Il a été un crush absolu, générationnel, mais aussi très singulier, loin des cases habituelles du beau gosse. Il a suffi que Phoebe Waller-Bridge, la créatrice inspirée de la série britannique Fleabag, fasse appel à lui pour jouer un curé dans la deuxième saison de son chef-d’œuvre. C’était il y a cinq ans. Andrew Scott incarnait l’alliance débordante de la chair et du spirituel, éclairait l’incapacité de Fleabag à désirer ce qu’elle pouvait réellement obtenir. Cet homme qu’elle voulait tant préférait Dieu.
Durant six épisodes mémorables, elle et lui se tournaient autour, littéralement consumé·es, détricotant les codes de la comédie romantique. Le monde appelait ce joli mec en soutane le “hot priest”. Nous voilà dans un hôtel de Londres face à celui qui l’a interprété, pour évoquer le nouveau et magnifique film d’Andrew Haigh, Sans jamais nous connaître, qui met en scène une autre passion – entre deux hommes, mais aussi entre un garçon et ses parents.
Fleabag, malgré tout, n’est jamais très loin. Andrew Scott, 47 ans aujourd’hui, revient sur ce moment de sa carrière qui lui colle à la peau. “Tout a explosé en ligne au moment de la diffusion, raconte-t-il. Si j’avais eu le sentiment que la vérité de ce personnage consistait à être ‘hot’, j’aurais eu des doutes sur le projet. Sauf que dans les scénarios de Fleabag, le personnage ne s’appelait évidemment pas ‘hot priest’ : Phoebe Waller-Bridge n’a jamais employé cette expression. Et c’est normal. Personne n’aurait parlé d’une ‘hot nun’, surtout si le scénariste avait été un homme. Cela aurait été louche !”
Comme dans un rêve
Sa nuque “magnifique” dont parlait celle qui était amoureuse de lui, cette manière dévorante qu’elle avait de le regarder, a marqué un tournant. Ce qui, concernant des personnages féminins, flirtait avec l’objectivation, pouvait désormais être pensé et éprouvé différemment. Jusqu’à changer de nature. “Pour moi, il y a une différence entre l’objectivation et l’admiration, tranche Andrew Scott. Si ce personnage a marqué les esprits, c’est parce que Phoebe Waller-Bridge excelle à mettre en scène des personnages masculins. J’ai aimé ressentir son regard délicat sur moi. Il y avait une âme dans ce regard.”
Avec Sans jamais nous connaître, Andrew Scott change de monde pour entrer dans celui d’Andrew Haigh. Le créateur de la série gay Looking (HBO, 2014-2016) et réalisateur de cinq longs métrages (dont Weekend en 2011) raconte une histoire ultra-personnelle mâtinée d’étrangeté. À Londres, aujourd’hui, Adam (Andrew Scott) et Harry (le merveilleux Paul Mescal, star de Normal People et Aftersun) se rencontrent dans la tour vide où ils habitent. En parallèle, le premier entame une série de visites dans sa maison d’enfance où il semblerait que ses parents (Claire Foy et Jamie Bell) vivent encore, à l’âge qu’ils avaient lors de leur mort.
Cette histoire de fantômes met le personnage joué par Andrew Scott dans un état de profond dénuement émotionnel, coincé entre un amour naissant et le souvenir d’une vie révolue. “En lisant le scénario, je me suis senti compris, explique l’intéressé. Sans jamais nous connaître a la même structure qu’un rêve. Et comme avec tous les rêves, quand on se réveille, il reste un sentiment très fort, qui nous bouscule. La logique s’effondre.”
Un détail a tout changé, que raconte l’acteur irlandais, natif de Dublin. “De nombreuses scènes ont été tournées dans la maison où Andrew Haigh habitait enfant. Tout était incarné par les murs et les objets. Cela a ajouté un aspect documentaire, comme si je jouais une personne réelle présente dans la pièce. Comme si j’avais pour mission de protéger quelque chose de son existence, tout en dévoilant ma propre vulnérabilité.”
Un irrésistible couple de cinéma
Le résultat est sidérant. Sans jamais nous connaître empile les couches de mélo sans perdre de vue la précision des sentiments, le grain des peaux, le rythme des respirations. Une odyssée vers le deuil et le plaisir mêlés, où, comme le dit l’acteur, “chaque geste compte, rien ne descend en intensité”. Ultra-expérimenté, entre cinéma, télé et théâtre – il a remporté deux Laurence Olivier Awards, plus haute distinction dramatique britannique –, Andrew Scott a adapté son jeu à cette atmosphère.
