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Mort d’Alexeï Navalny : l’espoir broyé d’une autre Russie

Un ouvrier fait disparaître le visage de l'opposant russe Alexeï Navalny sur un mur de Saint-Pétersbourg, le 28 avril 2021




“Nous avons un plan”, répétaient les lieutenants d’Alexeï Navalny. C’était en janvier 2021 : quelques mois après avoir miraculeusement réchappé à une tentative d’empoisonnement au Novitchok, l’opposant avait décidé de rentrer en Russie. Ciblé par plusieurs enquêtes, promis à l’emprisonnement, Alexeï Navalny avait été arrêté dès son arrivée à l’aéroport de Shemeretievo. L’issue de son procès ne faisait guère de doute. Mais Navalny ne resterait pas longtemps en prison, assuraient les dirigeants de son association, le Fonds de lutte contre la Corruption (FBK).Deux jours après l’arrestation de l’opposant, ils mettent leur plan à exécution. Une enquête vidéo, la plus grande et la plus ambitieuse jamais publiée par le FBK, révèle l’existence d’un “palais de Poutine” à la richesse extravagante, et expose au grand jour l’enrichissement personnel du président russe et de son entourage. En quelques jours, elle est vue des centaines de millions de fois. Dans les semaines qui suivent, à Moscou, en province, des dizaines de milliers de Russes descendent dans les rues pour exiger la libération de Navalny. Des milliers de personnes sont arrêtées. Le mouvement s’épuise et la bête noire du Kremlin n’est pas libérée.Le calvaire de la détentionFlashmobs (mobilisation éclair) sur internet, actions de protestations, et pressions internationales se multiplient. Mais les conditions de détention de Navalny ne font qu’empirer. L’opposant est privé de suivi médical, enchaîne les condamnations au confinement solitaire sous des prétextes fantaisistes. Les visites de sa famille, de ses avocats, sont entravées par tous les moyens. Il s’affaiblit à vue d’œil, est plusieurs fois hospitalisé en urgence.Hors des murs de sa prison, son réseau de militants est démantelé, ses responsables régionaux et ses militants arrêtés, contraints à l’exil ou réduits au silence. En décembre dernier, Navalny a même disparu pendant une vingtaine de jours avant de refaire surface dans la colonie pénitentiaire numéro 3 dans l’arctique russe. Une colonie “à régime sévère”, baptisée “Loup Polaire”.Même depuis là-bas, l’opposant trouvait malgré tout le moyen de faire passer quelques messages au monde extérieur, par de brèves entrevues en visioconférence avec le juge et les avocats qui suivaient son dossier. Sur l’une d’entre elles, image tremblotante, écran filmé à la main par un téléphone portable, il apparaît en tenue de prisonnier, lançant d’un ton joyeux quelques plaisanteries au juge et au procureur. Il n’a pratiquement plus d’argent, blague-t-il, et les prie de lui en faire passer un peu. Dans les dernières secondes de la vidéo, on aperçoit ses deux interlocuteurs souriant de bon cœur à la blague. Cette trentaine de secondes représente désormais les dernières images d’Alexeï Navalny vivant.”À quoi d’autre vous attendiez, vous ?” ironisait une source anonyme au sein du Kremlin citée par le média indépendant Meduza. Sarcasme d’un système qui sait qu’en broyant ses opposants, il ne risque rien du tout. À l’annonce de la mort de Navalny, un peu partout en Russie des anonymes courageux sont sortis déposer des œillets rouges sur les monuments aux victimes des répressions soviétiques. Les réseaux sociaux se couvrent de photos noires. Mais il n’y aura ni manifestations massives, ni turbulences politiques en amont de l’élection présidentielle. Ce qui était possible en 2021 est devenu impensable en 2024.L’erreur de NavalnyUne autre vidéo tourne en boucle en ce moment dans les médias indépendants russes : les dernières minutes du documentaire consacré à Alexeï Navalny. L’opposant est appelé par le réalisateur à adresser un message aux Russes s’il devait mourir en prison. Navalny sourit, et s’exécute, et ses mots sont des mots d’espoir. “N’abandonnez-pas, dit-il. S’ils en sont venus à me tuer, c’est parce que nous représentons une force immense”. Peut-être a-t-il péché par excès d’optimisme.Parlant des dirigeants russes, le politologue et journaliste Andreï Kolesnikov déclarait à L’Express en septembre dernier : “Ces gens jugent toujours tout à leur propre aune. Ils croient que tous les médias sont aux ordres et que tout le monde est corrompu parce qu’ils sont”. Ce fut peut-être l’erreur d’Alexeï Navalny : juger les Russes à sa propre aune, les croire prêts à prendre tous les risques, à affronter la police, s’attaquer au Kremlin, faire face sans ciller à des années d’emprisonnement et finir par sacrifier leur vie à leurs principes. C’était sans doute en demander beaucoup trop.Les manifestations de 2021 pour exiger sa libération furent les dernières. La peur de la répression fut la plus forte. Puis, un peu plus d’un an plus tard, l’invasion de l’Ukraine a rejeté Navalny à l’arrière-plan de la vie politique russe. Mais, dans sa cellule, il en avait pris une dimension nouvelle : il rappelait qu’il fut un temps, pas si lointain, ou existait la possibilité d’une autre Russie. L’époque de la Russie d’avant-guerre, un régime autoritaire mais dans lequel existait un champ politique, l’espoir d’une alternative à Vladimir Poutine, et la conviction que cette alternative, même si elle restait hypothétique, était atteignable par des moyens pacifiques. Une Russie où il était possible de manifester et où la dissidence existait. Dans la Russie guerrière et toujours plus totalitaire que Vladimir Poutine a créée, il n’y avait plus de place pour Alexeï Navalny.



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Publish date : 2024-02-16 17:53:22

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