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Présidentielle annulée au Sénégal : “C’est un dangereux précédent”

Le président sénégalais Macky Sall, le 27 janvier 2020 à Berlin




Le couperet est tombé ce samedi 3 février : il n’y aura pas d’élection présidentielle au Sénégal le 25 février prochain. Dans une allocution télévisée très rapide, le président Macky Sall a déclaré avoir abrogé son décret fixant la date de l’élection. Sa déclaration intervient à quelques heures à peine avant l’ouverture officielle de la campagne électorale pour le scrutin présidentiel, pour lequel devaient concourir vingt candidats.”J’engagerai un dialogue national ouvert, afin de réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive”, a fait savoir Macky Sall, sans toutefois donner de date. Ces derniers jours, le débat quant à un report du scrutin s’était amplifié au sein des différentes assemblées politiques du pays. Une large partie de l’opposition s’était toutefois positionnée contre, accusant une manœuvre du pouvoir pour gagner du temps alors qu’il craindrait de perdre.Jusqu’ici, le processus électoral engagé était inédit et son résultat très incertain, avec 20 candidats engagés dans la course pour le premier tour. Fin janvier, le Conseil constitutionnel avait exclu du scrutin des dizaines de prétendants. Parmi eux, deux ténors de l’opposition : le candidat antisystème Ousmane Sonko, en prison depuis juillet 2023 – notamment pour appel à l’insurrection et disqualifié par le Conseil à la suite d’une condamnation pour diffamation dans un dossier distinct – et Karim Wade, ministre et fils de l’ex-président Abdoulaye Wade (2000-2012), qui a trop tardé à renoncer à sa double nationalité française.Pour L’Express, Babacar Ndiaye, politologue directeur de recherche et de publication du think tank Wathi, basé à Dakar, au Sénégal, analyse les tenants et les aboutissants de cette annonce inédite.L’Express : Quelles raisons ont poussé Macky Sall à annoncer le report des élections 20 jours avant le scrutin ?Babacar Ndiaye : La prise de parole du Président a été très brève, à peine trois minutes. Il a déclaré avoir “signé le décret du 3 février 2024 abrogeant le décret du 26 novembre 2023 fixant la présidentielle au 25 février 2024”. Pour l’instant, cela signifie que l’élection prévue est tout simplement annulée. Il n’est pas encore question d’un report.Quant à ce qui justifie sa décision, Macky Sall a évoqué une crise entre le Parlement sénégalais et le Conseil constitutionnel (organe qui valide les candidatures éligibles aux élections, NDLR). Et pour cause : une commission d’enquête a été ouverte il y a deux jours par l’Assemblée nationale pour faire la lumière sur une supposée corruption de deux juges du Conseil constitutionnel concernant la question de l’inéligibilité de certains candidats. Cette commission d’enquête a été initiée par des députés d’un parti d’opposition, le PDS (parti démocratique sénégalais), dont le candidat Karim Wade, fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, n’a pas été validé parce qu’il n’a pas renoncé à sa nationalité française à temps (dans la loi sénégalaise, un candidat à l’élection présidentielle ne peut être binational, NDLR).Est-ce une raison valable pour annuler l’élection d’après vous ?Nous étions à quelques heures de la campagne officielle, qui devait débuter à minuit. En une fraction de seconde, tout le processus s’est arrêté. Y a-t-il vraiment une crise entre les deux institutions que sont le Conseil constitutionnel et le Parlement ? Seul l’avenir nous le dira. L’un des deux juges accusés du Conseil Constitutionnel a porté plainte pour diffamation.En tout cas, cette décision est retentissante. Le président a par ailleurs annoncé la mise en place d’un dialogue national pour réunir les conditions d’une élection libre, transparente et inclusive. Ces dernières années, nous avons connu divers “dialogues nationaux”. Mais pour quels résultats ?Cette décision peut-elle cacher des velléités politiques de la part du pouvoir en place ?Le parti à l’origine de cette commission d’enquête évoqué par le président Macky Sall est le PDS de Karim Wade. Ils trouvent un intérêt certain dans ce report de l’élection puisque cela leur permettrait de revenir dans le jeu. Toutefois, des députés de la mouvance présidentielle ont aidé à mettre en place cette commission d’enquête alors que leur candidat, l’actuel Premier ministre Amadou Ba, est accusé d’être le corrupteur du Conseil Constitutionnel.Ces derniers jours, on a aussi vu des proches de Macky Sall et des ministres du gouvernement dire qu’ils étaient en faveur d’un report de la présidentielle d’au moins six mois. Qu’est-ce que la majorité présidentielle gagne à reporter l’élection ? Si l’on suit la logique des partis de l’opposition, les chances de son candidat diminueraient et elle chercherait donc à gagner du temps. Il y a une réelle difficulté à expliquer pourquoi le parti présidentiel, dont le candidat est accusé de corruption, a aidé à mettre en place la commission d’enquête.Depuis 1963, jamais une élection présidentielle au suffrage universel direct n’a été reportée. Cela ouvre la voie à une période d’incertitudes…C’est un dangereux précédent. Le Sénégal a toujours été vu comme un modèle démocratique dans une région où demeurent de nombreuses instabilités. Les Sénégalais, pour le prouver, revendiquent cette phrase mythique : “l’élection présidentielle se tient toujours à date échue”. Aujourd’hui, Macky Sall y a mis un terme. L’avenir est très incertain. Que vont faire les oppositions ? Que va faire le peuple sénégalais ? Je crois que nous ne sommes pas à l’abri de mouvements de contestation.Nous sommes dans une séquence politique inédite au Sénégal, avec des conséquences que l’on verra dans les heures et jours à venir. Tout est possible. Au fond, après les manifestations meurtrières de juin 2023, les gens se disaient qu’ils allaient régler les choses dans les urnes. Mais, aujourd’hui, il n’y a plus d’élections, et le mandat de Macky Sall se termine officiellement le 2 avril 2024.



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Author : Célia Cuordifede

Publish date : 2024-02-03 18:13:46

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Tags :L’Express

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