“J’ai adoré retrouver un état d’enfance à travers ce personnage, sans l’enjoliver. Au théâtre, quand on joue Shakespeare [il a incarné Hamlet], la musicalité du texte est très importante. Sur ce film, j’ai procédé différemment. Je me suis même senti différent. Je voulais être le plus dépouillé possible, à cause de la nature personnelle de l’histoire. Nous sommes très tactiles durant l’enfance, particulièrement avec nos parents. On leur monte dessus en permanence, avec une forme de sensualité patente. L’odeur des pulls de votre père vous émeut, le parfum de votre mère, la disposition de leur chambre à coucher. Tout cela a influé sur mon jeu.”
Parmi les plus beaux moments de Sans jamais nous connaître, les scènes de rapprochement et finalement d’amour entre Adam et Harry, où Andrew Scott et Paul Mescal ne retiennent rien, formant un irrésistible couple de cinéma. “Il y a de la sexualité entre eux, mais ce qui me paraît radical, c’est la tendresse, la manière dont ils se touchent, dont ils s’aiment. Pour moi, c’est très beau.”
Sans esquiver le sujet, Scott reste fidèle au film, qui décrit avec une délicatesse incroyable cette histoire d’amour hantée. Une expérience forte pour lui. “Les personnages laissent une marque en nous, mais notre travail est de faire en sorte que cette marque soit visible par tous. Je crois vraiment en la phrase selon laquelle nous contenons des multitudes [chez Walt Whitman]. Avec l’imagination, chose la plus importante à mes yeux pour un acteur, on révèle d’autres personnes. Sauf que ce film m’expose. On y trouve beaucoup de mon propre passé, de ma souffrance, visible par tous et toutes. J’étais très impliqué dans le fait de ne surtout pas me défausser, de ne pas altérer ce dévoilement. Que le public puisse me voir de cette manière est extraordinaire car, pendant des années, je n’étais pas à l’aise avec l’idée de montrer cet aspect de moi. J’avais honte. Ce qui se passe me semble miraculeux.”
“Des objets qui nous parlent”
Andrew Scott reste l’un des rares acteurs de premier plan à avoir effectué son coming out, il y a dix ans, dans une interview au quotidien The Independent. Il crève alors l’écran avec le rôle de Moriarty dans la série Sherlock, face à Benedict Cumberbatch. Son aura n’en a pas été bousculée, lui qui navigue habilement entre mainstream – il a aussi joué dans Spectre, le James Bond de 2015 – et productions indépendantes. On lui suggère que Sans jamais nous connaître pourrait servir de boussole pour une jeune génération queer.
Et pour sa génération, quelles étaient les boussoles ? “Beaucoup de choses dans mon identité et ma façon de la vivre dans le monde ont été liées à la musique, qui révèle la vérité de façon subtile et presque magique. À l’âge de 8 ans, je ne comprenais pas la signification culturelle d’une chanson, mais j’allais spontanément vers les Pet Shop Boys, Erasure et Gloria Gaynor. I Will Survive me parlait, je trouvais que c’était la meilleure chanson jamais écrite, sans être conscient que c’était un classique disco et un hymne gay. Cela me fascine de savoir que nous allons vers des objets qui nous parlent, sans savoir pourquoi.”
Nous irons tous et toutes vers Sans jamais nous connaître, en sachant très vite pourquoi : pour nous retrouver enveloppé·es dans un récit d’amour absolu, fréquenter un monde où l’on prend soin de nous en tant que spectateur·rices. “Je crois qu’un acteur prend aussi soin de son personnage. L’empathie doit circuler. On essaie de tout comprendre, y compris les mauvais comportements. J’adore ce sentiment, qui me semble proche de l’amour. Mais l’amour pour quelqu’un qui n’existe pas.”
Sans jamais nous connaître d’Andrew Haigh, avec Andrew Scott, Paul Mescal, Claire Foy, Jamie Bell (G.-B., 2024, 1 h 45). En salle le 14 février.
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Author : Olivier Joyard
Publish date : 2024-02-11 18:00:00
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