Début février, le final de Témoin, tout juste créé au Théâtre National de Bretagne, à Rennes, voit les 20 danseur·ses gagner les travées, s’exposant, fier·ères, au regard du public. Il·elles sont alors les témoins d’autre chose – et pas seulement du succès de la pièce.
En contrebas, le plateau est comme encore imprégné de leurs mouvements, un ressac de gestes empruntés à une grammaire du hip hop. Saïdo Lehlouh, le chorégraphe et membre du collectif FAIR-E, parle de microsociétés dans “une grande culture, celle du break” pour évoquer les débuts de Témoin.
Une tension entre force et faiblesse
D’un ensemble à géométrie variable, il va en faire une utopie possible, un groupe en constante mutation, dont s’extraient parfois les interprètes, en solo ou en duo. Ces témoins le sont de leur propre pratique, ici débordée de tous les côtés. D’un tombé de lumière à une ligne de front – celle des interprètes aligné·es –, la chorégraphie semble parcourue de fissures. Le travail des bras, remarquable, s’en fait le sismographe, le geste devenant tremblé, pointé, fuyant. De cette masse ressort une tension entre force et faiblesse. S’échapper du groupe, est-ce s’en libérer pour mieux y revenir ?
Témoin ne répond pas, préférant travailler sur les circulations, les entrées et les sorties de scène. Au risque de diluer cette présence en masse. Saïdo Lehlouh se rattrape plus d’une fois, dégageant la silhouette d’un·e soliste comme pris·e dans un ralenti ou osant une marche à contre-courant lorsque la ronde avale l’individualité du·de la danseur·se.
Danser encore
Le spectacle est passionnant dans sa relecture des figures, b-boying mais pas que, pris dans une pénombre envahissante. À sa manière, presque assagi, le mouvement se fait révolte sourde qu’épouse la bande-son du compositeur Mackenzy Bergile et du dramaturge musical Raphaël Henard. Boucle organique et orgue, paroles scandées, basses furieuses, Témoin a des allures de film d’aventure. Pour composer cet ensemble, Saïdo Lehlouh a répété avec deux groupes, l’un ayant pour nom de code “Eau”, l’autre “Feu”. Ils se partageront la tournée à venir. Mais à l’évidence, il y a du feu dans cette eau. Ce tableau, d’une diversité vivifiante, ressemble à une humanité en mouvement.
Des manifestations de la rue aux protestations chorégraphiées, les artistes contemporain·es ne cessent de sonder ce qui se joue sous leurs yeux. Et les nôtres. Boris Charmatz ou Jan Martens sont aux avant-postes d’une colère impossible à digérer. Danser encore, dira-t-on. Témoin leur emboîte le pas, fort de ce désordre maîtrisé. Histoire d’être un peu plus que de simples témoins, de composer le futur au présent.
Témoin, chorégraphie Saïdo Lehlouh. Au Théâtre de la Ville, Paris, du 24 au 27 février ; à la Maison de la danse, Lyon, du 3 au 5 avril ; au Château Rouge, Annemasse, les 9 et 10 avril.
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Author : Philippe Noisette
Publish date : 2024-02-13 18:27:39
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