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Italie : le pont de Messine ou la folie des grandeurs de Matteo Salvini

Le vice-Premier ministre italien Matteo Salvini lors d'une convention des dirigeants du groupe Identité et démocratie (ID) au Parlement européen, le 3 décembre 2023 à Florence




Les Romains de l’Antiquité en rêvaient, Matteo Salvini le fera. Le ministre italien des Transports promet d’inaugurer le chantier du pont sur le détroit de Messine à l’été 2024.Fantasmé depuis deux millénaires, ce projet refait régulièrement surface dans le débat public de la péninsule depuis quatre décennies. Il est devenu l’obsession de Matteo Salvini, saisi d’un rêve de grandeur inversement proportionnel à l’étroit espace qui doit être comblé : un peu plus de 3 kilomètres séparant la pointe de la Botte, en Calabre, à la Sicile. “Il ne s’agit pas d’une simple infrastructure sicilienne ou calabraise”, ce pont“peut et doit être un joyau au niveau planétaire”, s’enorgueillit celui quia décidé de l’inscrire dans la liste des ouvrages prioritaires de l’Italie dans le cadre du réseau transeuropéen de transports voulu par l’Union européenne.Le ministre de l’Economie, Giancarlo Giorgetti, a déclaré que l’Etat investirait près de 12 milliards d’euros dans ce pont, avec un premier versement de 780 millions dès cette année. Une enveloppe qui a triplé depuis le devis initial établi il y a près d’une vingtaine d’années. Alors que la première pierre n’a toujours pas été posée, le gouvernement de Giorgia Meloni balaie d’un revers les craintes d’une explosion des coûts traditionnellement liés aux délais bibliques des grands travaux dans le pays. On ne lésine pas sur les moyens lorsqu’il s’agit de bâtir le plus grand pont suspendu au monde, avec une portée de 3,3 kilomètres, qui battrait le record actuel de 2,02 kilomètres du pont de Canakkale, en Turquie.Il n’y a pas que les coûts du chantier qui donnent le vertige. Surplombant les flots à 74 mètres de hauteur, d’une largeur de 60 mètres et d’un poids de près de 70 000 tonnes, l’ouvrage abritera huit voies autoroutières, dont deux pour les urgences, et plusieurs lignes ferroviaires. Chaque heure, 6 000 voitures et camions pourront le traverser, et 200 trains l’emprunteront quotidiennement.L’Italie première bénéficiaire du plan de relance européenL’eurosceptique Matteo Salvini pourra en partie remercier la générosité des “technocrates francs-maçons de Bruxelles” qu’il fustige à presque chacune de ses interventions publiques à quelques mois des élections européennes. Avec 191,5 milliards d’euros, l’Italie est la principale bénéficiaire du plan de relance européen. La moitié des ressources de son Plan national pour la reprise et la résilience, de plus de 200 milliards d’euros, est consacrée au secteur des BTP, principal levier de la croissance italienne.Webuild, la société qui sera chargée des travaux du pont sur le détroit de Messine, assure que la seule phase de construction contribuerait à hauteur de 2,9 milliards d’euros au PIB transalpin et emploierait 100 000 personnes et 300 fournisseurs. Ses détracteurs rappellent surtout que “ce projet pharaonique qui n’est pas indispensable va empêcher la réalisation de chantiers plus facilement réalisables et essentiels”. Il sera ainsi possible de se rendre du continent en Sicile en moins d’une demi-heure, mais en l’absence de réseaux routiers et ferroviaires modernes, il faudra toujours six heures pour parcourir les 200 kilomètres qui séparent Palerme de Catane.Un paradoxe pour la LigueAuditionnés en décembre par la commission parlementaire chargée du budget, les représentants de l’Association nationale des constructeurs en bâtiments (Ance) ont tenté de calmer les ardeurs de Matteo Salvini. Plus des trois quarts des investissements pour les infrastructures italiennes prévus ces prochaines années seront consacrés au pont sur le détroit de Messine. Des travaux nécessaires, aussi bien au nord qu’au sud du pays, risquent de rester à l’arrêt ou d’être abandonnés. Un véritable paradoxe pour la Ligue de Matteo Salvini, qui promettait de remettre en marche une nation paralysée et a toujours dénoncé par le passé la gabegie que représenterait ce projet qualifié de “cathédrale dans le désert”. Ses opposants sont nombreux, mais à chacune de leur objection ils essuient l’ironie du ministre.Quid de la zone maritime protégée au milieu de laquelle sera érigé le pont ? “Il passera au-dessus” rétorque Matteo Salvini. Les perturbations pour les centaines de milliers d’oiseaux migrateurs entre l’Afrique et l’Europe ? “Ils prendront un autre chemin”, répond celui qui ne se laisse pas même troubler par l’inquiétude des géologues. Cette zone est hautement sismique et un tremblement de terre dévastateur est redouté ces prochaines décennies. “Le pont sera prêt à affronter un séisme de magnitude 7,5”, s’agace le dirigeant d’extrême droite. La menace mafieuse qui plane sur un chantier reliant le fief de la Cosa Nostra sicilienne à celui de la ‘Ndrangheta calabraise ne provoque chez lui qu’un haussement d’épaules. “Je n’ai pas peur des infiltrations criminelles, se vante l’ancien ministre de l’Intérieur. Il y aura des organes de contrôle – sur lesquels nous travaillons déjà – pour chaque euro investi sur le pont.”Reste la question des délais d’un chantier qui devrait durer – si tout se passe bien – six ans. Federica Brancaccio, la présidente de l’Ance, répète que la priorité doit demeurer la mise en œuvre du plan de relance européen qui accuse déjà des “retards irrattrapables”, de l’aveu même du gouvernement Meloni. “Nous sommes inquiets, a-t-elle déclaré. Nous ne devons pas rater cette grande opportunité de devenir un pays moderne. Au moins un quart du personnel dans les administrations locales a disparu ces dernières années.”La Cour des comptes italienne confirme elle aussi ses sérieux doutes sur le respect des échéances. “Il faut rester attentif à la difficulté de recrutement de personnel qualifié pour mener à terme les chantiers qui ont été lancés”, s’alarmaient récemment les magistrats financiers dans un rapport sur l’avancement du plan de relance. Ils soulignaient également les retards provoqués par le manque de concertation entre les différentes administrations impliquées. “Il convient de les renforcer, notamment avec des techniciens préparés pour surmonter les importantes difficultés à dépenser les ressources allouées et effectuer des contrôles efficaces”, insistait la Cour des comptes. Le rêve de grandeur de Matteo Salvini pourrait bien se révéler un cauchemar pour l’Italie.



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Publish date : 2024-02-03 06:00:00

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