*.*.*
close

Robert Badinter, ou la passion de la justice

L'ancien ministre de la Justice Robert Badinter dans son bureau à Paris, le 19 avril 2018




D’abord, il était yeux et sourcils. Ensuite, il était voix. Entrer dans une pièce où Robert Badinter se trouvait, c’était comprendre immédiatement que l’homme allait vous impressionner. C’est-à-dire : frapper votre imagination. Il recevait dans son grand bureau, ceint de bibliothèques, où les livres cohabitent avec les bibelots, les tableaux, les photos, et les documents encadrés… Long et mince, l’homme semblait déjà à hauteur de légende. Le verbe alerte, malgré le grand âge. Toujours partant pour expliquer le sens des objets posés sur ces étagères de bois sombre, dévoilant ici une trace son histoire, là, un ressort de son inspiration.”La vieillesse est un naufrage, mais, pour moi, l’eau s‘est heureusement arrêtée là : j’ai gardé une très bonne mémoire !” nous avait dit, guilleret, le grand avocat, un jour de 2021 où il nous accueillait pour un entretien. Nos yeux ne pouvaient s’empêcher de vouloir tout voir, et nos oreilles, de se faire tout expliquer. Ce parchemin, par exemple. “Je n’ai jamais voulu de décoration. De tout ce que j’ai reçu, le plus émouvant, pour moi, est peut-être ce parchemin. En 1981, j’avais dit à mes étudiants à qui j’enseignais à la fac de droit : ‘’Quand j’aurai fini d’être ministre, je reviendrai enseigner, et je vous rendrai compte. Je vous montrerai que j’ai tenu les mêmes discours et fait les mêmes actions une fois au gouvernement”. J’y suis retourné juste avant de quitter mon ministère. C’était dans le grand amphithéâtre de Paris-I, à Alésia. Il y avait là 200 étudiants, qui m’ont acclamé pendant dix minutes. Et ils ont signé ce parchemin. Il est écrit : ‘’merci, monsieur Badinter.” C’est un de mes meilleurs souvenirs au monde.”Peu de ministres auront autant marqué la récente histoire de France. Robert Badinter, silhouette frêle et homme d’Etat, est la voix de l’abolition de la peine de mort, avec discours mythologique à l’Assemblée nationale. On lui doit aussi – excusez du peu – la dépénalisation de l’homosexualité (1982). Et – moins connu – l’indemnisation des victimes de la route (1985). “Je vous ferai remarquer, au reste, que c’est la seule qui s’appelle la loi Badinter !”La justice était sa passion. Son tourment. Il la voulait pour les innocents, les victimes, mais aussi pour les salauds. L’avocat – il fut, au reste, celui de L’Express pendant vingt ans – était de ceux qui ne s’arrangent jamais des accrocs. De ceux qui pensent que tricher avec les principes nous affaiblit, toujours. Il nourrissait sa passion à la source de la culture française. Qu’il chérissait. La Révolution. Les droits de l’homme. Condorcet. Victor Hugo. Emile Zola. Bien en valeur dans l’une de ses bibliothèques, figurait, justement, le “J’accuse” original. Celui de L’Aurore, de janvier 1898, où l’illustre moustachu pourfendait “l’abominable affaire Dreyfus”, “souillure sur la joue de la France”. “Cet original, je l’ai traqué longtemps”, nous avait confié Robert Badinter de sa voix grave qui remue les pierres. C’était lors de notre dernière entrevue, en avril 2023.Grand laïque, grand universalisteAutre étagère, autre objet. Deux vieilles cuillères oxydées. “Ah ! Celles-là, je les ai rapportées d’un voyage en Pologne dans les années 1950. Alors que je visitais le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, mon pied a buté sur l’une d’entre elles. Et le conservateur du musée du camp, qui m’accompagnait, m’a dit cette phrase terrible : ‘Prenez-les, on en a tant.'” Robert Badinter disait ne plus avoir jamais regardé les cuillères comme avant. “C’est l’instrument de l’humanité. Ce qui nous permet de ne pas laper comme des animaux.”Les camps furent, notamment, le tombeau de son père, de son oncle, et d’une de ses grands-mères. Jeune adolescent au début la guerre, lui fut sauvé par la grâce d’un fonctionnaire de police, qui lui fournit de faux papiers, ainsi qu’à son frère, et à sa mère. Tous trois furent cachés et abrités, jusqu’à la fin de la guerre, dans le village savoyard de Cognin. Lui, qui, à l’époque, “ne comprenait même pas ce que ça voulait dire “être juif'”, a-t-il confié au Monde, en 2018. Ça fait partie de mon être. Je suis français, français juif, c’est indissociable. Ce n’est pas un mot, c’est une réalité vécue”. Grand laïque, grand universaliste, Robert Badinter n’épousa jamais la pente multiculturaliste et communautariste de la nouvelle gauche, qui le désolait.Dernier objet, dont on parlera peu, tant on sait le couple discret et allergique à toute intrusion personnelle : une photo d’Elisabeth Badinter, son épouse, à ses côtés, lors d’une visite au Vatican. “Vous savez, Elisabeth a tant de courage. Et c’est une grande intellectuelle”, nous avait-il glissé, avec la fierté d’un jeune amoureux.Robert Badinter était un grand serviteur de l’Etat. Avec le temps et le recul, le ministre un temps haï par ses adversaires avait acquis au fil des années le statut d’icône inattaquable. Et c’était mérité. Et c’était tant mieux. Un grand homme s’est éteint. Il nous en reste si peu.



Source link : https://www.lexpress.fr/societe/robert-badinter-ou-la-passion-de-la-justice-DUY5ZL4SQJFG7BNB6QICZSKNOQ/

Author : Anne Rosencher

Publish date : 2024-02-09 17:20:44

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags :L’Express

..........................%%%...*...........................................$$$$$$$$$$$$$$$$$$$$--------------------.....