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Orientalisme : quand la mode fait enfin sa relecture critique

Orientalisme : quand la mode fait enfin sa relecture critique



Veste tailoring noire aux épaules anguleuses surmontée d’un voile épousant délicatement les contours du corps : cette relecture audacieuse du costume masculin, rigide mais fusionnant avec des tissus légers, a été portée par Bilel Ben Ahmed. En mars dernier, ce mannequin et étudiant en droit aux boucles brunes dénonçait dans le magazine en ligne Ancré les discriminations raciales vécues par les modèles arabes et maghrébin·es, amplifiant ainsi les prises de parole de la mannequin d’origine marocaine Salwa Rajaa, dont une vidéo était devenue virale.
Ici, Bilel Ben Ahmed ouvre le second défilé printemps-été 2024 du designer franco-turc Burc Akyol, demi-finaliste du prestigieux prix LVMH 2023. Au premier rang, Noah Cyrus ou Bilal Hassani découvrent ses caftans transparents, ses combinaisons en dentelle dignes des tapis rouges et ses vestes aux larges épaules inspirées des manteaux sans boutons des bergers turcs, les kepenek. Avec ses collections genderfluid à la sophistication rare, entremêlant couture française et codes orientaux, Akyol se distingue et cite ses racines turques tout en déjouant le stéréotype d’un vêtement oriental encore associé, selon lui, au “maximalisme et à la langueur”.
“Nous devons être représentés sans être réduits à des clichés.” Burc Akyol
“L’Orient peut être minimaliste et puriste. Tout n’est pas oisiveté et indolence”, souligne-t-il, avant d’ajouter : “Mon ambition réside dans la représentation. Il s’agit de déconstruire les tropes tels que la ‘Saoudienne’, la ‘beurette’, la ‘turquerie’. Nous devons être représentés sans être réduits à des clichés, nous devons pouvoir apprécier l’or et l’ornement sans être regardés avec dédain, car c’est malheureusement trop souvent le cas.”
À l’image d’Akyol et de sa mode mixée, de jeunes créateur·rices puisent dans leurs origines et déconstruisent les imaginaires sur l’Orient : Serhat Işik et Benjamin A. Huseby derrière GmbH mixent codes techno, tailoring et tuniques sur lesquelles sont imprimés des poèmes calligraphiés en arabe mêlant profane et sacré. De son côté, Cynthia Merhej, originaire de la banlieue de Beyrouth, réinvente le sarouel et détourne les jupes bouffantes des princesses persanes pour son label Renaissance Renaissance, fondé en 2016.
Si le mouvement trouve lentement un écho, il se heurte toujours à une histoire de la mode eurocentrée, écrite à la gloire de la couture parisienne et excluant tout autre récit, comme le dénonçait déjà en 1992 la chercheuse Jennifer Craik dans son ouvrage The Face of Fashion. Khémaïs Ben Lakhdar, doctorant en histoire de l’art à la Sorbonne, va plus loin en questionnant dans sa thèse aussi bien l’orientalisme de la haute couture parisienne au tournant du XXe siècle que la pratique orientalisante qui perdure aujourd’hui, notamment à cause de la nature cyclique de la mode.
Par ailleurs, le chercheur note que l’orientalisme est profondément enraciné dans la construction des collections des couturier·ères. “Encore aujourd’hui, de nombreux designers textile acquièrent des tissus orientaux et les retravaillent en studio, perpétuant ainsi un continuum artistique qui justifie également le processus d’appropriation culturelle, permettant au monde occidental de maintenir son hégémonie”, explique-t-il. Mais, pour lui, l’émergence de nouveaux·elles créateur·rices, les prises de parole dans le mannequinat ainsi que l’ouverture des études universitaires à ces thèmes sont autant de dynamiques de contre-pouvoir qui peuvent détricoter des récits désormais datés.



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Author : Manon Renault

Publish date : 2024-02-09 18:00:00

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