Tout avait commencé par une bagarre d’ivrognes, en 1952, lors d’une réception diplomatique à Djeddah. Un prince saoudien de 19 ans se voit refuser un ultime verre par son hôte, le vice-consul britannique. Déjà ivre, le jeune homme sort son arme et tue le diplomate de plusieurs balles dans le corps. Il sera emprisonné à vie. Embarrassé, le roi Ibn Saoud, fondateur du royaume et protecteur des lieux saints de l’Islam, prend une décision radicale : il interdit la consommation d’alcool sur l’ensemble du territoire saoudien, sans exception.Depuis 72 ans, l’Arabie saoudite reste le seul pays au monde, avec l’Iran, à respecter cette stricte prohibition, à laquelle se plient même les hôtels de luxe et les quartiers réservés aux Occidentaux. Des peines de prison, de fortes amendes et la possibilité d’être fouetté en public dissuadent les contrevenants potentiels, quand les étrangers risquent l’expulsion. “On s’y fait, évidemment, mais un tel interdit pèse sur le quotidien quand vous arrivez tout juste d’Europe”, explique un expatrié français, qui confie que le seul endroit où boire un verre à Riyad reste l’ambassade de France. Souvent, on le lève à la valise diplomatique…Un impératif pour le tourisme de luxeEn ce début d’année, le prince héritier Mohammed ben Salmane (alias MBS) ouvre une brèche dans la prohibition décidée par son grand-père : d’après Reuters, un premier magasin d’alcool va ouvrir ses portes à Riyad dans les semaines qui viennent, au sein du quartier diplomatique. La vente sera strictement encadrée, réservée aux non-musulmans, lesquels devront s’inscrire sur une application pour mobiles, recevoir un code de l’administration et respecter un quota mensuel. “Le gouvernement saoudien accélère les changements sociétaux, mais il essaye de ne pas brusquer la population, remarque Robert Mogielnicki, chercheur à l’Arab Gulf States Institute de Washington. Les autorités vont autoriser l’alcool à petits pas, d’abord dans un magasin très encadré, puis sans doute sur une ligne aérienne et dans un aéroport, avant de le laisser servir dans des hôtels de luxe ou une zone touristique spécifique.”La fin de la prohibition correspond à la volonté de MBS, depuis 2016, de moderniser sa société, avec davantage de droits pour les femmes, l’ouverture de cinémas, le droit d’écouter de la musique en public ou celui de ne pas porter le voile. Surtout, pour préparer l’après-pétrole, le jeune prince autoritaire mise sur le tourisme, dans lequel le royaume investit 1 000 milliards de dollars pour les dix prochaines années. Riyad construit des sites touristiques hors normes au bord de la mer Rouge ou dans le désert, notamment à AlUla avec l’aide de la France, visant un public aisé.Dès lors, l’interdiction de l’alcool apparaît comme un des freins à l’essor de ce tourisme de luxe. “Les ultra-riches n’ont pas l’habitude des interdits, alors imaginez l’effet lorsqu’on leur refuse une bière ou un verre de vin…”, nous résumait un cadre du secteur l’automne dernier. “Pour l’instant, le tourisme saoudien reste très lié au secteur religieux, aux pèlerinages à La Mecque, donc l’alcool n’a aucune influence sur ces visiteurs, indique Robert Mogielnicki. Cette ouverture sociétale aura des conséquences majeures pour le développement du tourisme de luxe, sur lequel les autorités travaillent d’arrache-pied.” Jusqu’à présent, ces touristes privilégiés doivent se contenter de la bière locale – la Moussi, pleine de saveur mais sans alcool – pour accompagner les couchers de soleil dans le désert saoudien.Si la société change vite, sous l’impulsion d’une jeunesse ultra-connectée et avide des libertés occidentales, une partie de la population saoudienne reste ancrée dans les croyances religieuses et les traditions. Malgré sa main de fer, MBS doit encore prendre en compte les plus conservateurs ainsi que les autorités islamiques. L’alcool reste, avec l’homosexualité, un grand tabou sociétal dans le royaume et plusieurs voix ont exprimé leur inquiétude face à la fin de la prohibition. MBS devrait toutefois aller de l’avant, sur ce sujet comme sur le reste. “La réalité est que de nombreux Saoudiens, sans diplôme ni formation, ont besoin des emplois qui se développent dans l’industrie du tourisme, souligne Robert Mogielnicki. Le gouvernement en a conscience. Même si ce genre de décisions va forcément énerver la partie la plus traditionnelle de la population, les concessions faites aux touristes, comme la fin de l’interdiction de l’alcool, vont se multiplier.”D’autant que l’Arabie saoudite vient de remporter l’organisation de la Coupe du monde de football 2034, et qu’il ne faudrait pas que les supporters anglais aient soif…
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Author : Corentin Pennarguear
Publish date : 2024-02-05 14:40:45
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