
Turbulences d’Eshkol Nevo (Gallimard), traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, 259 p., 21 €. En librairie le 1er février.
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Author : Sylvie Tanette
Publish date : 2024-02-03 07:00:00
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